« Mais il est trop cher ce festival ! »

21 min de lecture
Ambiance TINALS 2017 Nîmes Photolive30
Ambiance

L’envie de sortir ça prend souvent comme ça : soit le bouche à oreilles fait son effet, soit on se jette sur son ordinateur portable et on regarde les programmations de festivals. Et d’un coup, fusent les « ah ! celui-là il a l’air trop cool ! » et les « ah mais t’as vu le prix ? ». C’est vrai, c’est cher. L’argent reste le nerf de la guerre. Regardons d’un peu plus près où va l’argent…

« Travailler sans en avoir l’air » (Babylon Circus)

L’organisation d’un festival, ça prend du temps et puis surtout ça ne s’invente pas. Il faut trouver une équipe motivée, établir une programmation qui attire le regard, communiquer efficacement à travers l’affichage, la radio et divers supports de com’ de plus en plus originaux, avoir une scène tip top, organiser un camping convivial, s’équiper de tireuses, remplir la panse des festivaliers, avoir une sécurité efficace, accueillir un village associatif sympa, adopter une démarche écolo (éco-cup, tri sélectif, toilettes sèches)… bref, laissez moi reprendre mon souffle, faire plaisir aux festivaliers ! Chaque année, il faut donc essayer de se renouveler, de corriger les précédentes erreurs, de faire preuve d’originalité. La concurrence est rude, il faut fidéliser le festivalier, le séduire…

Faire tout cela à moindre coût dans un système où l’argent est roi se révèle un parcours du combattant. Et pour cause, en matière d’organisation de festival, il y a aussi des inégalités.

« Qui de nous deux » (-M-)

Pour faire simple, il y a deux types d’organisateurs : ceux qui partent avec un capital et ceux qui partent avec presque rien, on parle donc ici d’auto-financement.

Souvent dans le premier cas, il s’agit d’investir. Qui dit investissement, dit retour sur investissement. Alors voilà, certes avoir X ou Y en tête d’affiche ça coûte cher, voire très cher, mais cette tête d’affiche est indispensable d’après le rapport CNV 2012. En effet, le public se déplacerait plus facilement pour des valeurs sures. Les prix des entrées sont donc élevés (+27% en moyenne entre 2005 et 2008) sur les festivals de musiques actuelles. D’ailleurs, si on calcule le chiffre d’affaire de la billetterie de gros festivals, le prix s’élève en moyenne à 35€ l’entrée pour un soir.

Un calcul simple nous passe alors par la tête : celui de multiplier le prix d’entrée par le nombre de festivaliers et le nombre de soirs… chose qui commence à faire un sacré pactole. Le cachet d’artiste, payé au prix fort, est donc largement récupéré. Mais ces stratégies basées sur le capital et les fonds propres de l’organisateurs ne fonctionnent pas toujours. Source : CNV

Des exemples parlant :
– L’Aluna Festival, nouveau festival en terres ardéchoises, a eu, premièrement, le don d’aspirer une majeure partie des autres événements du département par l’importance de son capital… mais, aussi, de ne pas retrouver ce qui a été investi. Pour preuve, l’édition 2012 a explosé en terme d’affluence avec Manu Chao, Shaka Ponk, Caravan Palace, H-F Thiéfaine, Ayo, Dionysos, Thomas Dutronc… mais a aussi avec le cachet consacré à la venue de Johnny Hallyday. Un festival qui, à force d’aligner les gros cachets, ne retrouve pas ses billes : espérant attirer 17 000 personnes avec Johnny, seules 7 000 se sont déplacées un mardi soir à Ruoms alors que le restant du festival avait lieu le vendredi, samedi et dimanche. Avancer de tels cachets est une chose, les utiliser à bon escient est une autre.
– Le festival Lives au Pont (qui a lieu tous les ans juste avant le 14 juillet sur le célèbre site du Pont du Gard) a choisi cette année cette stratégie « forte » qui demande une trésorerie astronomique pour des « petits festivals » : avec IAM, Woodkid, Vitalic, Asaf Avidan, Azealia Banks, ce sont des cachets à 25 000€ en moyenne PAR artiste que l’organisateur doit avancer avant les rentrées financières de la vente des billets. Le budget consacré à la programmation dépasse les 100 000€ par édition. Si ce type de festival attend, également, un retour sur investissement, il nécessite surtout un capital impossible  à mobiliser pour les petites structures.

Dossier2

Le deuxième type d’organisateur, comme dit plus haut, a souvent plus de mal à trouver des sponsors et les subventions ne représentent qu’un faible pourcentage du budget total. D’après la synthèse d’activité des festivals de musiques actuelles de la CNV, en 2008, le budget moyen des festivals était de 800 000 € mais 25 % de ces festivals fonctionnaient avec un budget entre 100 000 et 200 000 € (et c’est sans compter ce qu’ils appellent les « petits » festivals, ceux inférieurs à 100 000€).

Ces « petits » festivals ne peuvent pas se permettre d’avoir X ou Y en tête d’affiche. La programmation est donc composée de bons groupes certes… mais souvent peu connus du grand public. Ce sont donc des festivaliers friands de scène locale et nationale qu’on retrouve dans ces festivals. Le but de ces derniers est rarement de faire de l’argent (même si l’équilibre des finances est vital) et le prix de l’entrée et des consommations est globalement raisonnable. Malheureusement ces festivals ne font pas l’objet d’études et de suivis poussés. L’intérêt porté par les grosses structures pour ce genre de festival est minime et rend leur action dans le paysage des festivals français invisibles aux yeux des rapports existants tels que le CNV.

« Petit homme qui vit d’espoir… » (Boby Lapointe)

Alors vient une question d’éthique au niveau de la culture ! La musique devient un business. Investir dans ce qui marche rapporte gros. Encourager le renouvellement de la scène locale et nationale, par contre, est une lutte permanente. Plus d’un festival aura « mis la clé sous la porte » car les foules ne se sont pas déplacées. En 2013, les Vieilles Charrues auront fait pour la première fois en 22 ans un déficit de 450 000 €…  où 10 000 entrées manquent à l’appel pour atteindre l’équilibre financier.

Faut-il cependant blâmer ces festivaliers qui ne viennent plus ? Sûrement pas, à l’heure où la crise fait rage, les cachets des artistes augmentent de manière presque exponentielle, et ne laissent aucune chance à certains évènements. Entre 2005 et 2008, les charges liées aux artistes a augmenté de 22%… imaginez, en 2013, l’inflation des cachets.

N’y a-t-il pas pourtant plus d’équilibre entre l’idéal roots ou rock’n roll d’un artiste et son cachet ? Ces artistes, qui critiquent le système, mais qui demandent pourtant d’aligner les zéros. Bien sûr, tout le monde n’est jamais à mettre dans le même panier. Bien sûr. Et heureusement. Mais hélas, ils sont si nombreux à inviter à la révolte entre deux chansons… Ils devraient montrer l’exemple à leur boite de production car la standardisation de la programmation des festivals de musiques actuelles est bel et bien là. D’après la SACEM et Sourdoreille, sur 120 festivals qui ont eu lieu durant le printemps et l’été 2013, 36 ont programmé Zebda, 26 ont choisi de produire Shaka Ponk, 23 ont misé sur Orelsan et 20 sur Skip the Use. Il suffit de choisir le ou les festival(s) qui aura (auront) fait la programmation qui correspond le plus à vos goûts et vous aurez déjà vu un bon échantillon des concerts des festivals. Diversité quand tu nous tiens… ou saturation du marché ?

De manière plus générale, comment réussir à s’adapter alors que tout est en train de se métamorphoser ? Prenons l’exemple d’un cas simple : la valeur du cachet d’une tête d’affiche dépend du  nombre de personne sur la route, du matos technique nécessaire, des dépenses liées à la prod’, mais aussi d’une distinction entre une salle de concert et d’un festival. Les différences sont moins criardes sur des petits cachets (comprendre inférieurs à 10 000€) mais astronomiques sur de grosses têtes d’affiche. Imaginons un groupe qui a explosé en 2013 en France et en Europe, passé en boucle sur différents supports médiatiques, qui assure le show autant visuellement qu’un d’un point de vue sonore. Son cachet en salle de concert de 1 500 places se situe entre 10 000€ et 15 000€ HT, alors que sa commande dans un festival de jauge moyenne (4 000 personnes) fait grimper son cachet à près de 40 000€ HT. A l’heure où la crise fait rage, les petits événements sont décrochés du wagon… et les gros s’alignent !

Mais une question demeure : comment faire pour se démarquer ?

« Le vent nous portera » (Noir Désir)

Mais comment font ces organisateurs pour organiser des festivals sans avoir d’apport au départ ? C’est là que réside le coeur du chantier. Tout repose sur la constitution d’un réseau : indispensable, il est la pierre angulaire de l’évènement. Chacun, à son échelle, apporte sa pierre à l’édifice. Mais ceux qui sont au coeur du festival, la clé de voute pour une reconduite l’année suivante, ce sont les festivaliers. Sans eux, il n’y aurait pas de festival. Et c’est bien souvent la raison de la fin de certains festivals.

Le graphique ci-dessous montre la répartition des entrées d’un festival qui se déroule sur deux soirs, qui accueille 4 000 festivaliers et qui a une programmation « scéne français » de l’ordre de 35 000 €.

Dossier3

On peut aussi inverser la méthode de calcul. Quand on s’aperçoit que ce sont les festivaliers qui financent à 58% ce festival, on peut se demander alors combien « coûte » un festivalier. Chaque soir, un festivalier coûte en moyenne 22€ : cela comprend la rémunération des artistes, de la location du lieu, du matériel son et lumière, les supports de communication, les animations proposées durant le festival, les boissons, la nourriture ou encore la sécurité. Sachant que les subventions décrochées par les organisateurs permettent de « subventionner » chaque entrée de festivalier à hauteur de 4€, il faut encore que ce dernier apporte 18€ de sa poche, chaque soir, pour équilibrer le budget.

Le constat est donc là : un festival ça a un coût. Oui, c’est cher, mais sans la participation des festivaliers ce n’est pas viable. Car aujourd’hui, en 2013, les stratégies financières des festivals sont à revoir : la répartition des subventions publiques, de plus en plus réduites, pousse les organisateurs à trouver des fonds ailleurs… (voir le volet 1 du dossier « La crise des festivals ? »). Et par les temps qui courent, ce n’est pas une mince affaire !

Il existe bien des fonds spéciaux pour aider les évènements culturels à survivre suite à de mauvaises éditions : en plus des demandes exceptionnelles de rallonge de subventions des partenaires déjà actés, la SACEM peut exceptionnellement réduire la taxe. Car sur un festival ayant un budget moyen de 100 000€ (dont 35 000€ de programmation), la SACEM et la CNV récupèrent 8% du budget. S’en suit alors un autre débat : l’argent prélevé aux petits et moyens festivals n’est pas reversée aux artistes concernés. En attendant, la CNV aura récolté 23 millions d’euros en 2012 et aura reversé 22,7 millions d’euros aux structures telles que les boites de production, les salles de spectacle, l’export des tournées, le développement à l’international (diffusion à l’étranger et soutien au déplacement) et les résidences d’artistes. Allez, ne faisons pas nos mauvaises langues, les festivals peuvent toucher cette aide s’ils apportent un « intérêt général de la profession ». Cette aide est donc pour les festivals qui « favorisent la découverte et la diversité, développent une ligne éditoriale ainsi que la mise en relation des spectacles avec les médias et les professionnels, au sens large du terme ». Une aide élogieuse mais combien de festivals la perçoivent en réalité ?    

 Dossier4

« Saltimbanque de fortune » (HK et les Saltimbanks)

Ce qui est finalement rassurant, c’est qu’il existe encore des artistes qui vivent de leur musique et pour leur musique. Il existe encore quelques artistes prêts à baisser leur cachet, prêts à venir gratuitement pour aider un festival à garder la tête hors de l’eau. Il existe encore des artistes qui n’exigent pas des hôtels 5 étoiles et des bouteilles d’alcool des marques les plus chères. Certains sont ravis de se faire amener dans une R19 à la gare. Il y en a encore qui arrivent en milieu de la nuit et qui insistent pour faire une émission radio.

Si on y pense, être artiste c’est fatiguant. Traverser des territoires en long et large, ne pas dormir chez soi, assurer le show qu’il y ait fatigue ou maladie, se coucher tard, reprendre la route… Etre saltimbanque est un sacré métier. On ne peut que leur tirer notre chapeau car le rythme est soutenu et la santé est mise à rude épreuve. A vous, cher lecteur, de ne pas tout mélanger.

Si c’était le dernier… (MAP)

On dit qu’il faut vivre chaque jour comme si c’était le dernier. Il faut aussi profiter dans les festivals comme si c’était les derniers. Ils tombent comme des dominos alignés les uns derrière les autres. Rares sont ceux qui se relèvent. Le constat s’assombrit, même auprès des plus grands, mais connaitre la santé de ces lieux de culture uniques est important. C’est en connaissance de cause que vous nourrirez vos oreilles et vos esprits avides de rock, de reggae, de dub, d’électro ou de jazz…

N’oubliez pas de profiter, n’oubliez pas de préserver les petites étoiles qui s’allument quand vous sortez des festivals. Ces mêmes petites étoiles qui donnent l’énergie nécessaire pour les organisateurs de rempiler pour une année de plus.

Article rédigé avec la participation d’Aïollywood.

Sources : 
– CNV, 2012, Rapport d’activité 2012. Version Pdf ici.  https://www.cnv.fr/sites/cnv.fr/files/documents/PDF/Ressource/Rapports%20d’activit%C3%A9/rapportactivite2012.pdf 
– Julien Blouin, 2003, Les difficultés de la programmation des musiques actuelles/amplifiées : signes révélateurs d’un milieu en mutation, Université Pierre Mendes France, Institut d’études politique de Grenoble, Mémoire. Version Pdf ici
– Le Nouvel Obs Culture, 2012, Les festivals de musiques actuelles abordent une saison 2012 plus difficile. Version en ligne ici
– Les Echos, 2012, Les festivals sont pénalisés par la crise et menacés par l’uniformation. Version en ligne ici
– 
SACEM, 2011, Indicateurs du spectacle vivant en 2011Version pdf ici.
– Sourdoreille, 2013, Les squatteurs de festivals 2013. Version en ligne ici.
– Télérama, 2013, Premier déficit pour le festival des Vieilles Charrues. Version en ligne ici.  

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Article précédent

Dossier vintage (2/2) : « We Are The 21st Century… » Foxygen (2013) en post it

Article suivant

« Amor Fati’, le petit dernier né du beret de Jamait ! (2013)

Dernières publications