Rencontre avec le groupe Delgres

18 min de lecture

Nous avons profité du passage de Delgres à Victoire 2 (Montpellier) pour discuter avec eux de leur nouvel opus « Promis le ciel ». Une rencontre à trois voix (Pascal Danaë – chant, guitare – Baptiste Brondy – batterie, synthés – Rafgee – sousaphone) dans une ambiance à la fois chaleureuse et détendue.

Vous venez présenter ce soir votre troisième album « Promis le ciel » qui, à la première écoute, semble être un peu plus posé voire plus apaisé que les précédents. Ceci peut paraître un peu étonnant dans le contexte actuel. Que pouvez-vous nous en dire ?

Pascal Justement, sa raison d’être est d’être une caisse de résonance de ce que l’on vit et de poser la question de comment on s’ajuste en tant qu’être humain, à cette situation tellement compliquée et anxiogène dans laquelle on a l’impression de ne pas pouvoir respirer. Et ceci, d’où que l’on vienne et quel que soit son bagage (famille, autre). On a l’impression que les crises s’enchainent et qu’on ne peut pas reprendre notre souffle. Du coup on sort un album qui est plutôt aérien, avec un son plus ouvert. Même dans cette photo du ciel, il y a une aspiration à reprendre l’air.

Il faut savoir s’arrêter un moment dans cette espèce de course effrénée et regarder autour de soi et se dire bon, c’est toujours un peu la merde mais comment je peux m’ajuster à ça avec mes valeurs humanistes, de partage, de mains tendues.

Et est-ce que cette approche un peu différente des albums précédents a dû être travaillée spécifiquement pour le live ? Ou est-ce qu’on va retrouver l’énergie sous-jacente que l’on reçoit de votre trio quand on vient vous voir en concert ?

Baptiste C’est vrai que l’on est un power trio donc il y a une énergie qui est déjà là depuis le début du groupe. Effectivement pour amener cet album en live, on a dû travailler, réarranger certaines choses pour pouvoir présenter les titres un peu différemment en gardant la même essence qu’au départ. C’est donc vraiment un travail d’adaptation sur scène. Mais comme entre nous c’est assez naturel, on s’en sort relativement bien.

Pascal (rires) Oui on a un besoin assez viscéral de cette énergie. Ce qui fait vraiment le fondement de Delgres, c’est cette espèce de liberté, le moment où on joue tous les trois. Cette énergie tellurique c’est un peu la base de tout ce qu’on fait.

Avec « Promis le ciel » on voulait faire un album avec des sons plus clairs. On avait envie de prendre de la hauteur. Mais on n’a pas du tout réfléchi en se disant, tiens là ça va être une pause ou autre. Puis les textes sont venus comme ça. Une fois que le bébé était là, on l’a regardé et on s’est dit : tiens il a cette tête-là !. Puis on a regardé comment il se situait par rapport aux deux autres.

Delgres c’est une espèce d’Odyssée, c’est un voyage. On part de la Guadeloupe, c’était loin dans l’espace, c’était en 1802 avec Louis Delgres, c’était l’élément de la terre, on était dans le combat, la guerre, la lutte (Mo Jodi – 2018 ndrl). Puis on arrive au deuxième album, on prend la bateau, on arrive en France hexagonale, on est plus prêt. Là c’est 1960, c’est l’élément de feu. On a envie de foutre le feu au réveil, c’est le monde ouvrier, faut se lever, faut y aller, faut garder sa dignité (4:00 AM – 2020 ndrl). Et puis le troisième album c’est ici et maintenant. On se pose on regarde autour et on essaie de continuer à respirer librement malgré le côté super oppressant de la situation.

On le sent tous en effet. On est sorti de la période covid plein d’espoir et finalement tout est revenu comme avant. Voire en pire.

Baptiste En fait on repart mais on a l’impression que rien n’est facile. J’ai l’impression que c’est même plus difficile qu’avant. On suffoque en fait. On veut avancer mais c’est compliqué.

Et cette odyssée qui s’installe aujourd’hui et maintenant, le fait d’avoir peut-être plus de textes en français, ça vient aussi de ça ? avec une langue créole moins présente ? C’est peut-être aussi pour s’ouvrir plus largement ?

Pascal En fait on ne fait pas la musique qu’on aime, on fait la musique qu’on est. C’est vraiment ce qui nous définit. Rafdee est un parisien conçu aux Antilles qui a un 1er prix de conservatoire à la trompette mais qui a fait de la musique de rue au sousaphone, Baptiste c’est un nantais qui a fait le tour du monde quand il avait 17 ans, qui a joué avec plein de gens. Moi je suis Pascal Danaë, né en France hexagonale de parents guadeloupéens et qui a grandi en région parisienne où j’ai écouté tous types de musiques, j’ai joué du jazz, j’ai fait une licence de musicologie, j’ai fait de la musique classique…

En fait on ne fait pas la musique qu’on aime, on fait la musique qu’on est

A un moment j’ai eu besoin d’aller creuser dans ce créole, pour vraiment renouer avec mes racines et raconter cette histoire qui mélangeait à la fois mon histoire personnelle, celle de ma famille, et la grande histoire guadeloupéenne. Mais qui je suis vraiment, c’est quelqu’un qui parle français tous les jours, qui parle créole de temps en temps quand je rencontre des compatriotes, qui aime chanter le créole qui me rapproche de mes ancêtres et l’anglais car j’ai vécu en Angleterre. C’est pour ça que quand je dis que cet album, c’est vraiment une photo d’ici et maintenant, c’est vraiment ça. Et c’est donc qui on est. Et il y a encore plein de choses qu’on est.

Et au niveau de la construction des albums ? ils s’enchainent finalement assez vite depuis 2018. Vous continuez à écrire au fur et à mesure de la route ? Comment cela se passe-t-il ?

Rafgee Souvent les morceaux naissent des moments de balance. Un jour comme aujourd’hui on prépare le show du soir et on en profite pour jammer. Ça arrive comme ça, naturellement. Les morceaux ne sont jamais écrits, ils sortent de jets de l’instant. Ils commencent avec un pattern, guitare/batterie et ça crée un morceau. Et même souvent les paroles arrivent à ce moment-là. Pascal improvise et développe un thème. Des morceaux sont nés de cette manière-là, en un jet.

C’est plutôt assez original comme approche !

Baptiste Disons que le squelette de la chanson arrive immédiatement. Des fois ce n’est pas toujours le cas mais on a quelques moments de grâce. C’est par ce qu’on aime jouer ensemble et qu’on se retrouve facilement. Ça fait partie des moments géniaux de l’élaboration d’un album.

Pascal On est assez feignants en fait. On n’aime pas beaucoup répéter. On est toujours sur l’inspiration, sur le moment. En général, Baptiste sort très vite le téléphone et enregistre l’idée et après on creuse un peu. Mais on n’aime pas quand ça devient fastidieux.

Rafgee Il y a aussi des chansons que Pascal ramène. Des chansons qu’il a écrites parfois il y a fort longtemps et qu’il nous propose et qu’on met à la sauce Delgres. Et d’ailleurs on a pas mal de musiques en magasin.

Il vous arrive d’introduire des morceaux totalement improvisés en live ?

Pascal Ça on ne l’a pas encore fait…

Rafgee Si, une fois, on a improvisé un morceau total. En revanche il peut arriver qu’un morceau prenne une autre forme. On pensait qu’il s’arrêtait mais il continue pendant 3-4 minutes. C’est l’instant qui est magique. Et ça, ça arrive.

Baptiste Tu vois hier soir on était à Toulouse et j’ai déclenché le début d’un titre mais pas au bon tempo. Pascal a commencé et moi je me suis demandé comment je vais faire pour repartir au bon tempo pour que ce soit assez musical. Du coup j’ai arrêté et j’ai relancé au bon tempo. Les erreurs nous inspirent aussi. Mais on la chance d’aller là où on a envie d’aller. Avec les machines, c’est assez malléable. On ne vit pas les mêmes concerts tous les soirs, ça c’est sûr !

Et la setlist peut bouger ?

Baptiste Oui et non. On met déjà du temps à la choisir. Avec trois albums on a du choix dans les titres et il y a des morceaux qu’on ne veut plus jouer ou jouer différemment. On veut avoir un socle avec une histoire. On change de guitare, moi je change de caisse claire. Donc ça, ça ne change pas mais on peut enlever ou déplacer un titre sans tout changer.

Une chose qui m’intrigue depuis longtemps, c’est la présence de cet énorme instrument, le soubassophone, qui est là depuis le début. J’imagine que ça doit assez complexe à transporter en voyage mais c’est aussi ce qui fait son charme. C’est quelque chose que tu as amené ?

Rafgee Oui c’est l’instrument que je voulais jouer sur scène. Et c’est un instrument qui a plutôt vocation à être dans la rue, avec les fanfares ou à faire du jazz New Orleans. Mais j’avais vraiment ce désir de l’apporter sur un autre type de jeu. Je suis avant tout un bassiste dans la tête, qui joue de la basse avec cet instrument plutôt qu’un tubiste qui fait le rôle de la basse. On s’est rencontrés avec Pascal alors que lui avait envie d’intégrer cet instrument dans le groupe Delgres. Du coup cela a été le fruit de nos deux désirs communs.

En fait c’est un tuba, une famille d’instruments très vaste. Et pour que le son ne monte pas, c’est un instrument qui a été transformé pour partir à l’horizontale et ainsi lutter à armes égales avec les trompettes et les trombones. C’est John Philip Sousa qui l’a commandé à un luthier d’où son nom sousaphone. Et quand l’importateur, M. Beuchat, a voulu le vendre en France, il ne trouvait pas le nom très porteur et en a fait le soubassophone. Il y a pas mal de noms différents mais son vrai nom, c’est le sousaphone.

Pour conclure, vous avez commencé à tourner il y a peu de temps avec ce nouvel album. Comment qualifieriez-vous sa réception par le public ?

Pascal ils sont tous partis (rires)… heureux ! On est vraiment très très heureux, nous, d’avoir pu jouer cet album car c’était un défi. Car on s’est laissés aller dans la prod avec des choses très riches, ça voyage beaucoup. Ensuite d’arriver sur scène et de voir comment le public réagit, ça c’est vraiment le pied. On se rend compte maintenant qu’on a un bout de chemin derrière nous, qu’on peut intégrer des anciennes chansons, les gens aiment les nouvelles. Ce n’était pas forcément évident. Et là une adhésion qui est vraiment énorme et moi je suis soulagé. Ils nous suivent et ils sont avec nous et on le sent hyper fort.

Je pense que l’énergie que vous transmettez et votre sincérité se ressentent.

Pascal On monte sur scène pour ce partage.  

Un grand merci à Léa pour la mise en relation et à Delgres pour sa grande disponibilité et gentillesse.

Crédits photos : Olivier Scher

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