Soviet Suprem « Made in china » (2024)

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Qui aurait cru que le Soviet Suprem abandonne l’empire soviétique pour s’attaquer à l’empire du Milieu ? Avec « Made in China », le nouvel opus du Soviet Suprem, les deux camarades les plus en vogue de la scène française repartent à l’assaut des tout-puissants.

De la création du groupe (2013) à 2022, les deux lurons issus de Java (R-Wan) et de La Caravane Passe (Toma Feterman) avaient décidé d’endosser les costumes de Sylvester Staline et John Lénine pour raviver le Soviet Suprem. Un groupe avec une identité propre, un univers construit méticuleusement pour ces deux rois de la tchatche et de la déconne qui, en plus, savent réveiller les foules. Entre humour, dénonce et véritable feu d’artifice de scène, la force de frappe du Soviet Suprem n’est plus à prouver. Toutefois, si l’effet de surprise et la grosse claque reçue sur leur premier opus, « L’internationale » (2014), le groupe avait eu du mal à transformer l’essai sur son second (« Marx Attack », 2018). Moins d’influences balkaniques, moins de fraîcheur, plus de machines, moins de morceaux entêtants…

Depuis 2018, le contexte géopolitique a évolué et en 2024, le Soviet Suprem s’est calmé et un nouveau dictateur est entré en ligne de mire. Changement de ton, changement d’ambiance, il ne faut pas oublier que Soviet Suprem a de la ressource : les costumes sont virés et de nouveaux sont taillés sur mesure. Dorénavant, ce sont Sylvester Stalyng et John Leyang qui vont tenter de prendre le pouvoir ! Et il y a un mastodonte en face, Xi Jin Ping, donc il faut arriver remonté comme un coucou.

Le titre éponyme de l’album, Made in China, est une bête de morceau qui a été trempé et retrempé dans la créativité des deux zigotos. La toile de fond reste toujours rouge… et elle est surtout affûtée comme une lame de rasoir : sonorités orientales, cuivres en cascade pour un rap oldschool qui est sublimé par une plume maniée au poil ! Les jeux de mots s’enchaînent, les deux acolytes se sont décidément bien trouvés, et ils n’hésitent pas à se jouer des codes du rap actuel. Cette nouvelle galette est mise sur orbite d’emblée !

Alors, le Soviet Suprem est-il revenu au top de sa forme ?

Difficile à dire. On sent surtout un groupe qui a envie de se renouveler et qui n’a peut-être pas pris la décision de trancher une bonne fois pour toute.

A l’image de Qui complote ?, Soviet Suprem s’offre une virée un peu plus acoustique que lors de sa précédente sortie avec un ukulélé qui donne le rythme. Dans le chant, on pourrait penser à une variante de Rongrakatikatong (du premier album), très chanson, avec un côté oriental en plus. Le texte est on ne peut plus vrai et on ne pourra pas leur enlever ça… « mais c’est qui qui complote sur les gens ? (…) C’est qui, qui, dirige les dirigeants ? Et c’est qui qui commande le tout puissant ? ». Une douceur après un joli oai, cela fonctionne.

Du côté des incertitudes, on se tâte à renvoyer au goulag Woke wok qui, musicalement, fait presque office de condensé musical des 3 albums à leur compteur. Une electro/rap balkanique, relevée par des épices, qui souffre un peu de stéréotypes musicaux déjà entendus. Dommage, car le clip est franchement bien foutu et une free party regroupant toutes nos différences, on ne dit pas non ! Ce qui est certain, c’est que le morceau laisse entrevoir une grosse furie sur scène !

D’autres morceaux creusent davantage ce sentiment de demi-teinte : Coco, même si le clin d’œil est plus que logique, balance des rimes à la pelle mais il en deviendrait presque lourd en basculant contre le « cacapitalisme ». Il y a de l’idée mais on reste perplexe. Enfin, on se sent presque trahi lorsque Soviet Suprem s’en va faire des pistes hors thème : Du coup rejoue sur le comique de répétition et part en guerre contre les toqués du langage qui en abusent… Plus loin, Tattoo, qui sonne très La Caravane Passe, nous laisse là encore au bord du chemin. Ok, on ne peut que les rejoindre sur « tattoo, tout le monde est tattoo, t’as tout de tatoué, t’en as partout de la tête au pied » mais le lien s’effrite.

C’est dommage car ce « Made in China » a plusieurs autres atouts dans sa manche : la partie de Ping pong avec le rappeur chinois Xian Chi Zong est digne d’un échange de Lebrun en pleine bourre. C’est sobre et massif, cadencé par des samples de rebonds de balle, « Soviet c’est comme le ping pong, ça rebondit comme une diphtongue, monstre à deux têtes, flow mitraillette, sors la raquette, smash dans la tête ! ». Un des meilleurs morceaux de ce disque !

Dans la lignée de ces brûlots incandescents, La face flirte lui aussi avec le très haut du panier : les beats raisonnent, les basses sont de sorties, Thérèse partage le micro et vient prendre l’espace du Soviet Suprem un featuring de haut vol : « c’est la révolution culturelle dans ta face, ça fait longtemps que l’industrie du disque a perdu la face, les singles, les tubes n’ont pas de face, on leur claque la face ! ». Il est le côté percutant du Soviet Suprem !

En marge de ces top titres, ce « Made in China » est fleuri d’autres compos qui rappellent aussi que le Soviet Suprem n’est pas tout le temps véner : La course aux armements, malgré son calme apparent, s’offre une « ballade des balles perdues, des chars qui dansent » pour dénoncer l’instabilité géopolitique actuelle. Un joli contre-pied calme plutôt bien réalisé qui offre une trêve au beau milieu du conflit. Plus loin, Same same est volontairement stéréotypé et entêtant à souhait. Pour autant, Soviet Suprem part dans une virée vers un ailleurs encore inexploré avec un didgeridoo carrément planant ! La clôture du disque voit enfin débouler Mao, terriblement groovy et dansant, à coup d’envolées « Eeeeet Mao Tsé-Toung mais où c’est que cet homme nous mènera ? » avant de glisser un « big bang in Taïwan… big love for everyone ».

En conclusion, Soviet Suprem a plutôt bien réussi sa transition politique avec ce « Made in China ». Musicalement, les influences de l’Asie imprègnent bien cet album même si on sent bien que les notes balkaniques ne sont pas bien loin. Dommage toutefois que certaines compos soient à la recherche d’un second souffle ou que le pas de côté soit trop grand. « Made in China » parvient donc à dépasser « Marx attack » sans toutefois réussi le coup de maître de « L’internationale ».

Soviet Suprem, « Made in China », disponible depuis le 27 septembre 2024 (11 titres, 36 min.) chez Poupaprod / Modulor.

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