En plein confinement ‘première vague’, le toulousain Al’Tarba nous proposait ses expérimentations musicales chaque vendredi en ouvrant les portes de son cabinet des curiosités. Quelques mois plus tard, l’artiste les rassemblait sur un premier volume avant de pousser sa créativité encore plus loin : « La fin des contes » marque le retour aux affaires en solo d’Al’Tarba… et c’est toujours quelque chose.
Al’Tarba a toujours eu de multiples casquettes : outre la sienne, il en a une avec ses potes du Droogz Brigade, ainsi qu’avec Senbeï (aka Rogue Monsters). Et quand il n’en porte pas vraiment, il collabore avec de nombreux artistes pour croiser les univers et les influences. Bref, Al’Tarba ne s’ennuie jamais et il a toujours su trouver un parfait équilibre entre les projets coopératifs, ses envies d’explorer encore un peu plus le genre et, aussi, le dépasser : ses créations sur « Le cabinet des curiosités », en toute décontraction, ont visiblement ouvert les chakras de l’artiste pour la suite de sa carrière musicale.
« La fin des contes » succède, concernant les créations solo pures, à « La nuit se lève » (2017) et « Let the ghost sings » (2014). Chacun de ces albums se nourrit des projets annexes précédents ou de ses EP’s, rien n’est laissé au hasard. « Let the ghost sings » était marqué par du noir, du sombre, de l’envoutant ; « La nuit se lève » se digitalisait, haussait le ton, revêtait un côté plus urbain. Sur « La fin des contes », on sent bien qu’Al’Tarba a été autant attiré par l’hybride que par le souci de complexité. Une complexité sonore léchée faite pour nous bousculer.
Cet art de jongler entre nos sens et notre appréhension, il constituerait presque le fil rouge de ce disque : plusieurs exemples sautent aux oreilles comme Rentrée des classes, morceau marqué par un trip hop poisseux qui fonctionne toujours aussi bien, malmené par un instituteur fan de jungle préférant finalement la hardtek. Le constat se répète sur Fireflies, sorte de Guibli version hip hop originaire du sud-ouest, où les lucioles se mettent à l’heure du digital. Plus loin, c’est sur Old dragon, réveillé par un post-rock étonnant, que l’on se retrouverait presque subitement dans les bas-fonds des mines de la Moria.
Au milieu de ces turbulences, Al’Tarba va toutefois prendre le temps de se poser : d’abord, les contes y occupent une place particulière (le nom de l’album n’est pas un hasard). Les trois contes sont là pour montrer une mutation, une prise de conscience, une violence aussi qui entoure l’auditoire. Il y a de la douceur et du coton, par moment, et on s’y délecte bien volontiers : Hush little bay est une véritable pépite ! Sur des envolées presque pop, Bianca Casady (Cocorosie) donne le ton et on nage dans du velours. Plus loin, Back to the ghostland a beau prendre des sonorités métalliques flirtant avec le dubstep, c’est finalement une petite hispanique décochée par Paloma Pradal qui vous cloue au sol.
Adepte du contre-pied, Al’Tarba va réussir à sortir des sentiers battus en gardant cet ingrédient qui en fait sa marque musicale : sur Burnin‘, en se croirait évoluer aux côtés des MC d’Asian Dub Foundation le temps d’un couplet pour finalement évoluer dans un hip hop rugueux, bien porté par Lyricson, Mad Squablz et King Mazo. Ce cocktail va prendre une toute autre forme lorsqu’il va nous proposer Little girl, une bombe punk, faite de rock suant et de riffs saignant ! Cette hargne qui somnolait (à peine), elle va déferler avec Le festin, dévoré par la Droogz Brigade sans aucune retenue. Un rap puissant poussé par des beats aiguisés au couteau, Al’Tarba a tombé le masque.
C’est finalement sur une parade, une ode aux contes classiques et modernes, que l’artiste conclue de la plus belle manière « La fin des contes » avec un titre éponyme qui transpire le rap à l’ancienne, celui qui s’auto-suffit et qui brille même quand tout s’effondre : sublimé par les vers de Dooz Kawa, c’est avec le poil hérissé que ces 54 minutes se ponctuent.
Sans surprise, encore une très belle mouture pour Al’Tarba. On commence à s’y faire.
Al’Tarba, « La fin des contes », disponible depuis le 6 mai 2022 sur I.O.T. Records (15 titres, 54 min.)