Fleurons et bourgeons du rap français : retour sur la soirée End of the Weak – Buzz Booster au New Morning (Paris) 07.03

17 min de lecture

Yoshi amuse la galerie avec RES, Artik et Dandyguel de gauche à droite

“Lundi, soir de concert.” Bien que cela puisse paraître inhabituel, c’est bel et bien en ce début de semaine que nous nous sommes rendus au New Morning, en plein coeur du 10ème arrondissement, pour assister à un double évènement : la finale Île de France du Buzz Booster 2016 et l’anniversaire des 12 ans de End of the Weak France. La soirée, organisée par Hip Hop Citoyens et End of the Weak France (7-10€), promettait d’étancher notre soif de découverte, de lyricisme et d’improvisation.

Mais avant de passer par la case concert, nous sommes allés apprécier l’art du rap sous une forme différente : vendredi dernier, Le Funambule Montmartre était le théâtre d’une excellente pièce (que l’on recommande à tous les parisiens), “De la Fontaine à Booba”. Brillamment jouée par deux jeunes comédiens, “De La Fontaine à Booba” démontrait avec une belle note d’humour et une pointe de virtuosité les connivences heureuses entre poésie classique et rap contemporain. Les vers de la Fontaine faisaient échos à ceux d’IAM et la vulgarité de Booba rappelait celle de Baudelaire. L’introduction théâtrale était donc parfaite pour venir observer les poètes musicaux de demain et d’aujourd’hui.

Au New Morning, les fables de La Fontaine étaient celles de Dandyguel, aKa Mr Blackpheno qui jouait les maîtres de cérémonies, au sens premier du terme, et assuraient les transitions entre les artistes, là encore non sans une bonne dose d’humour. A l’aise avec l’exercice, Dandyguel s’amusait du peu de personnes présentes en début de soirée pour accueillir le premier round du EOW (End of the Weak). Après son discours introductif, les hostilités pouvaient commencer devant un parterre -juste correct- de spectateurs. La Dream Team EOW France était representée par Yoshi, RES et Artik accompagnés aux platines par Dj Keri. “Un quatuor de babtous”, en rigolait Dandyguel. Le premier round laissait les trois MCs poser un freestyle – souvent issu d’une de leurs chansons – et permettait d’entrevoir leur qualité technique et lyrique.

DSC_1030

Le jeune rappeur PLB tente de convaincre le public et le jury

Après cette petite mise en jambe pour nos oreilles, Dandyguel nous annonce l’arrivée du premier des trois prétendants au Buzz Booster 2016. L’enjeu est de taille, puisque le gagnant de ce soir remportera également un ticket pour représenter sa région lors de la finale nationale à Marseille ainsi qu’’une place dans la programmation du Paris Hip-Hop 2016 qui se déroulera du 20 mai au 5 juin prochain.

Le premier gladiateur à entrer dans l’arène est PLB, rappeur-beatmaker, fruit de la cuvée 1993, dont la montée sur scène prometteuse se retrouve refroidie par un petit problème technique : les lions dorment et ne semblent guère décidés à se réveiller. Une fois ce léger pépin résolu, le jeune MC trognon enchaîne quelques titres de son nouvel album « Une heure avant le Big Bang » dévoilé début 2016. Loin des egotrip dopés à la testostérone, PLB nous présente dans Compte à rebours une musique dotée d’une sensibilité certaine, sous forme de journal intime aux sonorités juvéniles. On y retrouve les questions existentielles propres aux jeunes adultes, l’appréhension d’un quotidien « métro, boulot, dodo » avant d’y être dûment confronté, ou l’angoissante pesanteur de la banalité : « C’est un compliment si tu dis que j’suis original, j’suis le genre de gars qui débarque dans ta soirée déguisé en mec normal ». PLB assume un rap décomplexé, mis en valeur par sa voix suave et des prods teintées de notes afro-américaines à l’instar de Qu’est-ce que tu veux pour Noël, doux éloge de l’argent à son paroxysme, digne du Ghetto Millionaire de Black Mamba ! La jeunesse de PLB et son manque d’expérience des scènes live se font cependant rapidement sentir, trébuchants dans ses textes ou courant derrière certaines phases, ternissent une prestation juste correcte qui aurait mérité mieux.

De retour pour EOW, Dandyguel annonçait la deuxième session : 16 mesures sans instru ni accompagnement, a cappella donc (francisation de l’expression italienne alla cappella, c’est-à-dire à la chapelle, en référence notamment aux chœurs de la chapelle Sixtine qui chantent sans accompagnement. Tu savais pas ? T’inquiète pas, nous non plus). Sur cet exercice technique, c’est RES qui dégaine le premier. Le champion du monde EOW 2015 propose un freestyle très travaillé, rapide et audible, avec de belles variations de rythme. Yoshi et Artik, avec leurs timbres de voix singuliers et leurs styles atypiques, enchaînent eux aussi avec brio. Allez, on donne le 2ème round à RES pour sa technique.

IMG_7026

Cheeko et Blanka en scène

Panem et circenses hurle pendant ce temps là le public du New Morning alors que les deuxièmes jouteurs de la soirée entrent en piste. Cette fois c’est Cheeko & Blanka qui chaussent les crampons pour nous régaler de leurs plus beaux passements de jambes, mais ne vous laissez pas duper par leurs allures retro de dispensés de sport, ces deux charlots n’en sont pas à leur coup d’essai : Cheeko, MC d’origine franco-vénézuélienne du groupe Phases Cachées arborant une fière bedaine, compte plus de 300 scènes à son actif, en plus d’un titre de champion de France End of The Weak 2014 qui l’a envoyé représenter notre douce France à la finale mondiale d’improvisation en Ouganda. Derrière les platines, Blanka, ovni capillaire et beatmaker de talent venu tout droit de la planète M.A.R.S, membre du collectif La Fine Equipe et de Jukebox Champions. Rien que ça. Les deux compères nous font découvrir un univers décontracté bien qu’exubérant, prônant un véritable art de vivre Woodstockien dans le morceau Trop cool qu’on pourrait résumer par rap, peace & love. Cheeko et Blanka nous emmènent par la suite dans les troubles de la vie en communauté et des relations de voisinage grâce à des méditations burlesques, dérobant avec brio un territoire jusque-là hanté par le fantôme de Renan Luce. Le show est travaillé de la tenue à la chorégraphie, en passant par un exercice scénique à base de boite à rythme, de rap hispanique, d’improvisation, et de retour dans le passé pour un cocktail énergisant qui oscille parfois avec la variété. Les spectateurs sont conquis, les pouces se dressent sans hésitations.

La soirée enchaîne avec la troisième étape du End of the Weak. Les trois rappeurs se prêtent alors au jeu du freestyle bag : le rappeur part en improvisation et doit tirer un objet au hasard dans un sac. Chaque objet mystère doit être incorporé dans l’impro. Yoshi, RES et Artik enchaînent les uns après les autres, sur les très bonnes instrus de Dj Keri. Passoire, balle de tennis, plateau, DVD, pinceau, ballon de foot, pistolet : les trois MCs ne perdent jamais le rythme et parviennent même à lâcher plusieurs punchlines très marrantes. Très à l’aise avec cet exercice particulièrement difficile, le trio régale le New Morning. A ce jeu-là, c’est Artik qui se distingue le plus avec beaucoup d’originalité et un style particulièrement drôle.

Le silence se fait, Dandyguel annonce l’arrivée du troisième MC, synonyme de dernier round pour cette finale du Buzz Booster Ile-de-France 2016, alors que la fosse impatiente se fait de plus en plus éparse sur le coup des 23 heures. Ce n’est pas « L’espagnol » dont on nous fait la description, mais une recrue Made in Créteil de l’écurie du grand monsieur Kery James – dont il a fait la première partie à Bercy en 2013 – répondant au doux nom de Mister C. aka « Mister cisailleur ». Des étoiles dans les yeux face au curriculum vitae de celui qui reste pour la plupart d’entre nous un illustre inconnu, nous observons le cisailleur monter sur scène accompagné d’un acolyte, tous deux vêtus de t-shirt à l’effigie de son nouvel album « Rapocalypse ». Premier représentant ce soir d’un rap de tess, les influences de Mister C ressortent grossièrement avec quelques références au groupe de Lino et Calbo : « Qu’est ce qui fait courir les scarlas, leur fait faire du shtar, la maille d’la tess, le sexe, même pour un tarma ça peut faire du zgala ». Surfant sur la vague d’un rap aussi agressif qu’abstrait grâce à des prods brutes, facilitant des schémas de rimes peu recherchés bien que ponctuellement efficaces, ce dernier round est loin d’être une galette. Ce n’est plus du pain béni que reçoit la foule même si le bouquet final aura le mérite d’être original, puisque Mister Cisailleur finira par défricher des prods pour le moins insolite (Nirvana, Claude François, tout y passe) confirmant ainsi que ses compositions peuvent nous être servies à toutes les sauces. Son énergie et son engagement total n’auront pas réussi à pimenter une prestation brute de décoffrage. Le roi du sécateur ne nous aura donc pas réellement séduit ce soir, tournant en rond dans les travées d’un jardin à l’anglaise dont on cherche la sortie.

IMG_6963

Le champion du monde EOW 2015 RES envoie son flow ravageur

La 4ème et dernière session du EOW était celui du MC versus DJ. Sur trois instrus de styles et de tempos différents, le DJ pitch la musique en accélérant de plus en plus, cut et break le son. Le MC doit tenir son flow et la cadence et clasher le DJ en même temps. Ce rodéo, parfois décousu, laissait admirer la vitesse de flow des trois rappeurs. Mais conséquence logique : les mots écorchés, les phases beaucoup répétées atténuaient l’impression laissée. Peut-être l’exercice le moins impressionnant de la soirée. Pour finir, Artik, Yoshi et RES se faisaient une dernière impro en tournant le micro toutes les quatre mesures (l’exercice du 4-4) sur des thèmes choisis par le public : le très (trop?) classique “Jacquie et Michel” était couplé à l’”écureuil” cher à Artik et au “rap conscient” dont rigole Yoshi. La salle, amusée, pouvait largement applaudir les ex-champions EOW et Dj Keri, qui ont confirmé leur statut sur les différents exercices. Un vrai coup de coeur.

Roulement de tambour malgré le peu de suspense, l’expérience prime sans surprise et ce sont Cheeko et Blanka qui remportent logiquement l’édition 2016 du Buzz Booster avec une joie non feinte qui fait plaisir à voir. Cheeko remerciera enfin les organisateurs et le public dans une dernière impro en guise de limoncello pour cette soirée riche en fibres rythmiques. On retrouvera les deux compères avec plaisir dans le cadre du Paris Hip-Hop 2016. De la découverte de jeunes rappeurs aux exercices techniques et lyriques de Yoshi, RES et Artik, la soirée aura donc largement convaincu le public.
Avec leurs vers toujours dans le tempo et leur art de jouer avec les mots, le cercle des poètes du lundi soir est loin d’avoir disparu.

Par Clem & Vin2S

Crédits photos : Lucien Pesnot

Clem

Se réveiller tranquillement dans cette Concrete Jungle. Rouler à vélo en se disant que Demain c'est Loin. Prendre l'apéro à Chambacu et entendre gratter un peu de Guitare sud-américaine. Taper du pied sur Caldera. S'endormir à la belle étoile, laissant résonner le Groundation Chant. [Bob Marley | IAM | Aurita Castillo | La Rue Ketanou | Recondite | Groundation]

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Article précédent

Dubioza Kolektiv « Happy machine » (2016)

Article suivant

Tindersticks et Christine Ott, tout en douceur, à Paloma (Nîmes, 30) 05.03

Dernières publications