En ces temps incertains, où la France (pour ne pas dire l’Europe) est gangrénée par un rejet de l’autre, l’heure est à la décompression. Et pour y parvenir, rien de mieux que d’écouter le tout dernier album de TTRRUUCES, « JJUUIICES », sorti fin octobre.
Il y a quelque chose de rafraîchissant qui anime le duo TTRRUUCES : certes, leur nom est improbable et on a l’impression de bégayer à chaque fois qu’on le prononce… mais ses deux protagonistes (l’anglaise Nathalie Findlay et le français Jules Apollinaire) sont toujours aussi attachant. En 2020, ils avaient dévoilé leur premier opus, éponyme, sensé nous ouvrir les portes de leur monde imaginaire : cette mission avait été atteinte haut la main, avec un album pop et perché, groovy et touchant à la fois. Allez jeter un œil sur leur site internet, vous comprendrez vite que ces deux-là en ont sous le coude !
Quelques années plus tard et de belles premières parties assurées (comme celles de Baxter Dury), TTRRUUCES est donc revenu cet automne avec « le » successeur de « TTRRUUCES ». La tâche était franchement ardue : il y a là toute la difficulté de sortir la suite d’un album salué par la critique qui soulignait, justement, la richesse de ce dernier. Et lorsqu’il est difficile de coller une étiquette à l’univers musical du groupe, à quoi s’attendre sur « JJUUICES » ?
A vrai dire, la même. Autant casser le suspense d’emblée : TTRRUUCES, en reproduisant une partie du schéma de son premier opus, nous gâche l’effet de surprise et une partie de la dégustation proposée. On pourrait presque se dire que le groupe n’a pas osé trancher un genre musical sur ce disque, qu’il s’accorde encore un peu de temps. Et pourquoi pas après tout !
Toutefois, et c’est là qu’il y a de la créativité en barre, c’est que TTRRUUCES parvient encore à nous proposer toutes sortes de confiseries avec des goûts auxquels nous n’avions pas été confrontés. On va d’abord laisser de côté la track d’ouverture, You make me feel good, qui aurait pu figurer sans le moindre doute sur un album de La Femme, d’autant plus que c’est le français Jules Apollinaire qui pose sa voix. Forcément, cela renforce ce constat.
La suite, elle est belle et elle redonne le smile (et on en a bien besoin) : il suffit d’aller juste à la piste suivante, STFU, où TTRRUUCES nous sert un rock psyché pêchu à point, boosté par des synthés à la fois pop et old school, comme si le duo s’amusait avec les danois de The Asteroids Galaxy Tour. Franchement débridé, TTRRUUCES va chercher à nous faire monter dans les tours et très vite : Snakes devient brûlant, les guitares prennent de l’épaisseur et les machines sont de sorties. Attention, supersub en vue !
TTRRUUCES adore détourner les codes et se les approprier, rien ne semble les arrêter : vous aimez l’électro/swing, comme à l’époque des Caravan Palace ? Alors Luxury of self destruction devrait vous plaire. Le phonographe est samplé, les claquements de doigts aussi, mais TTRRUUCES aime apporter sa touche, comme à chaque fois : les guitares reprennent du service et c’est le duo qui enveloppe le titre de leur voix. Et TTRRUUCES n’hésite pas à poursuivre sur ce chemin qu’il a toujours apprécié : The big goodbye joue de son effet rétro, type 20/30’s, et on finit par tous taper des mains !
Dans ce grand défrichage des genres, TTRRUUCES marque pourtant le pas par endroit, comme sur les pistes plutôt folk (Arrow) ou sur un Cherry cola, en espagnol, qui manquent un peu de profondeur. C’est dommage car ces escapades folk, agrémentées de cuivres et d’un peu plus de rythme, fonctionnent sans problème comme sur Another day. On sent bien que TTRRUUCES a essayé de mettre un peu plus l’accent sur ces influences mais la pop et le psyché leur collent bel et bien à la peau (On the run).
Tainted blue, en guise de final, nous rappelle à quel point TTRRUUCES a plusieurs cordes à son arc : la compo est un véritable bijou, elle soulève un vent chaud venant du far west avant de finir dans une ballade pop, faite de piano et de violon… avant de tout emporter dans un souffle digital. Une merveille qui ponctue l’album et qui nous laisse là, seul, à la fin du disque… presque déboussolé !
TTRRUUCES, « JJUUIICES », disponible depuis le 20 octobre 2023 chez AntiFragile Music (11 titres, 36 min).