Un an après, revivez la magie de Hip-Hop Symphonique (Paris) 03.07

19 min de lecture

“Hip-Hop Symphonique” : oxymore quasi-profane pour certains, création unique pour d’autres. De tous horizons, cette dénomination choisie par les co-organisateurs Le Mouv’, l’Adami et l’Orchestre Philarmonique de Radio France ne laissait pas indifférent.

Mêler le hip-hop, culture issue des ghettos américains dans les années 1970, à un orchestre symphonique, mode d’expression d’une culture savante d’origine liturgique. Mêler le hip-hop, cet art de rue souvent porté par le duo MC/DJ, à un orchestre symphonique, dont Berlioz estimait “l’effectif idéal” à 827 musiciens. Mêler le hip-hop, ses codes sémantiques faits d’egotrip et de punchlines et vestimentaires parfois bling-bling à l’orchestre symphonique, dans toute sa rigueur et sa sobriété. Mêler le hip-hop et l’orchestre symphonique, c’était l’occasion pour Issam Krimi de “montrer toute la richesse qui fait la profondeur du rap français et d’en revisiter des morceaux mythiques avec une multiplicité d’instruments. Car le rap est cantonné à l’analyse de ses textes, alors que la musicalité est primordiale” (interview à retrouver ci-dessous).

Alors, il fallait regarder plus loin dans la description de la soirée pour comprendre la hauteur du kiff que s’était lancé Issam Krimi, pianiste, compositeur et producteur de l’émission live de Mouv’. IAM, Ärsenik, MC Solaar, Youssoupha, Bigflo&Oli : tous les gros noms ou presque de la scène rap française  doraient la sublime parure de ce spectacle musical. Côté orchestre, c’est le Philharmonique de Radio France, ses 141 musiciens, ses quatre-vingts ans d’histoire, sa réputation internationale qui offraient aux interprètes un accompagnement inédit. Et pour savourer ce délicieux mélange de mets, la table était couverte de sa plus belle nappe : l’Auditorium de la Maison de la Radio et son architecture unique qui place la musique au centre et optimise la propagation et la réflexion acoustique grâce aux parements de bois sur les balcons et à une lentille au plafond. Les 1460 places étant occupées, la retransmission télévisuelle et radiophonique prêtes, les festivités sonores pouvaient dès lors commencer.

Big Flo et Oli entrèrent en scène les premiers. Leur émotion témoignait d’une profonde reconnaissance d’être mêlée d’une envie féroce de démontrer que ce n’était le fruit du hasard. C’est une consécration pour ces deux musiciens du conservatoire de Toulouse de faire résonner leur texte accompagné du philarmonique de Radio France. Personne ne s’attendait à les voir aux côtés des plus grands noms du rap français mais Issam souhaitait encore une fois mettre à la lumière du jour cette jeunesse montante d’artistes talentueux.

Symbole du lien entre la nouvelle génération et les papes du rap français, Youssoupha débarque devant l’orchestre symphonique avec son style habituel. Pas de mondanité pour le natif de Kinshasa, les grosses sneakers argentés rappellent la culture de la rue, qui se mêle si bien en ce soir de juillet avec les codes et les cordes de l’orchestre philarmonique. En reprenant Menace de Mort, Youssoupha profite du contexte pour offrir un joli pied de nez aux pourfendeurs du rap, cette “sous-culture d’analphabètes” (E.Zemmour). “Ce morceau a souffert des préjugés du rap. Il parle de la reconnaissance nécessaire de cette musique. C’est une belle fin de course de finir à Radio France avec ce titre” se réjouit le Lyriciste Bantou. Avec Entourage, Youssoupha rappelle la capacité de rassemblement du rap, rarement aussi visible que ce soir là : “on avait tous les genres de public, des gens qui s’y connaissent mais aussi des non-initiés. Il y avait du partage dans tous les sens, c’était une évidence de jouer Entourage” (interview à retrouver ci-dessous).

Lorsqu’Ärsenik entre en scène, on remonte encore un peu dans le temps pour écouter se mixer ce rap à l’ancienne sauce philarmonie. Lino et Calbo posent très vite leur flow et Boxe avec les mots. Ils font vibrer leurs timbres si complémentaires lorsqu’ils Regarde le monde avec leur oeil visionnaire. Le public applaudit la fratrie avec féérie, c’est la famille Ärsenik !

Point d’orgue de la soirée, l’arrivée de Shurik’n et Akhenaton fait résonner les cris des premiers balcons. IAM se lance avec Empire du côté obscur, où les violons cristallisent La Force du refrain. Tout le public accompagnent le groupe mythique pour rendre le moment unique. Comme des Samouraï, Shurik’n et Akhenaton font écho à la philosophie de combat qui les a conduit jusque là :

J’ai combattu, j’ai eu mon heure, mon jour

Je verse un verset pour ceux qui attendent leur tour

Et ceux qui ne rigoleront plus

On baissera pas les bras, on n’est pas né pour ça

Mêmes vaincus, on se jettera dans la bataille

Pour l’honneur, comme un samouraï

On aurait presque rêvé la Fin de Leur Monde ou Demain c’est Loin, tant la puissance donnée par l’orchestre aurait décuplé la puissance de ces deux classiques du rap français. Mais impossible d’avoir des regrets devant ce défilé de hip hop symphonique, mélange de saveurs d’une rare qualité.

Pour clore le spectacle, quoi de mieux qu’un MC Solaar tout en élégance qui n’oublie pas de saluer la chef d’orchestre avec respect. Gracieux dans son costume de soir de fête, classieux avec son béret sur la tête, l’As de Trêfle pose sa voix calme pour piquer le coeur de Caroline, que le public reprend en convoquant les souvenirs d’une jeunesse amoureuse. Nouveau Western plus tard, MC Solaar salue longuement le public, qui acclame la performance autant que la carrière de l’artiste.

Dernier passage de relai entre MC Solaar et Bigflo et Oli : les deux jeunes toulousains reprennent la main en chantant Je Suis pour la première fois. Mis en exergue par la puissance des cordes, leurs paroles prennent une dimension dramatique, presque tragique. L’Auditorium se lève pour acclamer les musiciens et les chanteurs. Le mariage est scellée, la boucle est bouclée.

Si cette soirée était si savoureuse, c’est aussi parce qu’elle était le résultat de nombreux paris osés d’Issam Krimi. Il aurait pu conserver le chef d’orchestre résident de la Philarmonie mais il préféra Dina Gilbert, Chef assisante de l’Orchestre symphonique de Montréal, pour son audace, sa vision et sa compréhension de ces deux univers musicaux. Il aurait pu choisir un orchestrateur expérimenté mais il demanda le concours de Camille Pépin, compositrice de 25 ans au talent fou et déjà lauréate de nombreux prix prestigieux. Issam voulait une équipe jeune, prête à relever ce défi incroyable et ses choix se sont révélés être justes.

Fort de cette première édition magique, Issam Krimi a décidé de remettre ça samedi 1er juillet dernier dans le théâtre antique de Vienne dans le cadre du festival Jazz à Vienne. Une deuxième édition de Hip-Hop Symphonique aura également lieu le 30 novembre prochain à la Maison de la Radio. Qui aura cette fois la chance d’orchestrer ses plus grands classiques ? Kery James, Oxmo, Keny Arkana ou les Sages Po’ ?

Retrouvez toute la soirée en vidéo ici : https://www.youtube.com/watch?v=Q8Iwk6_5_Eg

Nous avons eu la chance d’interviewer quelques uns des protagonistes de la soirée lors de l’après-concert, en voici des extraits :

Interview d’Issam Krimi

Le Musicodrome : Comment ont réagi les artistes contactés ?

Issam Krimi : Ils étaient impressionnés et honorés de faire partie du projet et surtout, il ont tout de suite compris l’objet de la soirée : remettre la musique au centre. Le rap est souvent cantonné à l’analyse de ses textes, alors que la musicalité est primordiale. D’où l’intérêt de revisiter des morceaux avec une multiplicité d’instruments ! L’idée est née d’une discussion avec Bruno Laforestrie, le patron du Mouv’. Plus qu’un mélange des genres, c’était d’une part l’occasion de concrétiser tout ce qui compose mon univers et d’autre part, de montrer toute la richesse qui fait la profondeur du rap français.

Arsenik, IAM, Youssoupha… Des grosses figures du rap français. Pourquoi avoir choisi d’ajouter Big Flo et Oli ?

Pour montrer que le rap a son histoire et qu’elle est loin d’être figée. Big Flo et Oli incarnent plutôt bien la nouvelle génération et ce mouvement perpétuel qui anime le rap français. C’était aussi un moyen d’exposer une large palette d’artistes, qui selon moi n’apparaissent pas assez dans les médias.

On a voulu toucher des jeunes et des plus vieux, qui seront sans doute plus intransigeants. C’est une raison de plus pour être exigeant avec nous-mêmes, du choix des morceaux à leurs orchestrations. Puisque la rencontre des deux genres est originale, on y a mis un soin tout particulier. C’est une composition à 4 mains avec Camille Pepin [co-orchestratrice de Hip-Hop Symphonique, également compositrice et orchestratrice, ndlr.].

Comment avez-vous choisi les morceaux ?

On a pris ceux qui se prêtaient le mieux à une adaptation symphonique. Sinon au sujet des textes, pas de censure, pas de consensus, le choix est varié et parfois même violent autant musicalement qu’au niveau des paroles.

Interview de Youssoupha

Le Musicodrome : Quel est ton ressenti après cette soirée ?

Youssoupha : Un espèce de pied monstrueux à tous les niveaux parce que ça a été un projet long à préparer, 99% du mérite revient à Issam. On se retrouve avec des artistes de plusieurs générations, et il y a beaucoup de plaisir car on se connait bien. Il y avait une super ambiance dans les loges, ça chantait, ça criait, ça s’applaudissait. Le clou était d’être sur scène, l’endroit était un film, le public était un film, l’orchestre était un film, les compos étaient un film. Tout était réussi, ça nous a tiré vers le haut.

Comment as-tu opérer ton choix de chanson ?

Menace de mort car le morceau a souffert des préjugés du rap, il parle de la reconnaissance de cette musique. C’est une belle fin de course de finir à Radio France avec ce morceau.

Entourage car c’est un morceau de partage, on avait tous les genres de public, des gens qui s’y connaissent mais aussi des non-initiés. Il y avait du partage dans tous les sens, c’était une évidence et en plus c’est le titre que j’aime le plus faire sur scène.

Interview de Camille Pépin

Le Musicodrome : Comment tu t’y es pris au départ dans ton projet et quelle ligne d’attaque tu as pris dans ta composition, quels enjeux, quels problématiques rencontrées ?

Camille Pépin : Les enjeux étaient simples, je me suis uniquement consacrée à l’écriture de la partition pour l’orchestre. Il fallait réussir à proposer à l’orchestre de Radio France une partition agréable à jouer, ni trop facile, ni trop difficile. Il ne fallait pas que l’orchestre couvre les rappeurs par des compositions trop complexes, ni qu’il soit relégué à l’arrière-plan par un rôle de figurant.

Le deuxième enjeu était que nous avions deux  mois pour tout faire, ce qui implique beaucoup de nuits blanches…

Combien de répétitions ont été nécessaires ?

Les rappeurs ont enregistré en studio et la section rythmique a répété et enregistré en studio. Puis nous avons fait une répétition générale durant deux jours l’après-midi. La section rythmique va enregistrer en studio une semaine après le concert et le tout sera mixé par une équipe d’ingénieurs son pour que l’album sortira en Septembre. Les répétitions ont surtout servi à la sonorisation générale, avec l’exemple notamment du batteur dans une cage.

Comment réécrire un sample ?

J’ai écrit les titres et on sent des choses sur certains passage (là c’est les cordes, là c’est les cuivres…). Quand on fait ce genre de travail, on en rêve la nuit, on y pense au café, sous la douche.

Sur quels morceaux tu as le plus préféré travailler ?

Caroline et Nouveau Western de Mc Solaar et Je suis de big flo et Oli.

Tu étais déjà familière de l’univers du rap ?

Oui, notamment parce que j’ai fait du hip-hop en danse. J’avais déjà une culture rap mais j’ai une formation classique, j’étais étudiante jusqu’à l’année dernière au conservatoire de Paris alors j’ai du me replonger !

Crédits photos : Marwan Belaid et Thomas Bartel

Clem

Se réveiller tranquillement dans cette Concrete Jungle. Rouler à vélo en se disant que Demain c'est Loin. Prendre l'apéro à Chambacu et entendre gratter un peu de Guitare sud-américaine. Taper du pied sur Caldera. S'endormir à la belle étoile, laissant résonner le Groundation Chant. [Bob Marley | IAM | Aurita Castillo | La Rue Ketanou | Recondite | Groundation]

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