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La crise sanitaire du Covid-19 impacte tous les secteurs de la musique et bien évidemment les artistes. Nous sommes partis à leur rencontre afin de comprendre comment ils vivaient cette période particulière.
Tout le secteur de la musique est à l’arrêt depuis le mois de mars. Comment as-tu vécu toute cette période en tant qu’artiste ?
Barbara Carlotti : comme beaucoup, ce qui a été compliqué a été d’avoir une quinzaine de concerts annulés sans préavis. On vit dans une frénésie permanente, et là tout s’arrête. J’ai été dans la sidération les quinze premiers jours croyant que les choses allaient redémarrer assez vite. Et finalement, tu te rends compte que tout ton programme s’est arrêté net. J’étais en fin de tournée donc ce n’est pas autant impactant que pour d’autres artistes. Mais en même temps, cela signifie que tu n’as plus de rémunérations pendant trois mois. Plus que la musique, c’est autour de la sortie de mon film (Quatorze ans ndrl) que ça a été plus tragique car les seules possibilités de projection, c’est dans les festivals. Donc pour moi ça a été une grosse frustration de voir que le film ne serait jamais vu en salle. Il ne serait jamais vu dans les conditions idéales dans lesquelles j’imaginais les choses…
Et puis tu prends conscience que ce n’est pas que toi mais toute une économie autour de toi qui est impactée. En tant qu’artiste j’ai été beaucoup sollicitée pendant le confinement mais pour les personnes qui travaillent autour de moi, c’est une perte nette de toute leur activité sans possibilité de compensation. En fait, nous, on est une sorte de micro-système à nous tout seul. Il y a un certain nombre de personnes beaucoup plus impactées que moi.
« J’en ai fait plein de trucs toute seule devant ma caméra. Au début t’es content de pouvoir remplacer le manque.
Mais ce n’est qu’un ersatz. Ce n’est pas satisfaisant. »
Comment est-ce que tu composes, seule ?
Barbara Carlotti : seule oui mais toute la mise en forme est faite avec mes musiciens. Je n’avais rien à leur proposer pour remplacer tout ce qui a été annulé. Il y a plein de projets autour d’un artiste et pas seulement l’aspect scénique. Le manque a été de ne plus pouvoir travailler en groupe. On a plein d’interlocuteurs normalement. J’en ai fait plein de trucs toute seule devant ma caméra. Au début t’es content de pouvoir remplacer le manque. Mais ce n’est qu’un ersatz. Ce n’est pas satisfaisant. Le travail artistique est lié aux gens avec lesquels tu bosses, tout comme aller quelque part en tournée, rencontrer des gens nouveaux, rencontrer ton public chaque fois différent.
Seule face à une caméra, ça doit être un peu étrange, sans la chaleur humaine ?
Barbara Carlotti : moi j’en peux plus des écrans, des trucs comme ça. J’en discutais hier avec Etienne Jaumet (moitié de Zombie Zombie ndrl) qui n’en peut plus aussi. Passer par une interface n’est pas le cœur de notre métier. Même pour les gens c’est quand même très différent. Il manque l’énergie, la vibration, les rencontres, tous ces aspects de socialisation. La salle de spectacle est un endroit où on partage des expériences « vivantes ». Là ça te coupe de tout ça. Ça peut te rendre fou ce truc.
Et ton avis sur la Sacem et la proposition de rémunération de ces « performances » en ligne ?
Barbara Carlotti : ce sont des gestes symboliques qui ne permettent pas de vivre. On est clairement tous en difficultés financières. Pas que pour ces histoires de cachets. Dans les mois qui viennent, comment on va se réorganiser ? Les gens ont besoin de musique, d’évasion à travers l’Art et là on leur propose qu’à travers des écrans. Quand tu es chez toi face à un écran, tu n’es pas dans la bonne disponibilité mentale. Les gens consomment sur les écrans, zappent. Beaucoup d’artistes, mal équipés, sont défavorisés par ce système. Cette crise a vraiment marqué les inégalités.
On voit tout de même redémarrer la musique dans des petits lieux, des scènes en plein air… A quoi va ressembler l’été de Barbara Carlotti ?
Barbara Carlotti : rien n’est reprogrammé pour moi hormis deux grosses dates (dont les nuits de Fourvière l’année prochaine). Mais l’industrie musicale est liée à une actualité. Comment tu refais vivre un projet d’une année sur l’autre s’il y a eu 5 mois d’arrêt d’activité et qu’on a arrêté de parler du projet ? Ma chance est que j’étais en train de préparer un nouvel album (un album hommage à la Corse ndrl). J’aurai un album terminé pour la rentrée. Donc pour moi, à la limite c’est moins tragique. Du coup je continue à faire de la musique malgré tout. C’est plus compliqué pour d’autres d’autant plus qu’il va y avoir un embouteillage à la rentrée. Chaque cas est hyper différent en fonction de là où tu en es dans ton projet.
Peut-être que l’absence des groupes étrangers, va permettre de mettre en avant des groupes français en attendant. On a beau nous dire qu’on est train de déconfiner, les groupes ne sont pas encore dans cette dynamique. Même pour les droits des intermittents, on est complètement dans le flou. C’est encore une période de très grande inquiétude pour la profession. On est tous dans le doute en fait.
Est-ce que tu penses que les gens vont avoir envie de revenir dans les salles ?
Barbara Carlotti : je pense que c’est vraiment individuel. Ouvrir les lieux de culte avant les lieux culturels je trouve que c’est une hiérarchie assez hallucinante par rapport à l’époque dans laquelle on vit et dans un pays laïque. Ça veut quand même dire que ces histoires de gestes barrières sont aléatoires. C’est assassiner la culture que d’interdire les rassemblements dans les salles alors que c’est le cas dans les restos, les bars, etc. Le fait que les gens se soient moins rassemblés a certainement joué mais je ne comprends pas qu’on ait demandé aux gens de revenir au travail et pas dans les salles.
« Ce qui a été annulé cet été ne sera pas reprogrammé »
Comment soutenir au mieux les artistes ?
Barbara Carlotti : je trouve ça hyper compliqué. Ce qui aiderait en premier lieu les artistes serait d’entendre un discours politique clair sur le fait qu’on puisse retrouver une activité normale rapidement. Internet ou la technologie ont pris un peu le pas en attendant mais ce ne sont pas des propositions artistiques complètes. Tout ça n’a pas de sens. Je n’ai aucune solution. Je continue à être hyper active. Ce n’est pas une affaire individuelle mais collective. J’ai diffusé les infos à un maximum de monde sur les dispositifs d’aide, etc. Quand on est artiste, on est musicien mais on est aussi compositeur, auteur etc. et on ne le sait pas (vis-à-vis des droits ndrl). Il faut que chacun puisse trouver des solutions à son niveau. Je vais accepter toutes les propositions de concerts car c’est vital. Il faut signer des tribunes, il faut un peu politiser le débat autour de la culture (ce que B. Carlotti a fait dans les Inrocks en mai par exemple ndrl).
Et nous en tant que public, être présent dans les salles ?
Barbara Carlotti : mais aussi sur le net, c’est important ! Ça nous donne du courage pendant cette période ! Le problème ne va pas être le public mais comment on va pouvoir accueillir le public. Les gens vont avoir besoin de savoir comment les choses vont s’organiser. Il faut faire confiance au public. Il faut arrêter de psychoter sur le fait qu’il va nous arriver un truc si on se réunit. Nous n’en sommes plus là. Après, les mesures d’hygiène sont essentielles. Les gens le savent au bout de trois mois de confinement. Et puis dans les salles, il y a un cadre, des vigiles. Il est nécessaire de faire confiance aux gens car après il n’y a plus de liberté. Et au plus ça va, au plus on voit nos espaces de liberté se réduire comme peau de chagrin. Mais oui, il faut responsabiliser les gens.
Propos recueillis le 16 juin 2020