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Quatre ans de révolte, de rage au ventre, de mots à gueuler à tout va. Quatre ans plus tard, la colère laisse place à l’amour. « Pornographie » est amputée de quelques lettres et se transforme en « Porcelaine ». Changement de décor… intégral.
A l’époque de « Pornographie », Luke dressait le portrait d’une France ivre. Ivre dans ses idées, biberonnée aux extrêmes ; ivre dans sa façon de faire, où consumérisme tapinait avec faiblesse d’esprit. En rejetant d’un bloc tout ce qui excite et enrichit nos sociétés capitalistes, Luke s’était mué en Damien Saez le temps d’un album, du moins dans les sujets abordés, son rock aiguisé au couteau et dans le style chanté. Si le dernier personnage cité est complètement imprévisible, le premier l’est sûrement tout autant… Certes il ne sort pas un triple album en quelques mois d’intervalle, mais chaque création est vue comme un projet ou une philosophie.
Par temps de rage, un échappatoire s’impose. Et comme tout échappatoire, la rupture peut s’avérer brutale… « Porcelaine » représente l’ailleurs. « Porcelaine », c’est autre chose, un fragment de l’âme de son créateur qui, visiblement, était bien enfouie. Ici, pas de transition. Juste 10 titres, un format donc assez court, pour montrer l’envers du décor.
La noirceur de la vie, du quotidien ou des regrets, est toujours-là. Trace indélébile laissée par le temps, elle ne partira pas d’un claquement de doigt. En toute subtilité, elle est même en filigrane en lisant entre les lignes… Avec Sauvage et fugitive, c’est l’omniprésence des synthés qui fait comprendre que les temps changent : les blessures de la vie prennent des tons pop et Thomas Boulard tente la fuite. Ces coups encaissés, ils s’expriment sur différentes compos, avec plus ou moins d’émotions. Ici, on se focalise avant tout sur la présence humaine, à ce à quoi on peut finir par se raccrocher : cela fonctionne aisément sur le titre éponyme de l’album, Porcelaine, qui voit arriver les clap clap sur un fond disco/pop. « Perdu dans ce désert moderne (…) en surface la vie est belle (…) à quoi tu penses dans le reflet de l’existence ?« .
Plus loin, ce mot d’ordre se répète mais le résultat est plus mitigé comme sur Flèche, très Bowie, ou Danse dans la nuit. Aucun doute, c’est assez déconcerté que l’on constate l’enchainement des pistes pop envahissant l’opus. Finalement, c’est sur On est pas des machines qu’un semblant d’équilibre se dessine : rock et pop s’offrent une belle parade et des notes des débuts de l’artiste font leur mue.
Finalement, c’est sur la seconde partie de l’album que l’étau se desserre : à l’exception d’un C’est immense qui fait allusion à des plaisirs simples de la vie mais aussi à des créations de Gaëtan Roussel, en solo, plusieurs pépites se laissent approcher : Dis moi tend la main à un titre à l’apparence acoustique qui va devenir saturé ! La douceur se mêle au rock mais aussi aux machines et les expérimentations sonores s’avèrent être particulièrement réussies. Si notre esprit en ressort tourmenté, On rêve fera méditer. La balade pop/guitare sèche revigore en apportant un sursaut positif (« on rêve de laisser quelque chose dans cette vie couleur ecchymose »).
Pourtant, c’est bien sur Libre que tout bascule. En clôture d’album, l’heure est à l’abandon et au lâcher prise, un choix assumé presque symbolique par rapport à la silhouette dessinée sur cet album.
Quand « Pornographie » éjaculait sur le monde, le rock saillant était le meilleur allié. Lorsque les entailles sont si profondes, le temps n’est plus à la dénonce mais à celui de trouver des réponses. « Porcelaine », c’est une réponse apportée à « Pornographie », comme pour s’en protéger. Avec ce raisonnement poussé à l’extrême, il semblerait finalement que ces deux albums ne forment qu’un, comme le « Hypnotize » de « Mezmerize » de System Of A Down. Il est-là, le génie.
Il est évident que, musicalement, le fossé entre les deux albums est énorme. Bien sûr, on peut aussi dire que « c’était mieux avant » à cause de cette chrysalide pop. Là, ce n’est plus qu’une histoire de goût et d’affinité musicale. Chacun reste son meilleur juge !
Luke, « Porcelaine », disponible depuis le 15 mars 2019 chez Verycords (10 titres, 37 min.)