Rencontre avec Azuleski de Baja Frequencia

25 min de lecture
Baja Frequencia au Radiant Bellevue Lyon 2 novembre 2017
Baja Frequencia

A peine rentrés d’une tournée chez nos amis anglais, les nouveaux arrivants du label Chinese Man Records, Baja Frequencia, ont gentiment accepté de répondre à nos questions. Hier, c’est Azuleski, Dj au sein du duo marseillais, qui s’est prêté au jeu. Une discussion qui, comme souvent, a dépassé le simple cadre musical pour aborder des problèmes bien ancrés dans notre société.

Avant de débuter cette interview, pourrais-tu présenter en quelques mots Baja Frequencia ?

Azuleski : Baja Frequencia est un projet qui a vu le jour en 2013, à Marseille. Notre musique est métissée, elle allie moombahton, reggae et cumbia.

C’est clair que Baja Frequencia est vraiment caractérisé par le métissage… D’ailleurs, on lit ou on entend souvent que votre principale influence est Major Lazer, qu’en penses-tu ? Ce n’est pas énervant ces étiquettes ?

Azuleski : on a toujours écouté des musiques un peu hybrides, que ce soit du grime, du hip hop anglais ou de la musique électronique américaine et Major Lazer est un peu le premier à avoir métissé ça notamment avec du reggae et du dancehall. Maintenant, on peut qualifier cette musique un futur ragga, ou le moombahton puisque la mode est de créer de nouveaux genres. Mais cela reste vraiment le premier à avoir mélanger des musiques de club, des musiques électroniques avec un folklore dancehall et reggae. Donc oui, on est plutôt là dedans mais on souhaite métisser cela avec d’autres styles musicaux encore !

Aujourd’hui, c’est une voie qui vous inspire et que vous avez envie d’approfondir ou vous pensez, déjà, tendre vers autre chose ?

Azuleski : on évolue toujours ! C’est propre aux artistes… On n’a pas envie de faire toujours la même chose sinon on se ferait un peu chier ! On est intéressé à l’idée de pouvoir croiser plein de styles musicaux, des cultures et des influences, donc on va continuer à le faire. Sur le premier album, c’était très axé « Amérique latine » et là, on est plutôt orienté hip hop. Est-ce que cela va durer ou pas, je ne sais pas ! On peut s’attendre à tout !

De toutes façons, ce métissage-là, il explose encore plus en live que sur l’EP…

Azuleski : ah oui ! On aime faire voyager… et la musique électronique le permet grâce à Goodjiu, mon compère. Mais je me souviens que cela nous ennuyait d’avoir des sets où les mecs ne changent pas de style ou du tempo durant 1h30-2h. Nous, en live, on aime bien retranscrire un voyage et avoir une évolution dans les tempos, dans les influences, avoir plein de sonorités… Que tout le show devienne plus électronique, que ça s’accélère, que ça ralentisse, que ça reparte. C’est ça notre vision d’un bon set !

D’ailleurs, j’ai vu que vous étiez en Angleterre la semaine dernière : vu la culture électronique là-bas, est-ce que vous modifiez des choses dans votre set en fonction du lieu ?

Azuleski : oui forcément qu’il y a un peu d’appréhension quand on connait la culture anglaise sur le sujet. Mais après ça reste une bonne chose ! Forcément qu’on y a un peu réfléchi. Après, en jouant en première partie de Chinese Man, on a été contraint de le faire puisqu’on avait en gros 45 minutes. C’est court pour faire vraiment un set actif avec une évolution. On a réfléchi à notre set en essayant de mettre par exemple 2-3 morceaux avec des samples anglais, pour qu’ils soient plus reconnaissables, histoire de ne pas perdre le public. Après, la grande majorité des morceaux pourra être jouée dans d’autres Dj set à venir, en France ou ailleurs.

Concernant 2018, quels sont les grands caps pour Baja Frequencia ?

Azuleski : on vient de sortir un clip, le second issu de notre EP, « Catzilla », sorti en fin d’année dernière. Actuellement, on est en train de faire des remixes pour des artistes qui devraient sortir dans les mois à venir. Ensuite, on commence à travailler sur notre prochain disque qui sortira, je pense, en début d’année 2019. Puis, il y aura bien sûr toutes nos prochaines dates à préparer car une belle tournée s’annonce. Une tournée c’est dur, ça se prépare…

Donc 2018 est déjà bien remplie. Quand tu dis « dates à l’étranger », c’est toujours dans la valise de Chinese Man ?

Azuleski : non pas que. En mars, on part en Turquie avec les Chinese Man. Mais on s’est fait aussi notre réseau de producteurs, en marge du label. On a des contacts en Espagne et en Suisse, ce n’est pas encore fixé, mais c’est en cours.

Oui car tu disais tout à l’heure que le groupe a été créé en 2013 et qu’il a rejoint le label Chinese Man Records après… donc ça vous a laissé le temps de construire votre réseau. Comment d’ailleurs vous avez rejoint la grande famille Chinese Man Records ?

Azuleski : on a signé sur le label CHR fin 2016 et notre premier disque, un 45 tours extrait de l’EP, est sorti le 22 avril 2017. Donc ça fait un peu plus d’un an que nous sommes sur le label Chinese Man Records. En fait, avant de rejoindre le label, nous avions déjà collaboré avec eux par l’intermédiaire d’une association que l’on avait. Grâce à elle, on organisait des concerts à Marseille aux tendances tropicales… et c’est justement là que Baja Frequencia s’est formé. On organisait également des soirées reggae et nous avions pu, au moment de la sortie du premier EP de Taïwan MC, organiser sa release party. On a donc commencé à travailler avec eux à ce moment-là et on se croisait de plus en plus souvent… Ensuite, on a fait un remixe pour Taïwan MC, puis un deuxième, puis un autre de Scratch Bandits Crew, le truc s’est lancé. Quand on a voulu sortir notre disque, on a d’abord voulu le produire nous même mais on en a parlé au label Chinese Man Records. Finalement dans la discussion, ils nous ont proposé de signer ce 45 tours chez eux ! Après, cela restait une décision difficile à refuser avec un label pareil.

Carrément ! C’est chouette que, un, Chinese Man ait réussi et que, par la suite, ils aient réussi à monter ça car cela se transforme en une belle pépinière de groupes.

Azuleski : en plus, c’est très éclectique ! On aurait pu penser qu’ils se dirigent plutôt vers du trip hop ou du hip hop. Puis quand tu regardes Taïwan MC en solo, Deluxe, Scratch Bandits Crew puis nous, aussi, ils n’ont pas hésité à s’en éloigner. Le label prend une tournure intéressante musicalement.

On en revient toujours à ce métissage sonore finalement. D’ailleurs, vous, ce métissage sonore, il vient d’où ?

Azuleski : que ce soit Goodjiu ou moi, on a tous les deux écouté des styles différents. Moi, quand j’étais jeune, j’ai beaucoup écouté Massilia Sound System qui, déjà, étaient de grands métisseurs de genres et d’influences. Quand tu écoutes des albums de Massilia, tu n’as pas du reggae pur et dur, il y a des tas d’influences différentes qui leur donnent un côté unique. On aime cette démarche, c’est une cosmopolotisation des sons ! On le retrouve chez Massilia, dans Watcha Clan aussi, pour ne parler que des groupes marseillais. A l’international, on aurait pu citer Rage Against The Machine par exemple. Musicalement, ça n’a rien à voir, mais la démarche est la même : mélanger du métal à du hip hop, pour l’époque, c’était complètement ouf !

En parlant de Massilia, tu aimerais pouvoir collaborer avec eux ?

Azuleski : ah oui ! On a eu la chance de pouvoir croiser Papet J, plusieurs fois, sur des dates et on s’entend assez bien avec lui, il aime bien notre projet. Ce n’est pas une idée qui est exclue même si aujourd’hui il n’y a rien qui est mis sur la table. Parmi les artistes français actuels, cela fait parti de ceux avec qui on aimerait le plus collaborer !

Ce serait chouette ! Pour toi, en 2018, faire de la musique, cela signifie quoi ?

Azuleski : waouh, dur ! En tous cas, nous, on a la chance aujourd’hui d’en vivre et on ne sait pas, non plus, combien de temps cela va durer. Faire de la musique, c’est d’abord pouvoir s’exprimer. Mais surtout, il ne faut pas avoir peur de tenter des choses. Avec internet aujourd’hui, que ce soit avec Soundcloud ou Bandcamp, on peut diffuser de la musique que l’on fait depuis chez soi. Rien qu’avec un petit ordinateur, on peut faire des choses et les partager. Certes le son n’aura pas une qualité de pro, mais on peut partager ses créations et c’est très important. J’ai commencé tout seul chez moi à partager ma musique, expérimenter. C’est une auto-motivation ! C’est important de l’envoyer à des gens, que l’on connait ou qu’on ne connait pas d’ailleurs. Il faut en profiter car c’est en train de se refermer… Des sites comme Soundcloud aujourd’hui sont en train de se régulariser, tenus en laisse par les majors, donc ça va devenir de plus en difficile de s’exprimer aussi librement sur internet. Pourtant, c’était la force d’internet dans les années 2000-2010, avec tous ces producteurs qui ont poussé. On pouvait diffuser des remixes entièrement illégaux d’artistes ou de la composition pure et dure…

Après, vous arrivez à vivre de votre musique aujourd’hui donc c’est déjà une première victoire. Car qui dit « plus de producteurs » sur le web, dit aussi « plus de monde à repérer », donc ce n’est pas si simple…

Azuleski : ah oui ! C’est noyé dans un flux d’informations qui est très important. Si j’avais le temps, je passerais des heures et des heures à chercher de nouveaux producteurs sur internet ! Mais c’est clair que c’est à double tranchant. Cependant dans ce sens-là, c’est plutôt une bonne chose. Il vaut mieux cela qu’un truc fermé où écouter de la musique serait compliqué.

Baja Frequencia Fête du Pois Chiche 2017 Photolive30
Baja Frequencia
Vous qui êtes originaires de Marseille, estimes-tu que c’est difficile aujourd’hui de faire de la musique à Marseille, de découvrir de nouveaux groupes vu le contexte actuel et des problèmes économiques…

Azuleski : politiques aussi tu peux le dire ! (rires). A Marseille, pour moi, ce n’est pas un bon exemple là dessus. Marseille a beaucoup de difficultés dans ce domaine. La politique actuelle n’est pas faite pour favoriser la musique dans le centre-ville. Et pourtant, c’est ce qu’il nous faudrait ! Il y a quelques salles en centre-ville et des bars qui ont encore des programmations intéressantes comme, par exemple, Le Molotov. On a pas mal de fois collaboré avec eux, malheureusement on a moins le temps aujourd’hui de le faire… Mais c’est surtout intéressant de garder des lieux comme ça !

Le Molotov n’a pas connu des problèmes économiques récemment ?

Azuleski : justement ! Ce sont des lieux qui connaissent des difficultés financières et qui ont très peu d’aides, voire aucune, par les politiciens locaux. En plus de ça, elles se confrontent à des comités de quartier qui se plaignent du bruit… La conséquence est que la plupart des lieux du centre-ville de Marseille connaissent des difficultés importantes aujourd’hui. C’est quand même dommage qu’une ville comme Marseille, avec près d’un million d’habitants, il n’y ait pas plus de lieux culturels, stables, qui soient soutenus par des structures locales ou nationales. C’est triste aussi de voir qu’il n’y a qu’une ou deux salles qui vont toucher des subventions sur Marseille ou un ou deux festivals sur l’année… alors que tout le reste se partage les miettes. Ces lieux vivent en continu avec un couteau sous la gorge : le moindre échec financier sur une seule soirée ou concert peut forcer une association à mettre la clé sous la porte. En plus, les marseillais ne sont pas forcément des grands sorteurs. J’ai l’impression que l’on a pas trop de chance là-dessus par rapport à d’autres grandes villes de France. Entre les lieux, la politique et le public un peu dur à faire sortir, Marseille n’est clairement pas la ville la plus simple pour découvrir des groupes. Quand tu compares avec Lyon où il y a plus de lieux, plus de salles, avec des programmations intéressantes et qui ont l’air de tenir le coup, on pourrait peut-être prendre exemple sur ces villes-là.

Peut-être qu’à Lyon il y a un berceau électronique plus important ?

Azuleski : oui mais même au niveau musiciens, il y en a beaucoup, beaucoup de collectifs aussi, je fais allusion au Grolektif, où des collectifs de musiciens qui s’unissent pour travailler entre plusieurs groupes… Il y a aussi plus de salles qu’à Marseille il me semble, il y a la possibilité de faire des soirées sur les péniches, bref, tu as plein de petits lieux que tu ne trouves pas à Marseille. Il y a le problèmes des jauges aussi. J’ai l’impression qu’à Marseille maintenant, c’est soit tu fais un petit bar ou une petite salle qui va faire 100-150 personnes soit tu bascules sur une salle de 1000 places. Dans le centre-ville, à Marseille, tu n’as pas de salles avec une jauge intermédiaire, à 500 places par exemple. Et c’est un vrai problème aussi.

Tu n’as pas le Cabaret Aléatoire autour de cette jauge ?

Azuleski : oui, il y a le Cabaret mais ça doit être la seule. En revanche, on commence déjà à être loin du centre-ville. Si on fait une soirée et que ça termine à 2-3h du mat, niveau transport, c’est encore problématique ! C’est soit le taxi, soit on rentre à pied. La nuit, c’est un éternel problème à Marseille. Au niveau des bus de nuit, Massilia le chantait il y a 30 ans, et rien n’a changé. Il n’y a aucun réseau de transport en commun nocturne qui tient la route à Marseille. Le mec qui habite au niveau du Vélodrome et qui veut faire une soirée à la Friche, il en a pour plus de 50 minutes à pied… Donc il n’y a pas, à Marseille, de réelle politique pour que les gens sortent.

J’ai l’impression que c’est le mal des grandes villes du Sud. Ici, les marseillais peuvent sortir, mais c’est pour aller au théâtre…

Azuleski : oui, ou à l’opéra. Un dimanche, à 16h. Mais dès qu’on commence à vouloir faire des événements alternatifs qui sortent des sentiers battus, il n’y a que quelques festivals comme Marsatac qui arrivent à tirer un peu leur épingle du jeu… Sinon, cela reste très compliqué pour les organisateurs de trouver des lieux.

Une dernière question avant de passer à la playlist : maintenant tu gagnes ta vie en faisant de la musique mais quand tu étais petit, qu’est ce que tu voulais faire plus tard ?

Azuleski : pendant longtemps, j’ai voulu être designer automobile ! (rires) Alors ça n’a strictement rien à voir avec ce que je fais maintenant… J’ai fait des études d’art appliqué dans l’optique de faire du design dans l’architecture puis finalement j’ai fait une formation de graphiste. En sortant de ma formation de graphisme, je me suis tourné vers la musique ! (rires). Donc non, je ne pensais pas faire de la musique professionnellement. L’envie est venue plus tardivement. C’est venu au début avec le premier groupe que j’ai eu… et c’est même venu un peu par hasard avec Baja Frequencia. Mais en tous cas, ça fait 2 ans que l’on arrive à avoir des cachets donc on a voulu devenir intermittent du spectacle, en complément d’autres cachets. Ce n’était pas un rêve de gosse, mais plutôt un rêve d’ado. Je suis vraiment content de ça, j’espère que ça va durer !

Quand on est petit, on nous rabâche souvent la tête qu’il faut avoir des diplômes pour réussir sa vie. Pourtant, surtout aujourd’hui je pense, c’est très important de faire quelque chose qui nous plaise… et souvent quand on saute le pas on se dit « mais c’est le meilleur truc que j’ai jamais fait de toute ma vie ! »

Azuleski : attention, ce n’est pas facile tous les jours, cela fait des sacrés rythmes de vie. Mais étant petit, j’ai eu la chance d’avoir des parents qui ne m’ont jamais mis de pression de ce côté-là et qui m’ont toujours dit de faire ce que j’avais envie de faire. J’ai pu me sentir libre et plonger là-dedans sans hésitation. Je ne regrette pas du tout ce choix-là. Je ne pourrais travailler toute la journée dans un bureau, à faire de la compta par exemple, je ne serais pas content de moi car cela ne me correspond pas.

Oui, ce que je voulais dire par là, c’est que cela reste génial de vivre sa vie en accord avec ses convictions, sa philosophie.

Azuleski : c’est un sacré confort ! Et des fois, on a tendance à l’oublier, surtout durant les grosses semaines. Et souvent on se le dit, « on est en train de travailler pour notre projet ! ». C’est une énorme chance de pouvoir se dire ça. Et on essaie de se le rappeler le plus de fois possibles. J’estime que je ne suis pas un génie de la musique mais vendre sa création c’est quand même bien. Pour vivre, il faut qu’on arrive à vendre des disques et à faire des concerts, donc des fois ce n’est pas évident.

Tu as bien de la chance !

Azuleski : je le pense aussi !

Merci à Azuleski pour cette interview datée du 29 janvier 2018… mais ce n’est pas encore terminé : demain parution de la playlist choisie par Baja Frequencia avec les explications d’Azuleski.

Crédits photos : Gaël Fourc (1) et Photolive30 (2) / Le Musicodrome

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