Asian Dub Foundation « Access denied » (2020)

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chronique asian dub foundation access denied 2020
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Comme à chaque sortie d’album, on se dit qu’Asian Dub Foundation a bien choisi son moment pour présenter sa nouvelle galette. Sur fond de crise des migrants, ce « Access denied » semble arriver à point nommé. Reste à voir si, musicalement, le crew s’est remis en bon ordre de marche.

25 ans tout juste après la sortie du premier album d’Asian Dub Foundation, « Facts and fictions », les londoniens sont toujours là. Non sans mal, non sans agitation, mais ils sont toujours présents sur le devant de la scène pour prendre le micro et faire passer leurs revendications. Atteindre une telle longévité n’est pas chose aisée : d’abord, elle implique une harmonie humaine et une certaine symbiose entre les membres du groupe. Ensuite, elle nécessite à chacun d’entre eux de se remettre en question afin de faire évoluer l’univers musical du groupe. Et c’est précisément sur ce point que l’attention se dirige.

C’est sans grande prise de risques que nous pouvons affirmer que les albums considérés comme « incontournables » du groupe sont sortis au cours de leur première grosse dizaines d’années d’existenceavec des « R.A.F.I. » (1997), « Conscious party » (1998), « Community music » (2000), « Enemy of the Enemy » (2003) et, pourquoi pas, « Tank » (2005). Si « Punkara », en 2008, ne nous avait pas laissé indifférent, il est certain que les dernières créations étaient nettement en dessous des attentes (voir chroniques « A history of now » (2011) et « More signal more noise » (2015) entre nos murs). C’est donc avec une certaine appréhension que ce « Access denied » déboule.

Au menu cette fois, ce sont près de 14 titres qui viennent alimenter le débat. Un débat bouillant qui, avec ses 50 minutes au compteur, prend le temps d’aborder les points saillants. Comme à son accoutumée, Asian Dub Foundation ne fait pas de détours pour viser ceux qui gangrènent le monde. Et avec les cinq ans d’intervalle depuis « More signal more noise », on espère bien que le groupe aura trouvé la nouvelle corde à son arc pour viser juste.

En ouverture, il y a un peu de crispation sur Can’t pay, won’t pay : ayant annoncé un retour aux sources sur ce neuvième album, force est de constater que ce track lance « Access denied » sur les mêmes rails que l’opus précédent. La base est rock, la flûte orientale de Nathan Lee donne le rythme, mais on attend clairement quelque chose plus frais. Les choses vont-elles finir par se décanter ? Sur Stealing the future, second single dévoilé courant 2020 par le groupe, on cherche à rabattre les cartes : ceux qui sont aux manettes du monde se prennent des secousses car le morceau allie puissance et brassage des genres qu’affectionne le groupe. Intense, assurément… mais nouveau, pas vraiment.

La suite va finalement muter au gré des compositions de ce « Access denied » : Frontline est une première réelle claque pour les oreilles. L’ambiance se sature et un voile hybride l’enveloppe. C’est rap et poisseux, c’est rock et rugueux, c’est fort et retentissant. Un pied calé dans la porte d’Access denied, le morceau suivant, et ça navigue à contre courant avec une ballade qui provoque une réelle bouffée d’air à tous ceux qui en sont à sa recherche… D’ailleurs, ce n’est pas Realignment, une instru qui nous envoie loin des tumultes du monde, qui viendra rompre cet équilibre fragile. Au passage, peut-être que la proposition de New alignment n’était pas nécessaire par sa redondance, outre la symbolique du titre.

Bien décidé à prendre ses distances avec de vieux démons, l’album se laisse finalement approcher sans pour autant sortir les crocs : sur Comin’over here, l’atypique Stewart Lee vient remettre les pendules à l’heure avec un morceau qui puise ses influences dans The Prodigy. Plaisant ! Et Asian Dub Foundation va continuer de se démarquer : ils sont allés chercher les palestiniens de 47 Soul pour sortir un morceau pour l’Homme, ses racines, sa liberté et ses droits face à l’oppression, avec Human 47. Attention, flow décapant en vue…

Plus loin, sur Swarm, un skeud est envoyé directement au gouvernement britannique sur sa gestion de la crise actuelle, et la mise en orbite des londoniens est proche. En jouant au funambule entre les genres, Asian Dub Foundation a surtout compris qu’il fallait arrêter de chercher coûte que coûte à les superposer pour créer de la puissance en barre. On sent bien qu’en fonction des compos, des partis pris sont faits et qu’ils sont explorés… Swarn est en l’image : presque dubby, c’est finalement un rock psyché qui s’invite, où les machines ne viennent que ponctuellement en soutien.

A mesure que ce « Access denied » avance, il dévoile des penchants qui font plaisir à retrouver : Lost in the shadows ne lâche pas le fil rouge oriental dans son périple sonore comme il n’hésite pas à mettre en musique un discours de Greta Thunberg (Youthquake part 1, Greta speaks). Après, déjà, ces 45 minutes de voyage, l’auditoire n’imagine pas qu’il va pourtant se prendre encore deux brûlots en pleine face… Frontline Santiago, porté par la brûlante chilienne Ana Tijoux en feat, envoie une bombe rap que personne n’avait vu venir ! Enfin, c’est Dub Fx qui déboule pour clôturer en beauté le débat sur Smash and grab the future : si la « griffe » d’Asian Dub Foundation est de nouveau reconnaissable à des kilomètres à la ronde, une claque drum’n’bass est salutaire après une telle envolée.

Un peu contre toute attente, Asian Dub Foundation propose sans aucun doute son meilleur album depuis un peu plus de 10 ans. S’il faut passer outre les deux premiers titres d’ouverture qui semblent tout droit sortis des derniers opus, les londoniens finissent par tirer leur épingle du jeu en assumant des choix artistiques sur le restant de ce « Access denied ». Même s’il a choisi de s’éloigner de ses débuts, la recette fonctionne à nouveau. Et c’est bien-là l’essentiel !

Asian Dub Foundation, « Access denied » (14 titres, 52 min.), disponible depuis le 18 septembre 2020 (Xray Production).

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