Le monde de la musique l’avait laissé sur scène en 2012, sur les cendres de la retentissante tournée d’Homo Plebis Ultimae Tour, unanimement saluée, et qui reste sans doute l’un des show les plus spectaculaires des dernières années. Entre temps il est revenu avec « Stratégie de L’inéspoir » en novembre, et a promis une nouvelle tournée ! Nous nous réjouissons alors de la venue à Paloma d’Hubert Felix Thiéfaine, que tout Nimes était prêt à célébrer comme les vêpres.
La foule s’était massée très tôt dans le patio de Paloma, en attendant l’entrée sur scène d’une icône devenue depuis des décennies incontournable dans le paysage musical français. Mais comme il est d’usage un premier groupe avait pour difficile mission d’entammer la soirée, la Paloma offrait cette chance à Julien Fortier.
Deux pas et autant d’oreilles dans la grande salle et la première baffe de la soirée nous oblige à tendre l’autre joue. Trois musiciens sans apparats, comme nus, qui arrivent à faire ressortir cette confiance que peut conférer la musique, on a envie d’écouter. Et puis là, la deuxième salve, la voix de Julien Fortier… Indescriptible, à mi chemin entre Allain Leprest et Arthur H, ses textes emplis d’une mélancolie haletante explosent, on ferme les yeux et le temps de les ouvrir à nouveau le concert est fini. Rien à redire, une belle découverte.
Il est encore tôt quand les grondements montent vers le plafond et se perdent dans un grésillement qui suinte l’impatience d’une salle bondée et s’apprétant à dégueuler de poésie.
En y réfléchissant, un concert de Thiéfaine est forcément décevant, pour ne pas l’être il devrait durer au moins 7 heures, alors on est prêt à être déçu, et on s’endort l’esprit embrumé de rêves ciblés.
Les premières notes résonnent, une fois n’est pas coutume le concert commence, comme « Stratégie de l’inespoir », par En remontant le fleuve. Bien accueilli par le public, cette première chanson introduit tout en douceur les 5 musiciens accompagnant l’immense poète, notamment les deux guitaristes prêts à dégainer : Lucas, son fils, à la gauche du père, et Alice Botté à sa droite.
Dès les premiers pas de cet endormissement, la lumière nous scotche autant que la qualité du son, un dispositif en forme de losange, impressionnant, jonche la scène et colore de rouge, de jaune ou de bleu les artistes selon les chansons, comment ne pas être transporté? C’est le but des rêves.
Comme pour toute nouvelle tournée, Thiéfaine va nous proposer en live une interprétation des titres de son dernier opus, on pense à Angelus, Stratégie de l’inespoir, fenêtre sur désert, Résilience zéro, Karaganda… Et si on ne cessera de le trouver dur dans son jugement de l’auteur de « Les Yeux d’Elsa », force est de constater que les chansons sont encore bonifiées en live, les deux guitaristes sont littéralement déchaînés, les notes chantent à la perfection, saignent comme aux grandes heures du rock’n’roll et sont presque amenées à nous réveiller.
Aucun moment de répit dans ce rêve grandeur nature, dès qu’une chanson est finie, les songes nous baladent, et la question « et la prochaine? » est sur toutes les bouches. Premiers « vieux » tube, résonne alors « J’ai volé mon âme, à un clown… », dès la troisième chanson, le piano nous entraîne loin, dans ce monde que nous aimerions tant connaître, pour sur Confession d’un never been restera l’un des moments fort de ce concert.
Malgré quelques signes de fragilité physique (heureusement que ce n’est qu’un rêve), Thiéfaine nous touche, et joue avec cette complicité avec la foule, qui manque parfois aux Grands, nous faisant partager des anecdotes avant chaque chanson, on sait par exemple qu’Alligators 427 a été écrite en revenant d’une manifestation anti-nucléaire ! Moi je dis bravo, et vive la mort !
Plusieurs chansons résonnent comme des surprises, et sont très bien accueillies par le public, Errer Humanum Est ou Bipède à Station Verticale remettent au goût du jour « Météo Fur Nada » qui n’est pas forcément l’album le plus connu de l’oeuvre du Gargantua de la chanson. Au fur et à mesure que nos songes s’étiolent, nous sommes surpris par la justesse, l’énergie et l’envie de Lucas, 21 ans, qui décidément a de qui tenir.
Comme bien souvent les inconditionnels sont venus entendre leurs tubes, ceux qu’ils chantent depuis des années, ceux qui ont fait connaître l’icone. Thiéfaine ne les oubliera bien entendu pas, et c’est un plaisir que d’entendre le public chanter Lorelei Sebasto cha, 113ème cigarette sans dormir, ou Les dingues et les paumés, première véritable communion, digne des plus grands rituels religieux entre la star et son public.
Quand les musiciens sortent de scène, laissant le chanteur seul avec sa mélancolie, son public et sa guitare, il ne pouvait qu’émerger quelque chose de grand. Et quelle tourmente spirituelle et nostalgique que d’entendre cette interprétation de Je t’en remet au vent, les mots manquent.
L’omniprésence des guitares qui passent et s’effacent sur scène aura pu en réveiller quelques-un, pourtant en entendant cette poésie subjuguée par deux ou trois guitares, tout en laissant une place plus discrète au piano, à la basse et à la batterie, on reste endormis. Et lorsque, comme un dernier hommage à César Vallejo sonne Autoroute Jeudi d’Automne, poussant les 6 hommes vers la sortie, on se retient pour ne pas tomber, le rêve ne peut pas être fini.
Pour cause, deux rappels vont nous arriver en pleine figure, et là encore on va être surpris en bien, des chansons quelque peu tombées dans l’oublis qui vont être remises au goût du jour, et ça fait du bien, avec Sentiments numériques revisités et la magnifique, latente et troublante Les fastes de la solitude. Un peu d’amour dans ce monde de fou, c’est à ça que servent les songes.
Et tout le monde trémoussait, après plus de 2 heures d’attente, le réveil ne pouvait pas sonner autrement que par ce tube intergénérationnel qu’est La Fille du Coupeur de Joint. On se dit que dans 20 ans, le public attendra toujours avec autant d’impatience le tube du papy Thiéfaine, qui se fera toujours cette même joie de l’intérpréter toujours différemment.
« Hein, quelle heure est-il? », un sentiment d’onirisme calé dans le cerveau, le réveil est difficile tant la réalité semble lointaine, même si on espère que le prochain contiendra un peu plus de « Supplément de mensonges », car en cette nuit agitée seule La Ruelle des morts a pu s’en échapper.
Les années passent, les songes et les chansons restent.
Merci monsieur Thiéfaine, rendez vous la nuit prochaine.
Photos signées Photolive 30., la galerie photo arrive bientôt !