El Comunero, des barricades pour horizon ?

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El Comunero, « le communard », surnom donné par les camarades de luttes de la CNT au grand-père communiste de Tomas Jiménez lors la Guerre d’Espagne. En hommage à cet homme et aux convictions qui l’ont poussées à agir, le groupe reprend ce surnom et entonne des chants de luttes révolutionnaires à travers divers albums. Le dernier en date, sorti en mars 2017, vaut largement un petit retour en arrière. Les sept musiciens qui composent le groupe jouent tous dans d’autres groupes (L’air de Rien, Les Hurlement d’Léo, Anakronic Electro Orkestra…) et se réunissent avec El Comunero pour porter une idée de la musique, politique et vivante. Si les deux premiers albums sont imprégnés par les chants républicains de le Guerre d’Espagne, « Son de la Barricada » ouvre le répertoire aux chants de luttes mexicains et sud-américains.

On revient dessus avec un peu de retard mais pour les avoir découverts sur Toulouse puis vus au Festival de la CNT cet été à Paris, on n’a pas pu s’empêcher de parler un peu de cet album. Les chants sont intégralement chantés en espagnol, on peut donc s’armer d’un dictionnaire et profiter d’un rock parsemé d’influences hispaniques. Mais rassurez vous, il n’y a pas forcement besoin d’être bilingue pour capter la portée des chants repris et revisités par les toulousains.

Un album pour les barricades, outil et pratique de luttes, avec un premier titre éponyme, Son de la barricada. Il fait référence à un chant contestataire mexicain lors de l’insurrection populaire d’Oaxaca en 2006. Ce dernier avait débuté avec un mouvement des travailleuses et des travailleurs de l’éducation avant de s’étendre plus largement à un grand ensemble de citoyens. Un épisode qui verra une répression d’Etat sévère s’exprimer, avec comme réponse citoyenne des jets de pierres et des barricades dressées pendant près de 150 jours.

A partir de là, les références et les titres s’enchaînent, tous avec leur histoire, tous avec leur force. On ira faire un tour au Chili avec les morceaux de Quilapayún, groupe qui a émergé à l’époque de Salvatore Allende, avant de s’exiler par la suite en France avec la prise de pouvoir fomentée par Pinochet et ses alliés occidentaux. Ce passage de l’histoire du Chili, écrasé entre la barbarie du régime nationaliste et de la toute puissance libérale pilotée par les économistes de Chicago fidèles à cette crapule de Milton Friedman, enfonce le clou. Quilapayún chantera et sortira plus d’une trentaine d’albums de 1965 à nos jours, dont une chanson révolutionnaire qui n’a pas besoin de traduction : El pueblo unido jamas sera vencido. L’unité, reprise superbement par El Comunero 40 ans après. Et les mots n’ont pas pris une ride.

Le Chili est très présent dans cet opus, notamment avec un morceau écrit par Pablo Neruda et Eduardo Carrasco : Premocione de la muerte de Joaquin Murieta Joaquin Muerieta, mineur mexicain à l’époque de la ruée vers l’or, était devenu bandit pour défendre les mineurs latins contre l’oppression anglo-américaine.

El Comunero nous emmène aussi faire un tour en Espagne, évidemment ! Avec les morceaux de Chicho Sanchez Flores, cet écrivain-poète-compositeur-interprète, fils d’un phalangiste, qui sera férocement anti-franquiste avec sa plume aiguisée, avait poursuivi son engagement libertaire une fois la démocratie revenue. El Comunero nous propose donc un appel à la grève générale, A la huelga, un crachat de dégoût sur le système électoraliste Malditas eleccionnes malditos socialistas, ou encore Me hice bandido, un hommage au travailleur se retrouvant bandit par la force de la nécessité. El Comunero nous remettra au gout du jour un chant ouvrier hispanique, En la plaza de mi pueblo, extrait traduit :

« Mais dis moi, camarade / Si ces terres sont celles du maître / pourquoi nous ne l’avons jamais vu / travaillant la charrue ? »

La seule chanson chantée en français -qui est aussi la seule qui n’est pas une reprise- est écrite par Tomas Jiménez en hommage à son grand-père, Abuelo. Son histoire y est racontée, son engagement, la Guerre d’Espagne, la fuite en France après la prise de pouvoir dans le sang de Franco, le mépris qu’il a trouvé en arrivant… ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre la lutte sous le joug nazi… Une histoire à entendre et surtout à écouter.

« Prêt à risquer leurs peaux, mais pas pour un drapeau, ni pour un dieu ni même pour un pays, ce qui brillait dans vos yeux c’était cette utopie : des Hommes libres et égaux, en sommes les même mots que ceux gravés ici au frontispice. Ce pourquoi vous luttiez ce n’était que justice.

Moi aujourd’hui j’ai l’air malin planqué derrière ma guitare quand je repense à ton destin, quand je raconte cette histoire (…). La seule Internationale qui a réussi c’est celle du fric, plus de liberté plus libéral, le nouvel ordre est économique, le fascisme est plus insidieux puisqu’ils l’ont dédiabolisé alors qu’il reste aussi haineux que ce qu’il a toujours été »

L’album d’El Comunero nous rappelle avec évidence que la musique et les chants ont une force politique et populaire. Mais que tout cela sert l’histoire, celle des luttes qui ont eu lieu, qui ont lieu et qui auront lieu. Actuellement les motifs ne manquent pas, les grèves, manifestations, occupations sont omniprésente sous forme de luttes invisibles (ou plutôt « invisibilisées » par l’entente médiatico-politico-financière) dans de nombreux domaines qui ont tous leurs racines dans les inégalités et l’individualisme force-né. Alors à l’écoute de cette album, on ne peut qu’avoir déjà un devoir de mémoire en ne marchant plus à genoux et avec le sentiment que l’avenir sera solidaire ou ne sera pas.

Alors d’ici là que le démantèlement du service publique soit accéléré, que les accords néolibéraux du CETA-TAFTA soient signés, que la sécurité sociale soit privatisée, que le droit au chômage soit raboté, que la sélection dans les facs soient opérantes, que les aides aux logements soient baissées au profit bien entendu de ces fainéants de pauvres-qui-ne-bossent-pas-assez-pour-être-riches, bref on ne s’écouterait pas un petit El Comunero avant de stopper la machine qui est en marche forcée ?

Il serait peut-être temps à notre époque moderne où l’Etat de droit a été englouti par l’Etat d’urgence, où le CAC40 et ses tenanciers n’ont jamais été aussi riches, où les voyants écologiques duquel nous sommes tributaires sont passés au rouge…

FICHE TECHNIQUE

Tracklist
1. Son de la barricada
2. El pueblo unido jamas sera vencido
3. Abuelo
4. Malditas elecciones, malditos socialistas
5. Guitarra roja
6. En la plaza de mi pueblo
7. A la huelga
8.  Todo es de color
9. Obreros y patrones
10. Premonicion a la muerte de Joaquin Murieta
11. La partida
12. Me hice bandido

Durée : 46 min
Sortie : Mars 2017
Label : Tactikollectif
Genre : Rock

Jack'

Jardins partout, musique tout le temps.
"Une société normalisée est à la fois répressive et rationnelle, mais la rationalité la rend plus normalisée et plus répressive. Dans cette perspective, rationalité, répression, normalisation, seraient indissociable" J.Dreyfus.

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