Nommer son dixième album « 10 » pourrait paraître déroutant mais cela a le mérite d’être clair : les lyonnais ont soufflé leur vingtième bougie depuis quelques temps et ils en ont profité pour remettre le couvert. Inusable, Le Peuple de l’Herbe poursuit de tracer sa route dans le paysage musical français.
Si « After dusk » n’avait pas été mis en avant entre nos murs au moment de sa sortie, en 2020, cela n’enlève en rien à sa qualité. Il est vrai que l’opus précédent, « Stay tuned », en compagnie de l’excellent MC Oddateee, avait donné une saveur vraiment particulière à l’album. Ce petit coup de frais que l’on attend parfois sur des groupes ayant une belle discographie est en effet toujours appréciable ! Et cela avait été le cas. Entre le gros penchant rock et rappeux de « Stay tuned » et le côté dark hip hip de « After dusk », on se demandait à quelle sauce Le Peuple de l’Herbe allait cette fois nous manger.
Sur ce « 10 », ce fameux dixième disque de la riche existence du Peuple de l’Herbe, ce sont donc 11 titres qui viennent se bousculer au portillon lyonnais. L’écoute des 40 minutes se fait d’une traite et c’est dans l’ordre que nous allons vous présenter cet opus : le groupe nous laisse aucun répit et nous propose un album à son image. Mutant, urbain, saignant. Comme si près de 25 ans de carrière parvenaient à être condensés dans un seul et même album, tout en y mêlant les influences plus modernes travaillées lors de ces dernières années. Sur le papier, cela peut sembler plutôt simple mais détrompez-vous : surfer sur des sonorités qui ont fleuri les facettes d’un groupe sans forcément se dire qu’il les recycle reste un exercice compliqué.
L’ouverture de l’album se fait avec I’m asking. La track est efficace et c’est à toute évidence une compo made in Le Peuple de l’Herbe. Le genre de morceau que l’on aurait pu retrouver sur n’importe quel disque du groupe. Pas le plus original donc mais qui est toujours appréciable, entre rock, rap et quasi fusion.
Le tour de force s’amorce sur les 3 morceaux suivants et on ne peut qu’acquiescer : d’abord Not me. Ce morceau est une véritable pépite, aux allures trip hop, lustrée à coup de cuivres de la veille époque, porté par un flow percutant à 2 voix. Un refrain entêtant et cyclique, voilà un coup rondement mené qui nous surprend !
Ensuite déboule ll eyes. Là aussi, Le Peuple de l’Herbe nous joue un sacré tour : guitare punk, rythme tapageur pour mélodie lancinante, voilà qu’un riff bien placé nous embarque sans crier gare ! L’enchainement avec We are many poursuit notre emballement : changement d’ambiance avec un dark dub qui pourrait faire penser à des ambiances entendues sur « Out back » d’High Tone. Les machines vibrent mais c’est bien la guitare qui donne le ton et qui nous embarque : « we are many » est un chant de ralliement et, une nouvelle fois, la musicalité de la track fait que vous vous retrouvez embarqués sans opposer la moindre résistance…
Comme si nous avions fini par oublier que, jadis, les cuivres occupaient une belle place dans les sons du Peuple, No fear i’m walking nous offre une sorte de retour aux sources à coups de cuivres bien placés boostés par une offensive hip hop affûtée. Avec notre cerveau embrumé, Slow suicide constitue le premier morceau instrumental de « 10 ». D’abord calme puis subitement virevoltant, un joli renfort dub puis electro/rock, se charge ne pas nous faire oublier notre aliénation à la société actuelle.
Après cette première moitié d’album passée sans ménagement, la seconde poursuit son hybridation des genres. Poussé dans les hautes sphères, Spaceman reste bien en place sur cette barre de lancement. Plus noir, presque post-rock, Le Peuple de l’Herbe poursuit sa mutation amorcée sur les précédents morceaux pour livrer-là une composition étonnante. Elle s’épaissit au fur et à mesure de sa progression, elle devient hybride, tangue vers la pop ou le rock, avant d’être mise sur orbite par ses « i’m a spaceman ».
Le retour sur Terre sera pourtant brutal. Fire alarm, tendance electro/punk, voit débouler des influences orientales et fait brutalement monter la température. Avec un flow presque ragga qui fait penser au premier disque, c’est pourtant des penchants vers les Asian Dub Foundation qui prédominent. Le morceau, incisif, fonctionne et envoie la sauce, mais c’est certainement celui que nous « décevra » le plus côté originalité. Blazing, un petit plus loin, nous laisse ce goût d’inachevé avec une ballade rock/machines/rap sans pour autant hausser le ton. Peut-être un peu trop linéaire pour parvenir à nous embarquer avec eux sur ce coup-là.
Ce ressenti sera pourtant de courte durée : Don’t blame the devil est là pour (re)mettre tout le monde d’accord. Retour en grande pompe du métissage sonore porté par Le Peuple de l’Herbe ! Jungle et belle guitare rock habillent le morceau pour l’hiver… et c’est une explosion musicale qui surgit en seconde partie de compo !
Enfin, One eye view vient conclure l’album. Comme si le meilleur avait été gardé pour la fin. Un dernier coup de butoir pour rappeler qui mène la danse. La compo est un brûlot, elle sent l’essence à plein nez : les machines sont en ébullition et les riffs de guitares sont-là pour vous empêcher d’avoir le moindre moment de répit. Ça tape, le flow fracasse, le tout s’emballe pour laisser un vide, un grand silence avant de rendre le micro. Puissant !
Le Peuple de l’Herbe, « 10 », disponible depuis 22 mars 2024 (11 titres, 39 min.) chez Verycords