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Une semaine après avoir rencontré des attaché.es de presse indépendants évoluant en solitaire, Le Musicodrome est parti questionner d’autres attachés de presse évoluant cette fois à travers des structures pour échanger sur la crise sanitaire en cours et son impact sur le monde culturel. Aurélie Boutin et Clothilde Bernard (Lullaby Communication, Montpellier), Julien Oliba (Mathpromo, Toulouse) et Nolwenn Migaud (Banzaï Lab, Bordeaux) ont accepté de répondre à nos questions.
Ce sont des acteurs de l’ombre et, il est vrai, que le grand public n’est pratiquement jamais en contact avec les attaché.es de presse. Qu’ils soient en solo ou organisés en structures, ces derniers ont été aussi frappés de plein fouet par la crise sanitaire du Covid-19 depuis la fin de l’hiver. Tous, sans exception, soulignent l’urgence de la situation afin d’éviter d’atteindre le fameux point de non-retour. Le métier d’attaché.e de presse, il implique le vivant. Le vivant rime avec création mais aussi avec échanges. Être attaché.e de presse, « c’est défendre, au quotidien, des artistes, des événements culturels, des festivals » (Julien Oliba).
Ici, chacun choisit son crédo et fait exprimer le métier en fonction des filtres que la structure en envie d’y mettre : chez les Lullaby Communication, l’événementiel est le prisme privilégié de l’agence alors, forcément, en temps normal, l’éventail des interactions s’agrandit. La communication autour des événements peut revêtir plusieurs formes, « par les relations presse, la création et l’impression des supports presse et promo, les partenariats et les opérations média, les achats publicitaires, la promotion terrain ou encore les campagnes digitales » explique Clothilde.
Du côté de Banzaï Lab, c’est sous la houlette du label alternatif bordelais que le métier d’attaché de presse s’exprime pour Nolwenn. Il permet de rappeler un maillon clé du métier : celui des échanges, perpétuels, entre des acteurs fondamentaux du monde culturel, à savoir « les artistes, les tourneurs, les salles de concert et les festivals, les médias, des partenaires et les pouvoirs publics » rappelle Nolwenn.
L’attaché de presse défend donc la création, pour les albums, mais aussi la diffusion par l’intermédiaire des concerts et des festivals.
Dans tous les cas, être attaché de presse implique autant la promotion que de la passion. Et tous le reconnaissent.
Le déconfinement levé et la saison estivale débutée, les mois passés depuis mars n’ont pas pour autant fait disparaître les difficultés rencontrées par le secteur. Le mois de mars, si propice aux sorties d’albums, aux concerts et à l’entrée active dans la promotion des festivals estivaux, cristallise des fragilités qui se sont installées jusqu’à maintenant : dans ce flou perpétuel, il y a d’abord eu de l’espoir : « dès le début du confinement, nous avons malgré tout préparé le lancement de la promotion des festivals du printemps, de l’été et de l’automne et c’est avec un réel déchirement qu’il a fallu communiquer sur ces annulation » raconte Clothilde.
L’art de « faire et de défaire sans cesse », voilà le maître mot des mois de mars et avril chez Lullaby. Nul doute qu’il a été partagé par d’autres. Ce flou institutionnel, associé à un manque de communication criard, est pointé du doigt par l’ensemble des personnes rencontrées. Il englobe autant l’aspect événementiel que celui promotionnel (les sorties d’album). Chez Banzaï Lab, si les pôles « spectacle » et « booking » ont été complètement à l’arrêt, celui relatif à la communication média est resté actif… avec une sensation cependant de travail perdu : « beaucoup de rédactions, que ce soit pour la presse ou la radio, ont été à l’arrêt, en effectif réduit ou juste totalement tournées vers les informations. Donc beaucoup de mails ont été envoyés inutilement sans avoir aucun retour » précise Nolwenn. A Toulouse, « beaucoup de temps a été consacré à l’organisation et à la réalisation de réunions avec les groupes et les labels que nous accompagnons afin de s’adapter à cette situation inédite où personne n’était préparée » renchérit Julien. En tous cas, « les premiers temps, beaucoup ont cru au numérique se disant que toutes ces personnes connectées vont consommer de la musique en ligne mais les chiffres ont rapidement rendu leur verdict : on aime aller vers des choses que l’on connait, réécouter de vieux albums, très peu vont vers de la nouveauté… Les équipes de distributions et labels avec qui nous travaillons ont donc pris la décision de reporter les sorties prévues pendant le confinement » a pu constater Julien.
Le temps, si précieux et si vital, devient alors nécessaire pour s’adapter mais la peur du vide ne peut pas être ignorée. Pour Lullaby Communication, axé exclusivement sur l’événementiel, l’état d’urgence est déclaré : « nous sommes des travailleuses indépendantes et n’avons pas droit au chômage partiel. Les annulations des événements au printemps, ajoutées aux pertes sur la saison estivale représentent 70% de nos activés en période normale » alerte Clothilde. Concernant l’État, elles n’ont pu bénéficier que du report de leurs charges Urssaf entre avril et juin, ainsi que du fond de solidarité pour les TPE pendant 2 mois. Même son de cloche chez Mathpromo, où la structure peut bénéficier également du fond (1 500€ par mois.. divisés par le nombre de personne dans l’entreprise), mais c’est surtout sur leurs réserves personnelles que les deux salariés puisent. Septembre se fait plus que désirer et chacun espère « que les prochaines annonces gouvernementales vont permettre de débloquer des jauges viables au maintien des concerts en salle configurée debout » insiste Clothilde.
Finalement, c’est chez Banzaï Lab que le pire a pu être évitée grâce au fonctionnement de la structure : basée sur une association subventionnée par la ville de Bordeaux et la région Nouvelle-Aquitaine, le maintien de certaines subventions a permis, jusqu’à présent, de continuer à survivre. Nolwenn espère juste qu’il n’y aura pas de mauvaises surprises à la rentrée…
Innover pour survivre. Agir pour éviter d’attendre. Derrière le fameux « été créatif et culturel » d’Emmanuel Macron, il semblerait que la lucidité ait fini par l’emporter : la saison estivale, qui a l’habitude de fleurir le territoire hexagonal, est définitivement enterrée. Outre les recommandations sanitaires formulées par le gouvernement, « il y a eu un désengagement massif des partenaires, qu’ils soient publics ou privés dans les festivals » remarque Clothilde.
La seule façon de réaliser des concerts cet été est donc de respecter la liste drastique des gestes barrières à la charge des organisateurs : « les mesures actuelles sont complètement inadaptées et beaucoup trop loin de la réalité » stipule Clothilde. D’emblée, le constat est implacable : « il est tout simplement impossible de proposer un modèle économique viable » affirme Julien. Il en profite pour illustrer le cas de leur festival toulousain, Samba Al Pais, annulé au dernier moment. Sur le festival Convivencia, l’édition 2020 a pu être maintenue mais sous un format inédit, avec des concerts pour les personnes isolées (en EHPAD, clinique) ou avec des concerts réservés à toute petite jauge. Pour garder le contact coûte que coûte. « Un c’est déjà ça » pour Nolwenn mais qui reconnait, aussi, que « le secteur va devoir être réactif pour y faire face ».
« Être dans l’ignorance, ça rend fou » rappelle Nolwenn. Et il est vrai que ces réponses, tant attendues, le sont à tous les niveaux : dans ce flot d’incertitudes, l’ensemble de ces acteurs attend, plus que jamais, des réponses claires sur la suite des événements. Un accompagnement est espéré « sur la durée pour une reprise viable au-delà de l’automne et de la saison 2021″ chez Lullaby.
Le manque de projection est au cœur des préoccupations et cela continue de tirer sur la corde : « encore aujourd’hui, personne ne peut dire quand vont pouvoir reprendre réellement les concerts et de quelle façon » signale Julien. Et les craintes perdurent, aussi, sur les sorties d’album. Chacun va devoir réussir à se faire une place. C’est l’autre challenge des attaché.es de presse qui sont dans la promo des albums : outre les innombrables reports de dates à l’automne, il se pose la question « de l’embouteillage des sorties d’album à l’automne car beaucoup de sorties d’albums ont également été décalées » s’accordent Nolwenn et Julien.
A la question sur la repense éventuelle du métier, les avis divergent et ils montrent toute la diversité de l’approche : si la crise va laisser des traces profondes dans le paysage culturel, « le bouleversement de notre métier va être inévitable » assure Nolwenn. Les aspects sociaux et écologiques sont à reconsidérer en terme de démarche et, à Bordeaux, la traversée de ces turbulences a créé de « la solidarité et de la compassion que nous avons eu entre acteurs culturel ». Ailleurs, on rappelle que « l’innovation et la créativité sont déjà des perspectives visées par le secteur perpétuellement » (Clothilde) et que ce métier, sans live ni contact, « n’a plus de sens » (Julien).
Tout reste à faire !