Rencontre avec Lucas Santtana

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Profitant de son passage au festival Fiest’A Sète le 2 août dernier, en première partie de l’immense artiste brésilien Gilberto Gil, nous avons pu interviewer Lucas Santtana. Très détendu avant son entrée sur scène, il nous a parlé de sa musique, de ses racines brésiliennes et de sa vie à Montpellier. Une interview réalisée avec nos collègues de Let’s Motiv et rendue possible grâce à Lullaby.

Quand on se penche sur votre parcours (déjà 9 albums au compteur), on remarque vos débuts auprès d’artistes alternatifs tels que Chico Science puis Gilberto Gil jusqu’à une pratique plus minimaliste aujourd’hui avec un retour à la guitare-voix. Une voix douce particulièrement touchante qui vous caractérise d’ailleurs. Votre message semble également peut-être même plus revendicatif qu’avant ?

En fait je pense que ma manière de chanter a toujours été douce, quels que soient mes albums. Ce qui change, c’est l’instrumentation, c’est la proposition. Sem Nostalgia par exemple, c’est un album qui fait écho à la tradition guitare-voix brésilienne. Dans 3 sessions in a greenhouse j’ai utilisé la technique dub sur les sambas ou sur les Baile funk. Donc dans chacun il y a une idée différente mais je pense que je chante toujours de la même manière. Ma voix est comme ça. Les questions politiques, existentielles sont en revanche présentes dans tous les albums. Ces thématiques ont toujours été là.

Statue de Chico Science à Recife (Brésil)

Dans le dernier morceau que vous avez sorti avec iZem vous revenez vers quelque chose de plus électronique. Y-a-t’il là un désir d’aller vers d’autres styles, de voyager entre les genres ?
Les morceaux avec iZem sont en réalité assez proches de ce que j’ai fait dans l’album Sobre Noites e dias dans lequel il y a beaucoup de sons synthétiques, de basses et de boite à rythmes. Pour chaque album, en fonction de la couleur que je veux lui donner, je vais me plonger à fond dans la technique et étudier à fond les choses.

Je ne suis pas un artiste qui va faire la même chose tout au long de sa carrière car je m’intéresse à tous les styles. En même temps la chose qui a vraiment défini mon travail est le fait que quand j’avais 12 ans, ma mère m’achetait chaque semaine des vinyles. Une semaine cela pouvait être Beethoven puis Miles Davis jusqu’à Michael Jackson (dont on entendra quelques bribes pendant le concert de ce soir, ndrl). Et d’une manière inconsciente, j’ai compris que les fondements de la musique sont les mêmes : le rythme, la mélodie et l’harmonie.

Tout le temps, j’essaie de mélanger les styles. Si j’entends quelques chose de nouveau j’ai envie de comprendre comment cela fonctionne. C’est vraiment ce qui m’intéresse.

C’est un peu la culture brésilienne qui est comme ça ? Quand on voyage dans ce grand pays, c’est ce que l’on ressent d’ailleurs. J’ai lu dans une de vos interviews que vous vous intéressiez particulièrement à la culture afro-américaine que l’on retrouve beaucoup autour d’Olinda ou Recife avec le Maracatu par exemple et en même temps les expériences des indiens en Amazonie. Comment tout ça s’intègre dans vos projets ?

Quand tu vas étudier Chiquinha Gonzaga, pianiste des années 20, c’est déjà plein de toutes ces influences. La culture brésilienne est comme ça. Dans les années 50-70, toutes les musiques brésiliennes intègrent ces éléments. En ce moment je m’intéresse à la linguistique et je lis un livre merveilleux qui raconte l’histoire de la langue brésilienne. En France vous aimez dire brésilien alors que c’est bien du portugais du Brésil. Mais il est vrai que jamais au Brésil, la langue portugaise du Portugal n’a vraiment été parlée. Très rapidement, les langues africaines, indigènes et portugaise se sont mélangées pour former notre très belle langue. Donc pour moi c’est assez simple de mélanger toutes les cultures musicales car je suis né comme ça.

Vous avez un attachement particulier à la France ? Vous habitez d’ailleurs à Montpellier depuis quelques années. Qu’est-ce qui vous a amené ici ?

Cette région Occitanie m’a attiré. Pour expliquer j’aime beaucoup la culture du Forró. C’est une musique que l’on entend pendant la Festa junina (qui se déroule au mois de juin). J’ai découvert que cette fête est née en Occitanie au Moyen-Âge car c’est la fête qui arrive après le printemps pour célébrer le solstice et les récoltes. Après l’avoir combattue, l’église a absorbé cette célébration pour l’intégrer à son calendrier alors que c’est une fête païenne. C’est donc un lien fort entre le Brésil et l’Occitanie pour moi. C’est une belle coïncidence pour moi-même si je ne suis pas venu à Montpellier pour ça.

Et peut-être la proximité de la mer par contre ?

C’est ça bien sûr (rires) ou le soleil !

On aimerait pouvoir comprendre vos textes qui parlent de politique ou de Nature. On le ressent à travers certains de vos clips. On sait tout ce qui s’est passé sous l’ère Bolsonaro. Quel est votre regard sur la France en vivant dans ce pays aujourd’hui ? On a commencé à vous entendre chanter en français, est-ce que c’est un sujet dont vous pourriez vous emparer ?
Oui bien sûr. Mon travail c’est regarder les choses, en faire une interprétation. Et récemment j’ai fait deux nouvelles chansons en français. Mais franchement il est difficile d’écrire en français. Pour t’expliquer, j’ai également écrit une chanson en italien qui est une traduction littérale de ce que j’ai écrit en portugais. Je l’ai fait lire à mes amis et les métaphores marchent parfaitement. Mais en français ça ne marche pas.
L’autre jour mon fils m’a montré un livre de Jacques Prévert. Quand on le lit en français, c’est magnifique. Mais quand on le traduit mot à mot en portugais, c’est nul. Il a donc un problème en brésilien et français dans l’utilisation des métaphores !


C’est certainement une chose qui va venir avec le temps. Vous nous expliquiez être intéressé par la linguistique. La langue c’est notre vision du monde, c’est la manière dont on projette les choses. Et effectivement penser dans sa langue pour avoir un équivalent dans une autre ne marche pas forcément.
Exactement et en même temps la langue brésilienne est super mélodique. Même avec des mots simples, la mélodie de la langue va beaucoup toucher les gens. Dans la chanson française, la force ce sont les paroles, pas forcément l’aspect mélodique. Si tu veux chanter en français, tu as vraiment besoin d’écrire super bien car c’est ça qui va impacter les gens. Mais je vais essayer !


Vous avez un attachement particulier à des artistes actuels ? Vous nous avez dit que vous étiez curieux de nouveautés ?
J’adore par exemple Jorge Drexler, un compositeur uruguayen qui habite à Madrid. Il écrit super bien, c’est très créatif. J’ai également écouté Voyou qui a une chanson qui s’appelle Il neige que j’adore. Il a capturé le ressenti de l’hiver. Pour moi c’est un sentiment très nouveau. J’ai vu pour la première fois la neige tomber, à Paris, en 2021. C’est quelque chose que je serai incapable de décrire alors que Voyou le fait très bien.


Et aujourd’hui quel est votre lien avec la Brésil ? Ou est-ce que votre carrière est aujourd’hui uniquement en France et en Europe ?
Oui, on peut dire que ma carrière de déroule majoritairement en Europe. Mais j’étais au Brésil la semaine dernière pour trois concerts. Je veux maintenir quelques projets dans mon pays. Je pense qu’ici, pour la musique créative indépendante, c’est mieux. Ici, on peut avoir ses morceaux qui passent à la radio alors qu’au Brésil il faut payer 100 000 reales pour que son morceau soit diffusé pendant 3 mois. Il y a une véritable mafia qui fait qu’il est très difficile aux artistes indépendants d’accéder à la radio.

Il n’y a pas de radios comme FIP, radio France ou NOVA qui diffusent des morceaux de toute la planète. Il y a une mainmise politique sur la radio au Brésil. Et ce sont les choses les plus populaires qui vont être diffusées sans place pour les approches expérimentales. J’espère qu’avec Lula la culture va changer et que la diversité trouvera une place pour s’exprimer.

Vous dites que la scène au Brésil est fermée et que l’Europe est plus à l’écoute des musiques expérimentales brésiliennes et que c’est peut-être plus une terre d’accueil pour ces musiques ?
Pas seulement pour la musique brésilienne. Il y a de l’espace pour la musique africaine. Souad Massi par exemple a beaucoup d’espace pour sa musique en Europe, et pas du tout au Brésil. J’ai également découvert beaucoup de groupes dans les festivals. Ici il y a une ouverture pour d’autres types de musiques ou de cultures.

Une fois l’interview terminée, nous avons pu profiter de cette incroyable soirée brésilienne magnifiquement lancée par Lucas Santtana. Elle s’est poursuivie tard dans la nuit sétoise avec Gilberto Gil, entouré par une grande partie de ses enfants et petits-enfants qui l’accompagnent désormais sur scène. L’occasion de redécouvrir des titres qui ont bercé nos oreilles jusqu’à l’étonnante chanson Touche pas à mon pote, écrite en 1986 à la demande de Harlem Désir.

Crédits photos : Olivier Scher

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