Temps de lecture : 5’40
La crise sanitaire que nous traversons actuellement impacte, sans exception, l’ensemble des métiers liés à la vie culturelle. Après être parti à la rencontre des attachés de presse, en freelance et en agence, ce sont à présent deux labels indépendants qui ont accepté de répondre à nos questions pour évoquer les conséquences du Covid-19. Nous remercions Nolwenn Migaud (de Banzaï Lab, à Bordeaux) et Yannick Legrain (d’Irfan, le label, à Alba-la-Romaine) pour le temps accordé.
Travailler dans un label c’est, comme souvent dans le milieu de la musique, être passionné. Et quand on choisit d’être libre et indépendant, cela nécessite surtout d’être multicasquettes. A Alba-la-Romaine, en Ardèche (07), Irfan touche à tout : avec un salarié à temps plein, Yannick Legrain, et trois autres temps partiel, la petite structure montée par Les Ogres de Barback en 2001 est sur tous les fronts pour mettre en avant et rendre accessible la musique alternative. D’ailleurs, le label a fait tomber les frontières du genre puisque « Irfan est à la fois producteur, label et distributeur de disques et, maintenant, nous sommes aussi éditeur et diffuseur de livres » affirme Yannick.
Cette stratégie de développement n’est pas un cas isolé, elle est à présent monnaie courante pour des labels qui ne peuvent pas se permettre de ne compter que sur des distributions d’albums : à Bordeaux (33), chez Banzaï Lab (créé en 2007), le label a aussi développé d’autres facettes que la distribution de disques avec notamment le booking d’artistes, la production d’événements ainsi que la mise en place d’un dispositif de développement artistique.
Autrement dit, un label correspond à un pôle stratégique qui peut se retrouver quasiment sur tous les maillages artistiques : de la création à la production et de la promotion à la diffusion de la création. Une boucle complète qui est donc, aussi, impactée sur l’intégralité de sa chaîne par la crise du Covid-19.
Le confinement a, d’emblée, impacté fortement les activités du label : « avec la fermeture des magasins, les commandes se sont arrêtées » nous confie Yannick Legrain. En effet, il était devenu impossible de distribuer un album physique pendant la période de confinement car, outre le fait que les déplacements étaient limités, les disquaires et autres enseignes distributrices se retrouvaient fermés… Chez Banzaï Lab, où les sorties peuvent être physique et/ou digitale, « le label a pu assurer la promotion et la distribution d’un EP durant le confinement » précise Nolwenn Migaud (en l’occurrence Slumb, chroniqué entre nos murs). Coup de bol, le confinement a aussi correspondu à une période où le label souhaitait être plus présent sur des plateformes du streaming tels que Spotify, la voie était ainsi toute tracée. Mais c’est sans surprise que les branches annexes du label, les pôles « spectacle » et « booking » se sont retrouvées à « l’arrêt total » pendant toute cette période.
La gestion du travail, au quotidien, s’est largement modifiée : les deux structures sont logiquement passées en mode télétravail pendant le confinement et cela n’a pas empêché les difficultés d’apparaitre. D’abord, « le plus dur a été de ne pas savoir vers où nous allions et de ne pas avoir de retours concrets des institutions publiques » déclare Nolwenn Migaud. Du côté d’Irfan, si l’équipe se réjouit du boulot fourni par le SMA (Syndicat des Musiques Actuelles) en matière de transmission d’informations sur la situation, ce qui a le plus coincé était « de savoir quand et comment allait reprendre l’activité dans les grandes enseignes de la distribution ». Il est clair que « les labels ne faisaient pas partie de leur priorité » raconte Yannick Legrain. Forcément, le chômage partiel s’est donc imposé pour sauver la structure.
Si les sorties prévues au printemps n’ont, en grande majorité, pas pu avoir lieu, c’est aussi la gestion des sorties à venir qui est abordée différemment. Chez Banzaï Lab, la promo est un peu en pause cet été pour repartir plein gaz en septembre. Et septembre fait peur car « il va y avoir un gros embouteillage au niveau des sorties d’albums, c’est inévitable ! » s’inquiète Nolwenn Migaud. Associé au risque de ne pas pouvoir repartir en tournée, le label bordelais a d’ores et déjà choisi de repousser deux sorties d’albums prévues.
Le doute est aussi de mise à Irfan puisqu’il y une belle sortie en prévision à la rentrée (un double-live des Ogres de Barback pour les 25 ans) mais c’est intimement lié à la reprise de la tournée des Ogres de Barback justement. « La communication autour de cet album s’appuie avant tout sur la scène » affirme Yannick Legrain qui rappelle, aussi, « l’absence de visibilité absolue en ce qui concerne le spectacle vivant ». Il faut dire que les artistes sur le label (Les Ogres de Barback, La Rue Kétanou, Loïc Lantoine, Gari Greu, Moussu T e lei Jovents…) appartiennent « à cette famille de la scène plutôt qu’à celle des plateaux TV ou des radios » renchérit le gérant d’Irfan. A moins d’un mois de la rentrée, la position de chacun est donc plus que jamais d’anticiper.
Malgré la levée du confinement, être un label indépendant au temps du Covid-19 implique de continuer à naviguer en terrain inconnu. La réouverture des magasins ne rime pas nécessairement avec reprise des activités. Si un dossier a été monté pour tenter d’obtenir des subventions du fonds de secours des distributeurs, il n’y a, pour l’heure, « aucune nouvelle » chez Irfan. De plus, « les commandes des magasins sont loin d’avoir repris le niveau d’avant-crise. Actuellement, c’est surtout de la commande client » qui constitue l’activité actuelle observe Yannick Legrain. En Gironde, on anticipe que la distribution se fera avec « des commandes de vinyles qui présentent les mêmes délais qu’auparavant », donc la confiance est de mise.
En parallèle, chacun attend le retour des concerts pour pouvoir relancer véritabelemnt la machine : les deux structures ont du annuler la quasi-totalité de leurs événements. Il y a bien eu les livestream pour rester actif mais cette pratique n’est pas au goût de tous, « Les Ogres, par exemple, est un groupe de scène qui a besoin d’avoir son public en face de lui » rappelle Yannick Legrain. A ce jour, un seul festival a été maintenu pour Les Ogres de Barback (à Miramont, demain, dans le Lot-et-Garonne).
Si l’été est bien enterré, les deux ne cachent pas surtout leur envie de reprendre les concerts à travers de nouveaux formats pour la rentrée : « il faut reprendre les événements, tranquillement avec des petites jauges, mais il faut reprendre les événements » pour Nolwenn Migaud. Même son de cloche en Ardèche où si les concerts ne peuvent pas reprendre, « des réflexions sont actuellement menées pour faire des concerts sous d’autres formes originales, et avec du public » annonce Yannick Legrain. D’ailleurs, spoiler-alert, le label est « en train de travailler sur une jolie idée des Ogres » confie le gérant, mêlant intimité et respect des gestes barrières. Affaire à suivre !
Enfin, nous avons cherché à savoir si cette fameuse période du confinement avait changé les comportements des journalistes spécialisés mais aussi des amateurs de musique. Avec l’arrêt progressif des concerts à la fin de l’hiver, il était légitime de penser que les chroniqueurs se tournent davantage vers des récentes sorties pour assouvir leur soif de découvertes. A notre grande surprise, la réponse formulée a été négative. Pour Nolwenn Migaud, cela s’explique par le fait « beaucoup de rédactions, que ce soit pour la presse ou la radio, ont été à l’arrêt, en effectif réduit ou juste totalement tournées vers les informations ». Toutefois, « le constat diffère un peu pour les journalistes passionnés qui ont l’habitude de travailler avec le label et de suivre ses sorties » rappelle la chargée de presse bordelaise.
Pour terminer, les deux labels reconnaissent aussi que, pendant le confinement, la période n’a pas été synonyme de nouveaux démarchages de groupes qui souhaiteraient rejoindre le label. Chez Irfan, on a même constaté qu’il y a eu « moins de sollicitations qu’en temps normal ». De quoi éveiller de nouvelles interrogations pour la rentrée : « les groupes qui se sont doutés que la période n’était pas propice au démarchage de label vont-ils nous solliciter en septembre ? » s’interroge Nolwenn Migaud.
Dans tous les cas, la reprise s’annonce chargée. Et ce à tous les niveaux.