« Epkhrön », un vent de tempête provoqué par High Tone (2014)

9 min de lecture
high tone ekphrön

High Tone n’est plus un groupe à présenter : depuis près de 17 ans, ils arpentent la scène dub française aux côtés de leur éternel label, Jarring Effects, et se sont progressivement imposés comme le groupe référence du dub hexagonal. Après six albums studios, cinq opus en tandem et deux autres sous l’appellation Dub Invaders, High Tone est constamment en train d’explorer de nouvelles contrées. En 2014, après plus de deux années passées à travers leurs projets High Damage et Dub Invaders II, les lyonnais reprennent du service, quatre ans après leur double album « Out back ».

Il faut bien se l’avouer, le sixième album d’High Tone se faisait désirer. Jamais, depuis la création du groupe, autant de temps s’était écoulé entre deux galettes studio. Consolés cependant par les différents projets venus s’intercaler au fil des mois, notre faim fut donc calmée. Mais l’annonce de la sortie de « Epkhrön » pour ce printemps avait, aussi, réveillé notre curiosité : car, à leur grand mérite, High Tone fait partie de ces rares groupes qui ne proposent jamais le même album, où chaque opus est marqué au fer rouge.

Quatre ans auparavant, « Out back » (2010) avait pris de court l’auditoire d’High Tone. Plus sombre, plus hip hop, moins ethno, plus dubstep pour aller à l’essentiel. Des façades clairement agitées (Spank, Uncontrolable flesh, Dirty urban beat, Liquordub…) pour des séquences déconcertantes par leur souplesse (Home way, Propal) ou par leurs envolées rock (7th assault, Altered states), « Out back » brandissait l’étendard de la transition, amenée par son hit Rub-a-dub anthem.

Cette mutation sonore désormais visible, quelle voie allait donc emprunter « Ekphrön » ? La première est celle du format. Pour cette nouvelle cuvée, High Tone a décidé de partir sur (seulement) 9 tracks pour (une bonne nouvelle) 43 minutes. Et à la sortie, on se dit finalement que ce choix s’est avéré judicieux pour la simple et bonne raison que High Tone a pris le temps dans ses compos d’aller au fond des choses.

D’entrée en tout cas, on se surprendrait à vaciller ! Là où la violence semblait couver, c’est une infime douceur qui enveloppe le casque. Ouverture quasi intimiste, l’embarcation est immédiate (Basis) avec le violoncelle de Vincent Segal (Bumcello). Cette enveloppe trip hop, marquée par de fins cliquetis tantôt métalliques tantôt sphériques, High Tone trouble… La suite nous amène dans de plus hautes sphères : All expectations pare l’atmosphère de nappes atmosphériques, au frontière du psychédélique, mais qui commence aussi à bourdonner. On sent bien que quelque chose se trame derrière ce voile lorsque les machines dubber pointent le bout de leur nez.

Quand l’oud, sorte de lût oriental, se met à résonner (Wahqam saba), on finit par vite comprendre que tout ça n’est qu’un leurre : les premières notes, planantes, finissent par se saturer par les coups de buttoirs imposés par les machines. Le son est destructeur, le dubstep s’invite et impose sa loi : bass music et electro dub s’invitent avec aise aux côtés des musiques traditionnelles orientales. On y reconnaît-là une marque de fabrique bien propre au groupe… Mais toujours sur la rampe de lancement niveau intensité, le groupe ne va pourtant jamais s’arrêter de grimper : l’ascenseur sonore en route, il en deviendrait quasiment incontrôlable !

Until the last drop, martelé par l’abstract hip hop insufflé par Shanti-D, tape là où ça fait mal. Scratchs et machines se succèdent, s’enlacent, les lignes de basse, maîtrisées, transforment les morceaux en bombe électronique. La suite provoquera le même effet : Raag step massacre tout sur son passage, le dub d’High Tone se radicalise et rappelle les rythmiques d’un certain The orientalist, où bruitages, martelage et son massif l’emportent ! A noter que les seuls skanks de l’album sont condensés dans ce morceau pour ce véritable raz-de-marée.

Passé l’orage, High Tone changera pourtant son fusil d’épaule pour les quatre derniers titres de l’album : laissant carte blanche à Dj Twelve, 72′ turned off renoue avec les influences rock et des machines électroniques déjà entendues sur la face B de « Out back ». Résolument planant, scratché, ces compos psyché made in High Tone rappellent celles composées par Zenzile ou encore Ez3kiel. Si la compo est à créditer d’une belle finesse dans sa construction, elle vient aussi apporter des ingrédients qui rendent, de manière générale, un album assez déséquilibré dans son ensemble. Pourtant, au bout du voyage de ces 6 minutes, on ne peut que déployer la pugnacité avec laquelle High Tone vient balancer dans la marre cet énorme pavé. Quasi dark et tendant vers l’industriel, Old mind, par sa simplicité et son manque de profondeur malgré la présence d’Oddateee, sera finalement la deuxième ombre au nouveau tableau des lyonnais (la première serait qu’il manque un hit se détachant de l’album).

Mais en guise de feu d’artifice, High Tone a su garder de la ressource pour la fin : A fistful of yen pourrait faire l’objet d’une chronique à lui tout seul. La première minute est planante, vol au-dessus de vastes plaines orientales, quasi acoustique, migrant progressivement vers la saturation. Sans crier gare, la musique s’affole, devient criarde, entre dubstep, turntablism et beats condensés, parfois même un peu trop, avant de brusquement retomber. Les deux dernières minutes seront ainsi subitement old school, littéralement envoûtantes avec ces mélodies bien planantes. Du chaos à la renaissance, ce track renferme en lui une richesse insoupçonnée.

Un ultime sursaut, Super kat, entre synthé, skanks et soupçons cuivrés, pour ne pas oublier, non plus, qu’High Tone n’a pas fait table rase de ses racines roots dans cet album qui restera pour le coup atypique. Ce virage musical, certains puristes avaient eu du mal à l’accepter sur « Out back » (2010). Inutile de dire que sur « Epkhrön », la pilule sera encore plus dure à avaler. Après plus de 15 ans de carrière, High Tone sait encore produire de l’ethno dub comme il avait l’habitude d’en faire (que ce soit à travers High Damage, 2011, ou de ses sessions à travers Dub Invaders), mais lorsqu’il décide de remonter sur les planches au complet, il montre surtout qu’il a su, aussi, évoluer. Il est là, le signe de la maturité pour les pionniers du dub électronique français.

Clip « Until the last drop » :

FICHE TECHNIQUE

Tracklist

1. Basis (feat. Vincent Segal)
2. All expectations
3. Wahqam saba
4. Until the last drop (feat. Shanti-D)
5. Raag step
6. 72′ turned off
7. Old mind (feat. Oddateee)
8. A fistful of yen
9. Super kat

Sortie : 31 mars 2014
Durée : 43 minutes
Album : 6ème
Label : Jarring Effects

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