Le Musicodrome a eu la chance de rencontrer Leïla Huissoud avant son concert à l’Opsis de Roche La Molière, où elle présente son nouvel album « Auguste ». Une artiste entière, sans barrière, au regard concentré et à la réponse sincère.
Ce soir tu joues à domicile ?
Leïla Huissoud : oui. Cette salle en particulier… Moi j’ai fait deux albums, donc deux spectacles qu’on a tournés deux ans après la sortie d’album à chaque fois. Le premier spectacle (l’Ombre, ndlr), on a fait une résidence ici pour bosser le spectacle avec Kevin (maintenant Tom Bird, ndlr) et après on est revenu jouer l’Ombre ici. Et le spectacle qu’on joue ce soir, on a aussi fait une semaine de résidence pour le construire : ici. Comme moi je n’ai fait que deux albums et deux spectacles, on peut dire que l’Opsis a vraiment tout suivi. Le fait que ce soit Tom Bird le co-plateau ce soir et qu’il ait lui-même fait la résidence de son spectacle ici, donne à cette soirée une saveur un peu familiale. C’est beau de se retrouver là, chacun avec son spectacle. Avec Tom Bird on a joué ensemble deux ans, on s’est grandit je pense, mais on est deux porteurs de projet, j’ai pas vocation à être sa musicienne comme il n’a pas vocation à être mon musicien.
Nouvelle équipe, donc ?
Leïla Huissoud : ça n’a effectivement rien à voir. Pour moi, la nouvelle équipe c’est le symbole de mon passage au monde pro. Parce que justement avec Kevin, y’avait ce côté copains, bricoles, galères, à deux dans la Twingo. A l’époque c’était pas l’hôtel, y’avait pas de régisseur, etc. Là moi je pose mon cul dans le camion, et puis après je sais même pas où on va, où c’est dans la France, Quentin me ramène à l’hôtel le soir… Il y a un certain confort, on joue 10 fois plus mais en fait c’est 10 fois moins fatiguant. Et puis en fait toute l’équipe, ça fait 1 an et demi qu’on est ensemble, qu’on s’entend très bien et qu’on est devenus amis ; mais à la base on ne se connaît pas, on s’est choisis sur CV, donc on est vraiment sur une démarche professionnelle. Eux ils ont du travail à côté, si ça devait ne pas marcher avec moi. Et puis chacun a un remplaçant, parce qu’ils ont parfois d’autres plans à assurer : donc tout le monde à part moi a un doublon, quelqu’un qui connait la partition et qui peut remplacer en cas d’absence. Il y a beaucoup de confiance autour du projet, ça roule. Donc je suis détendue, j’ai moins l’impression d’être toute seule dans un merdier fou. Après y’a toujours les bornes dans le même camion, on se vit les uns sur les autres, c’est toujours un peu la colo.
On joue 10 fois plus, c’est 10 fois moins fatiguant.
En tant qu’artiste, on a toujours cette réflexion quand on écrit, qu’on compose, de se dire que « Là ça marche pour moi mais ça peut ne pas durer ». Et là, les musiciens qui m’entourent, c’est des gars qui pourraient être mieux payés sur d’autres projets, mais qui ont choisi de bosser avec moi. Au niveau légitimité, eux ils me poussent, moi je suis obligée de tirer – ou alors, c’est pas un métier pour moi – mais vu comme les mecs s’investissent, je dois assumer ma place de Leadeuse, il faut que j’assume ce que je présente, que je sois fière du projet. Ils m’obligent à être pro, et c’est vachement plus sain – oubliés les trips existentiels d’artiste. Au final, on obtient un bon spectacle, qu’on a bossé et là, je suis sûre qu’on fait notre travail. L’Art reste bien sûr subjectif, mais je sais qu’on présente quelque chose de qualité. Aujourd’hui, grâce à eux, je ne me pose plus toutes ces questions de légitimité. C’est vachement apaisant.
A la base moi j’avais pas prévu de faire de la musique dans ma vie. Je me suis laissée portée, c’était mieux payée que serveuse, on me proposait des plans au Black, je payais mes loyers avec ça. J’ai jamais été très ambitieuse, j’ai pas pensé Carrière, je réfléchissais à peut-être arrêter après la tournée de l’Ombre. « C’est bien, je me suis éclatée pendant deux ans, mais maintenant je fais quoi de ma vie ? ». Et en rencontrant ces mecs sur le projet d’Auguste (nom du nouvel album, ndlr), j’ai fait le choix de prendre la chanson comme métier. C’est la première fois que je vois ça comme un choix.
Deux albums, deux couleurs ?
Leïla Huissoud : mon premier album a une saveur particulière. J’en suis pas forcément fière, c’est le journal d’une ado, c’est assez thérapeutique, je ne le fais pas écouter en disant aux gens « Ça c’est moi ». Même si au travers de mes histoires d’adolescente j’ai réussi à toucher des personnes plus âgées, c’est quand même un album que j’ai écrit en pensant à moi. Alors qu’Auguste, c’est un album que j’ai écrit en pensant aux gens. Plus ouvert à l’interprétation. Que les gens puissent prendre ma chanson et vivre une autre histoire que celle pour laquelle elle a été composée. J’ai besoin de ça parce que sur l’Ombre, j’étais souvent agacée par les gens qui m’expliquaient ma chanson alors que ce n’était pas du tout ce que j’avais écrit [rires].
L’autre truc important à mes yeux, c’est que dans l’Ombre je parle de drames – qui n’en sont pas, souvent des petits chagrins d’amour – j’en fais des trucs qui tordent, des « Pourquoi moi ? », c’est horriiible etc. Alors qu’Auguste c’est tout l’inverse, j’aborde des vrais douleurs mais j’en fais des pots de fleurs. J’ai eu envie de dédramatiser tout ça, parce qu’en chanson on voit beaucoup la chanteuse avec sa félure, qui vient nous raconter à quel point elle est instable et sa vie est compliquée ; j’avais envie de détendre tout ça – sans enlever de la profondeur au message – que les gens rigolent en pleurant. Je pense que c’est un spectacle miroir : si quelqu’un vient le voir et qu’il est mélancolique , il va pouvoir le recevoir comme ça, mais si un autre arrive en voulant s’amuser, ça va être également possible. On vit dans un monde où on est assez nombreux à être pas bien, donc venir sur scène voir des gens qui sont pas bien, pour leur rappeler qu’ils sont pas bien, pour que tous ensemble on soit pas bien…. Ça sert à rien de trop nourrir la tristesse.
« Je pense que c’est un spectacle Miroir. »
Sur scène tu donnes énormément. Comment reproduire ça en studio ?
Leïla Huissoud : c’est la galère. C’est grave la galère. très honnêtement j’ai l’impression que j’ai pas encore réussi. Sur Auguste, j’ai enregistré que les voix, j’ai pas enregistré les guitares – j’ai laissé ça à de supers musiciens – et j’ai été dirigée par un directeur artistique. Et en studio j’ai demandé à chaque fois à ce qu’il y ait une personne présente : ça me permettait de l’adresser à quelqu’un, parce que d’être dans une boîte pour moi c’est impossible. Après il y a le métronome, c’est ma hantise, parce que quand je joue toute seule, je coupe, j’arrête, je m’en fous du rythme, je fais des silence, etc. Sauf que là, si tu veux construire un truc un peu orchestré, t’es obligée de tenir un rythme propre. Mais pour le chant, ça sonne un peu robotique… Donc pour retrouver de la vie là-dedans, j’ai trouvé ça plus simple de l’adresser à quelqu’un. Au final l’album j’en suis assez fière, je le trouve très réussi. Après tout ce qu’il y a autour, les clips, les coms, etc. je ne suis pas sûre d’avoir trouvé comment faire. Notamment, quand je discute avec des gens qui m’ont découverte sur internet, la plupart trouvent ça mieux en vrai. La vidéo coupe complètement la tension artiste-public. J’ai envie de bosser l’aspect vidéo, mais pour l’instant il n’y a rien que j’ai envie de montrer, même si c’est un peu dur pour le public qui, lui, a envie de voir.
Concert Assis/Concert Debout ?
Leïla Huissoud : j’ai déjà fait des concerts debout. Sur l’Ombre, ce n’était pas du tout adapté. Les concerts debout c’est toujours un challenge. En Suisse notamment, les gens sont toujours très respectueux, ils n’osent pas trop, ils sont comme devant la télé. Et sur Auguste, ça nous est arrivé de galérer avec des salles assises où on aurait aimé qu’il y ait un peu plus de punch, et a contrario on a fait des salles debout – 1 sur 2 environ, depuis un an et demi – et là c’est chouette puisqu’il y a des morceaux qui permettent aux gens de danser, donc c’est un grand kif pour moi. Il y a même des gens qui sont venus en salle assise et qui m’ont dit « On aurait adoré être debout ». Après y’a aussi l’inverse… Ce qui est surtout important pour nous, c’est le côté salle fermée, que ce soit sur l’Ombre ou sur Auguste. Les concerts en extérieur, sur Auguste, marchent moins – les lumières sont moins adaptées, notamment.
Un featuring de rêve ?
Leïla Huissoud : Vivant : Fabian Tharin, un chanteur Suisse. J’adore ce qu’il fait, j’aimerais beaucoup jouer avec lui.
Morts : Matthieu Côte et Barbara Weldens, deux promesses qui se sont injustement éteintes trop vite.
Propos recueillis lors du passage de Leila Huissoud à Roche la Molière le 8 février 2020. Un grand merci !