Après un « Angora » qui avait créé l’unanimité dans l’équipe, Karpatt est revenu en cette fin mars avec un septième album sous les bras, « Valparaiso », et 18 titres au compteur.
20 ans de carrière, ce n’est pas tous les jours. D’ailleurs, ce n’est pas toujours facile à porter. Parfois, il faut faire reposer les choses pour mieux les apprécier. C’est sans se presser que Karpatt a décidé de se façonner une nouvelle silhouette dans cette scène alternative française qu’il explore depuis plus de deux décennies.
Dans ce monde qui a décidé de ne plus tourner rond, Karpatt s’est offert un lendemain qui chante, un lendemain fleurissant tandis que le printemps déchante. Nouvelle toile de fond. Nouveau cirque des mots pour l’équilibriste de la chanson française. Des envies d’ailleurs, tout simplement, et des renforts dans les rangs. Au-delà de l’enregistrement confié à François Causse (Zoufris Maracas, Bashung), de nombreux musiciens ont rejoint cette aventure pour le studio. Il y a le trombone de Kropol (Les Têtes Raides), les trompettes de Brice Moscardini (Zoufris Maracas), les percussions de Daniel Bravo (Tryo), les flûtes des célèbres Chico Trujillo pour ne citer qu’eux !
Karpatt a donc pris la route, comme il sait si bien le faire depuis longtemps déjà. Guitare et accordéon résonnent, les touches latines s’éveillent dans un murmure, nous voilà embarqués sur la Panamercaine. Bien aidé par le nom de l’album, on comprend vite que c’est au Chili que cette route imaginaire nous amène. « Valparaiso », est donc le récit, en musique, de ce voyage réalisé par le trio.
Fermez les yeux et laissez-vous porter…
Au beau milieu des allées colorées de Valparaiso, Karpatt s’amuse : il y trempe ses pieds en sifflotant avant de rallier les hauteurs, là où Valpo se laisse approcher. Ce sont de ses courbes que naissent l’envie, une envie douce de s’y abandonner et de s’y prélasser (Valparaiso). Toute en finesse, Karpatt se laisse aller et dévoile un côté plus latino amorçant un virage dans son environnement musical.
En quelques instants, les couleurs jaillissent de la palette et les pinceaux se mettent à danser : Mela cumbia !, l’ensorceleuse, est portée par Flavia Coelho qui réalise, en solo, un tour de passe-passe cumbia cuivré ensoleillé. Plus loin, les Secousses résonnent encore, comme pour rappeler le passé meurtri du Chili lorsque la Terre ouvre ses entrailles.
Boulimiques de sons, le trio va dépasser les notes cumbia pour proposer un panel complet des musiques qui animent ses habitants : sur des airs du grand Manu et de l’époque de « Sibérie m’était contéee », la mue de Karpatt est étonnante avec Envers. En s’essayant à l’espagnol, le temps est venu d’accepter l’invitation de la belle chilienne… En mode tango, Karpatt sent qu’il se fait piéger mais la curiosité finit par l’emporter : « la valse je sais où je mets les pieds, la cueca c’est pas la même… la cueca je sais pas où je mets les pieds, mais j’y vais quand même ! » (Cueca).
L’art de manier les mots, Karpatt le maîtrise : après un tour de cueca amusé, il se délecte d’un Cucurico aviné, entre France et Chili, pays de vin et de sens de la fête, dans l’esprit d’un Que j’aime les français de Gari Greu. Il faut dire que cela fait bien longtemps que le groupe a banni le mot « frontières » de ses chansons pour prôner la chaleur humaine. Cette chaleur, si importante à conserver, continue de fleurir sur l’album : façon rumba, Karpatt laisse donc entrer les cuivres. Fiesta, pour commencer, fait un pied de nez à la mort où danse et fête se chargent de dire au revoir aux morts, puis Escaliers, moins rose, dépeint la prostitution d’un business dévastateur.
Si la fête accompagne la découverte de « Valparaiso », le groupe ne porte pas d’œillères : muni d’un harmonica et d’un chapeau bluesy, Enfermée tombe le masque, le masque de la dureté d’un quotidien qui fait du Chili le quatorzième pays le plus inégalitaire du monde… Cette fracture sociale, elle a toujours existé, du temps de la dictature à nos jours. Pinochet et consorts se révèlent être en filigrane de « Valparaiso ». L’ambiance est plus posée, le ton grave, l’énergie réduite à la force des mots : de l’hommage à Violetta Parra embelli par le piano (Bicicletta) à la chasse aux sorcières (L’exil), l’ombre du général plane encore.
Pour ne pas oublier, Karpatt offre pourtant une ode à tous ceux qui sont battus pour libérer le Chili, de Neruda à Alliende, en n’oubliant pas de regarder dans le rétro (Un chien nous a suivi). Pour ne pas oublier, le trio s’adresse aux citoyens du monde pour chanter la liberté. Canto libre, en clôture de l’album, n’a besoin que d’une guitare pour faire mouche. Ici, ce sont les mots qui mettent KO l’atrocité du monde, de Charlie à Santiago, et on comprend vite que Karpatt a fait son deuil dans l’hémisphère Sud.
Canto libre. Viens, prends-le, je te le donne.
A l’image de la terre qui l’a accueillie plusieurs semaines, « Valparaiso » est un album qui contient bien des trésors. Il se déguste au soleil, les pieds en éventail, ou pour ramener la lumière lors des mauvais jours. Même après 20 ans de carrière, Karpatt arrive encore à nous surprendre, métissant chaleur latine et chanson.
Karpatt, « Valparaiso », disponible depuis le 29 mars 2019 (18 titres, 1h06)