Godspeed You! Black Emperor au Krakatoa, (Mérignac, 33) 06.10

9 min de lecture

C’était dans le monde d’avant.
Celui de l’insouciance. Celui où les gens aimaient à se faire peur en allant écouter religieusement 8 montréalais nous draper dans des images d’effondrement. Mais ça c’était avant la fin de l’abondance !


Mes souvenirs vaporeux de ce 17 novembre 2019, dans l’antre chaleureuse de Paloma, me semblent surgir d’un temps exigeant qui pouvait se permettre le luxe d’être absorbé.
L’impression de foule déjà, plus un chat ne pouvait rentrer dans la Grande Salle de Paloma, certes en configuration assise mais tout de même !
Les conditions photos données par le groupe, que je n’avais pas vraiment saisies à l’époque (10 minutes max, pas de crash barrière) sont toujours d’actualité. Mais là où le public était infiniment absorbé par la musicalité travaillée du groupe, cette nouvelle tournée semble plus détendue, ou alors est-ce le public bordelais ou post covidé?

Toujours est-il que l’octuor (j’ai vérifié sur un moteur de recherche) commence plus franchement ce concert, avec toujours autant d’intensité mais sans vraiment tergiverser avec une mise en bouche feutrée qui semble désignée aux périodes pré-pangolines.
Le timing actuel (putain de timing) n’étant plus vraiment à l’euphorie, Godspeed You! Black Emperor (GY!BE) tente de nous redonner de l’espoir.

Les ingrédients pour ce grand show sont néanmoins tous là, les 4 projecteurs vidéo sont alignés et prêts à jouer leur rôle prépondérant, les guitares sont accordées avec la saturation préréglée, la contrebasse et la basse sont ciblées sur l’objectif, les percussions entament leur rythmique dystopique et le violon se charge d’emmener tout ce beau monde vers l’espoir érigé en leitmotiv.
Les images, d’abord abstraites, se font plus concrètes et les manifs violentes se succèdent sur l’écran. Ce pourrait être à Paris pour l’épisode XX des gilets jaunes, à Maïdan, place Tahrir, ou bien en Iran. Les situations ne manquent pas et l’actualité nous traine de conflits en conflits, les JT nous faisant oublier les précédents, lointains, avec les nouveaux, proches.

Les 4 vidéos projecteurs sont mis à l’épreuve et le projectionniste fait partie intégrante du spectacle, modelant à l’envie les effets, superposant les images avec les colorations rouge sang, rouge révolté.
Est-ce une œuvre cinématographique ? Un concert ? Un réquisitoire sur l’ineptie de ce monde?
On se laisse embarquer par les enivrantes digressions électrico-analogiques entremêlées. Cette ascension se poursuit visuellement en parallèle d’une verticale bétonnée d’un immeuble en construction, en forme de coquille vide, comme une quête infinie de croissance, peu importe la substance. Les images sont simples mais impriment facilement tant nos sens sont sollicités.

On traverse alors les cordons de la bourse, pas celle des machines mais celle de la grande époque, des loups de Wall Street, des JP Morgan et autres AIG, des sans foi ni loi, à l’époque bénie où les limites nous semblaient si lointaines, belles croyances. Cette finance qui se télescope avec les industries, bien réelles où les fumerolles se détachent de la neige dans des nuances de gris que ne vient pas contraster un ciel uniforme. Faste et réalité, cette bulle qui n’a fait qu’enfler depuis semble tellement fine et prête à exploser. Finalement, la philosophie GY!BE s’oppose à l’artificialité en revendiquant son artisanat, depuis les projections cinématographiques d’un autre âge à la conception des pochettes de vinyles, confectionnées par le tissu local du groupe du label Constellation Records, éminemment collaboratif et DIY.

Les images se répètent à l’infini comme autant de marques que l’homme thermo-industriel a laissé depuis l’avènement de la machine. Les tombes qui se succèdent, prises en mouvement, semblent n’être là que pour montrer notre émotion éphémère, notre résilience peut être aussi.

A l’instar du chef d’œuvre expérimental Koyaanisqatsi, vient le temps de la nature. Là où elle était grandiose dans le time lapse géant de 1982, elle est ici minimale et froide. La fin de l’abondance on vous dit. Mais à force d’attente (seulement ?) et de perception, elle prend finalement vie, avec la chaleur perçante du soleil. La percée reste momentanée, rapidement mise en perspective avec une usine crachant ses vapeurs dans une lumière rougeâtre et le jeu des différents projecteurs, décentrés et mêlés figurent une touche d’apocalypse. Ce Satan personnifié vient finalement s’attaquer à ce qu’il reste de nature, avec une mise en abîme, c’est le mot, des landes alentours dont les paysages de campings désertés peignent un effondrement soudain, inévitable.

Comme pour nous ramener au réel, l’image se fige finalement, momentanément. La pellicule fond alors, du trop-plein de chaleur des projecteurs comme notre monde s’effondre face à cette énergie, de par sa paradoxale abondance et en même temps (sic), sa rareté. Inexorablement, à chaque passage, comme un Néo ne sachant quel choix faire face à un architecte malveillant, le grain disparait. La lumière seule la remplace alors, aveuglante, et chacun s’en accommodera, ou pas.

Le mur de son que concoctent les musiciens sous l’écran ajoutent une dimension extatique. Les harmonies électriques résonnent à la perfection avec les tonalités fines mais non moins inquiétantes du violon. Chacun surenchérit de son âme un grand chaudron hétérogène débordant d’émotions qu’on souhaiterait interminable, et pourtant. La performance se termine sur des réminiscences saturées et amplifiées, en champs du cygne avant que les pédales viennent à s’éteindre, nous laissant à notre réalité, éblouis et subjugués, retombant difficilement d’une telle intensité.

Comme depuis près de 30 ans, Godspeed You! Black Emperor nous prépare aux effondrements qui viennent. Heureusement, la bande son qui les accompagne est exceptionnelle. Après le gros grain, la lumière ?

Crédits photos : 3.13 / PeterAndP

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