Parmi les nombreux festivals de ce week-end de trois jours (13-14-15 Août), nous sommes allés pour la première fois du côté du Château Perché Festival, dans le Puy-de-Dôme, pour un voyage initiatique aux confins de la fête, au cœur de la musique électronique et au sein d’un décor grandiose : le château de Ravel.
Samedi soir. Une route sylvestre, sombre, presque mystique trace le chemin de ces trois jours. A la lisière du bois, perché du haut de sa colline, le château de Ravel domine la plaine de la Limagne et la chaîne des volcans d’Auvergne. Le soleil couchant éclaire les remparts avec une beauté chromatique aussi puissante que les premiers coups de basses qui résonnent du château. Les festivaliers profitent des coins d’ombre qu’offrent les sous-bois, où camions aménagés et campements sophistiqués s’y installent. Les autres affluent sur le site du camping. L’abondance de tentes « 2 secondes » symbolise l’envie pressante d’accéder au château pour ravir l’appétence des sens. Les sens, c’est le thème même de cette édition : « Incandescence des sens et indécence ». Présage malheureux, l’incandescence s’était vêtue d’un sens privatif pour cette troisième du festival : suite à un incendie qui détruisit 400m² du château en juin, un arrêté préfectoral interdit l’accès aux salles intérieures pour les festivaliers. L’indécence d’en décider seulement trois jours avant le début des festivités n’a toutefois pas nuit à la majesté du cadre.
Malgré la déception de ne pouvoir accéder au sein de la forteresse imprenable, on se délecte de la grandeur historique du site : lieu de tournage du film Les Choristes, le château de Ravel est avant tout un château royal du XII° siècle. Le jardin à la française, conçu par André Le Nôtre (jardinier de Louis XIV), dessine une parfaite géométrie avec quatre ifs tricentenaires taillés en cône au centre de pelouses délimitées par des allées en croix. Les douves, les grandes terrasses dominant la vallée, les escaliers circulaires en pierre confirment tout le poids historique du lieu. Alors, comment mettre un tel site en scène pour opérer un mélange des époques réussi ?
Une fois de plus, Le Château Perché a gagné son pari d’inscrire la musique électronique dans un lieu historique, loin des zones industrielles de Détroit, berceau de la musique techno. Tout d’abord, cinq scènes sont disposées sur l’ensemble du site : comme pour faire écho aux productions millimétrées des DJ, le jardin et sa précision versaillaise accueille une scène, « Le Belvédère ». Au centre des quatre cônes, un bassin circulaire fait de quatre bancs de pierre est transformé en espace chill. Autour des canapés, le travail artistique renforce la quiétude du jardin. Derrière, la scène dessine une magnifique carte postale de la vallée avec le DJ en personnage principal. Plus haut, on emprunte un escalier royal pour accéder à « Terre Brûlée ». Une balançoire berce les rêves éveillés des festivaliers, toujours sous le charme de cette vue royale. Plus loin, « l’Etable » s’est établie dans une cour intérieure, à côté des douves médiévales, éclairées par des néons flottants. A l’orée du bois, « Le Purgatoire », son petit chapiteau, ses installations mystiques, ses balançoires-canapés et ses toiles géantes, définit en langage perché un « espace enflammé de passage provisoire, entre damnation et bénédiction éternelle, qui questionne, transcende les normes et les possibles ».
De l’autre côté du château, le mapping projeté sur les majestueux remparts prolonge dans la nuit les éclats du soleil couchant juste au-dessus de la dernière scène “Paradis suspendu”. Très réussi, l’aménagement du château nourrit toutefois quelques regrets : dans ce décor très travaillé, les rubans de signalisation rouge et blanc, les sanitaires mobiles en plastique, les barrières de chantier, le vendeur de bangs et de briquets ou le food truck américain et ses parasols Coca-Cola donnent un peu trop de réalité marchande au rêve immatériel. Une faute anachronique pardonnée vu le travail réalisé.
Partout, des créations artistiques fantasmagoriques invitent chacun à encenser ses sens pour construire son propre monde et s’envoler vers son château ambulant. Car la force du festival réside là : pluridisciplinaire, le Château Perché propose une variété artistique exhaustive. Du théâtre, du cirque, de l’art vidéo, mais aussi un tatoueur et un coiffeur comblent les envies perchées des festivaliers. Les espaces de médiation et de yoga, ou ceux de confections artistiques rappellent l’ambiance de certains espaces berlinois où les festivaliers ne sont pas seulement consommateurs, mais aussi acteurs : ils sont eux aussi le décor, la lumière, le mouvement. Le concours de construction de Totem en est l’illustration. Le thème, “Les Lumières de mon enfance”, pousse quelques festivaliers à aller chercher dans les pupilles de l’autre le plaisir visuel. Mais la reine du week-end reste toujours la même : la musique électronique et ses différents sous-genres, de la techno explosive à la deep house ensorcelante. Des groupes locaux aux artistes internationaux plus renommés tels que Roman Poncet ou Jack de Marseille, la programmation offre une diversité unique, bien que les fans de transe ou de psytrance auront noté l’absence de ce genre pour cette édition.
L’expérience à la fois auditive et visuelle du festival invite à la libération des corps, ces corps dont les affublements et les danses déchaînées ne sont pas contraints ni jugés. Aucun code des corps n’est promu dans cet espace-temps hors norme. L’esprit de Ravel prévient : “Estomac sensibles à la différence, s’abstenir”. Entre visuels psychédéliques et interventions artistiques atypiques, Château Perché est une soupape d’imagination et d’évasion qui assure un voyage hors du commun. “L’éthique Perchée” considère « tout être entrant dans l’univers du château perché comme une Partie indispensable de la Fable du bonheur, comme un artisan du succès du Processus de Perche ». Cette Fable du bonheur, chacun semble la conter en soi-même tout le festival durant. Les sourires partagés, les danses enjouées, les relations apaisées témoignent d’une perche saine et sereine. Kathy, directrice artistique du festival, expliquait : “Le Château Perché, c’est comme au Berghain, où tu as un mouvement, un son qui te transporte, pas besoin d’alcool : c’est l’extase, sans ecstasy.” Pourtant, les amphétamines, ecstasy et autres acides ont bel et bien envahi les corps et les esprits. Simples artifices devenus véritables artéfacts, les psychotropes posent la question de la sincérité de cette perche. Art du vivre ensemble et perches individuelles peuvent-ils aller de pair quand chaque rapport à l’autre semble dénué de toute spontanéité ? Loin de compromettre la Fable du Bonheur, l’omniprésence des drogues semble travestir la morale de l’histoire. “Le Château dans le Ciel”, son décor grandiose, sa poésie magnifique et ses couleurs psychédéliques qui écrivent cette extase perchée, ressemble davantage à un Château de cartes, lorsque le soleil levé éclaire les visages amorphes des festivaliers.
Comme pour compenser l’interdiction préfectorale, le soleil fut roi dans ce décor castral, avec deux couchers et deux levers qui comblèrent les pupilles du public. En ce lundi après-midi, tous n’avaient plus qu’à remercier l’organisation parfaite du festival : la présence de douches, la bienveillance de tout l’encadrement (sécurité, secours, bénévoles), la propreté des lieux et le prix correct des consommations (5€ la pinte) ont participé à sa réussite totale.
Dans le théâtre des rêves du Château Perché, rien ne pouvait arrêter le voyage heureux de cette horde de mélomanes “Agissez comme des adultes, ressentez comme des enfants” préconisait l’organisation. Après trois jours au Château, le chat perché repartait la queue levée*.
Crédits Photographies : Pauline Molozay Photographie – Officiel © Droits Réservés
* “Si le chat a la queue verticale, c’est qu’il est en confiance” OSS117