Où est passé le rap qui dénonçait l’oppression ? Hip Opsession kick le sac en présentant un programme aussi large que passionnant. Ce ne sont pas 5 objets mais 5 dates qu’on vous propose de piocher et de revivre en synchro. Pas de syncopes, tout est cadré !
“Où est passé le rap qui dénonçait l’oppression?”
La formule vient de l’homme que l’on nomme Cheeko. Membre du groupe Phases cachés, le MC parisien a bien décidé de révolutionner à sa manière le rap français. Il nous offre avec Blanka, beatmaker de La Fine Equipe leur vision du Rap Game. Ce dernier est pour eux un jeu dans lequel le second degré termine toujours en tête. Pas de mélodie aux notes justes, juste une écriture libérée de toute règle. Réglé sur une série de beats de très bon goût, c’est un goûter de space cake créateur de délires en tout genre. Leur short de bain rayé est bien loin de l’ego trip tout comme leur retour au disco funk marque une volonté de se démarquer dans le terrain du rap.
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Crédits Photo : Mathieu Cros
Si le rap qui dénonçait l’oppression est peut-être dépassé en France, Léa Rinaldi nous rappelle très vite aux réalités de notre monde en mettant en scène Los Aldeanos dans leur quotidien de lutte pour la libre expression à travers son documentaire poignant intitulé “Esto es lo que hay, chronique d’une poésie cubaine”. En effet, Los Aldeanos sont interdits de scène à La Havane et doivent se contenter de concerts clandestins devant une cinquantaine de personnes dans la campagne cubaine tandis que leur vidéos récoltent des millions de vues à travers le monde.
« La révolution se fait de l’intérieur »
Pour Los Aldeanos, que l’on traduit par « Les villageois », pas question de fuir leur pays et vivre de leur notoriété à l’ombre de la réalité qu’ils dénoncent. La révolution cubaine a bel et bien vieilli. Du haut de ses 58 ans, elles se refuse d’écouter le rap qui sort de ses rues. Léa Rinaldi nous sort du débat sclérosé des terrasses de café qui nous force à choisir un camp quand on parle de Cuba. Ici, pas de choix entre médecine et éducation d’un côté et prisonniers politiques et tickets de rationnement de l’autre. Juste la réalité des rappeurs cubains dans leur vie quotidienne d’artistes qui remettent sans cesse en question la notion de liberté. A l’image d’un Silvio el libre qui nous rappelle à juste titre que la liberté n’existe pas car nous sommes tous esclaves de quelque chose. Le rap reste pour eux un moyen d’écrire ce qu’ils perçoivent, de décrire ce qu’ils ressentent et de décrier l’oppression.
Le rap qui dénonce l’oppression passe donc de pays en pays selon l’intensité des injustices perçues sous les régimes politiques en place se dirait-on. Il n’en est rien. L’oppression n’est pas que politique. Elle se manifeste aussi dans chacun de nous à travers les barrières qui façonnent notre communication. Jean-Charles Mbotti Malolo l’a compris et nous invite à travers son spectacle « Les Mots » dans un questionnement profond sur les éléments qui oppressent notre langage. “Montre moi ces vagues, esclaves des mers” C’est le chant de sirène de la chanteuse Camille qui résonne au coeur de la performance artistique. Le jeune danseur-chorégraphe souhaite utiliser les vibrations comme élément de langage et ne cesse de se nourrir de ces ondes, musicales ou cosmique, on ne sait plus trop. Il joue ainsi avec ce poème qui nous parvient petit à petit dans différentes formes de langage. Quand la parole ne fonctionne pas, le corps prend le relais en langage des signes puis pousse ce langage jusqu’à son paroxysme artistique puisqu’il se métamorphose dans une danse qui utilise tout le corps humain. Ce spectacle n’est pas adapté pour les mal-entendants, il n’est pas traduit en direct, il est pleinement réalisé pour un public dans lequel se mélangent malentendants et entendants. « Les Mots » montre la complexité du langage, l’importance de la communication non-verbale mais surtout l’existence permanente d’une alternative à la forme de langage qui nous convient le moins. Les mots peuvent nous servir pour être plus à l’aise dans notre communication non verbale autant que le signe peut servir notre élocution. C’est bien la recherche de l’harmonie entre nos formes de langage qui est l’objet de cette performance artistique. Si cette recherche est une quête, Jason Hodson, l’autre danseur sur scène est le mystère qui enveloppe le précieux Graal d’une cape d’invisibilité. Il est la personnification de l’inconscient du personnage principal, ainsi dissocié du corps de J-C Mbotti Malolo jusqu’à leur réunification pendant laquelle les deux danseurs trouvent l’harmonie parfaite dans leurs mouvements synchronisés. La chorégraphie, qui oscille entre douceur et force, entre fluidité et cassure, sert l’intensité et la magie de cette réunification.
“Si l’anglais nous permet de trouver un travail, la langue des signes nous permet d’aimer.” J-C Mbotti Malolo
« Les mots » fait suite au court-métrage « Le sens du toucher » et vient ainsi compléter la recherche de l’auteur sur notre rapport au langage corporel.
Certes, l’anglais permet aussi de comprendre le Rap US. Toutefois, si Maxime Delcourt est dans les parages, c’est encore mieux pour décrypter les paroliers d’outre-Atlantique. Et comment, ce jeune journaliste vient de publier le premier livre français consacré à la vie de Tupac. Il était donc là pour partager ses anecdotes sur le mythique rappeur de la West Coast. On vous en donne quelques unes pour vous donner un aperçu tri-dimensionnel des plans d’architecte collectés dans ce manuscrit qui déconstruit ce monument du Rap US.
- Monsieur Shakur a joué dans 6 films et passa tout près d’un rôle dans Star Wars et Rasta Rocket.
- Thug Life signifie “the hate you give little infants fuck everybody”.
- Tupac n’est arrivé sur la côte ouest qu’à l’âge 17 ans. De 15 à 17 ans il était occupé à la Baltimore School for the arts où il jouait des pièces de Shakespeare, donnait des performances de danse classique sur Casse Noisette ou encore lisait en boucle les Misérables.
- A 10 ans, quand on lui demandait ce qu’il voulait faire plus tard, il répondait avec fierté : “Révolutionnaire!”. Il était déjà prêt à casser de l’oppresseur.
Tupac a été et continue d’être un paratonnerre pour la conscience révolutionnaire et la Thug Life des communautés des ghettos en recherche de symbole sacrificiel.
Live à l’ancienne de Tupac à ses tout débuts dans son premier crew The Digital Underground.
https://www.youtube.com/watch?v=vBPWzQxl144
Le rap français a construit son histoire au travers de circuits parallèles. Maxime Delcourt, à nouveau, nous narre une histoire de ce rap français à travers ses collectifs, qui constituent son essence. Les collectifs qui ont marqué l’histoire du rap français n’ont pas seulement fait éclore les piliers de notre hip hop, ils ont uni les forces montantes pour valoriser un art de rue pressé de dénoncer l’oppression. Assassin en est une des figures de proue car il revêt les différentes facettes du hip-hop, à savoir le graff, le rap, le breakdance et le DJing. Assassin représente à lui seul l’engagement activiste d’un rap qui n’était pas médiatisé et qui luttait pour exister contre l’oppression des autres genres musicaux. La rue oppressée se dévoile dans la lutte au nom d’un cri du coeur : Esclave de votre société. ATK, aujourd’hui devenu un classique du genre grâce notamment à son album « Heptagone », n’avait eu à sa sortie que très peu de reconnaissance. D’autres collectifs comme Time Bomb, bien que n’ayant existé que deux années, ont permis de nombreuses connexions fructueuses révélant notamment Lunatic, Oxmo Puccino, X-men et Pit Baccardi à travers un rap très cru et discret. Le morceau Retour aux pyramides traduit une révolution prosodique et l’émergence de nouvelles rythmiques, de nouvelles techniques qui servent un fin travail du flow. Le Secteur Ä quant à lui, constitue certainement l’apogée du rap français. Né à Sarcelles, cette affaire de famille qui tourne autour de Passi, Stomy Bugsy, Doc Gynéco, Ärsenic et des Neg’ Marrons, va devenir une grosse machine de production au marketing efficace en reprenant les codes du rap US West Coast. Comme ils le disent eux-mêmes, ils font les choses ! Ce phénomène de collectifs ne se limite évidemment pas à la région parisienne, le rap marseillais s’organise lui aussi et se construit à travers La Cosca qui verra naître IAM, la FF, Chiens de paille, Psy4, 3e Oeil. Preuve que ce rap est question d’investissement et de passion,
Akhenaton et son frère Fabien ont hypothéqué leur maison et mis en péril leur vie de famille pour produire le premier album de Psy4
« Block Party« , sorti en 2002. Une juste récolte des fruits qu’ils ont semé tous ensemble pour arriver à leur vie de rêve. Grâce à la Mafia K’1 Fry, c’est cette fois les bases stylistiques qui sont revisitées avec un travail notable de mise en valeur des mots simples et percutants. Pour ceux constitue encore aujourd’hui le morceaux de rap de rue par excellence, dont le clip a souvent été imité mais jamais égalé.
https://www.youtube.com/watch?v=d6IOn_8G1Mc&index=1&list=PLroUku3dWg2HCOlGB3f12kJG4t9_IuASb
L’esprit du Collectif n’appartient pas au passé. Heureusement, les plus ou moins sages poètes de 2017 ont su former leur clique pour et unir leur force pour renouveler sans cesse l’art du Hip Hop. Merci Hip Opsession de faire vivre cette Animalerie et son Entourage pour que le rap ne serve pas qu’à dénoncer l’oppression.
Tetex & Mat