LUKE dépeint le monde à Victoire 2 (Montpellier) 29.01

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5 ans après son dernier passage à Montpellier (Rockstore), Luke revenait sur les terres languedociennes avec son nouveau brûlot sous les bras, le fulgurant « Pornographie ». Victoire 2 n’affichait pas complet vendredi soir malgré une salle bien remplie. Pourtant, ce fut le genre de soirée qui sentait la poudre. Une poudre connotée de résistance, de partage et surtout d’union sacrée.

Après la petite heure passée en compagnie de Thomas Boulard peu avant le concert (l’interview sera en ligne très bientôt), il est évident que la petite partie du Musicodrome présente vendredi soir allait vivre le concert d’une manière différente que les fois précédentes. Après avoir échangé, forcément, sur le dernier album, mais aussi partagé quelques pensées sur le monde qui nous entoure, il était impossible de ne pas repenser à certaines phrases du chanteur durant l’interprétation de plusieurs de ses compos. Alors que nous sommes aspirés dans cette nouvelle ère du capitalisme sauvage et malheureusement ambiant, Luke se pose en porte-voix de ceux qui ferment leur gueule et ne bronchent pas. « Pornographie », l’image des corps qui se vendent, dégueule alors de toutes parts. De la télévision, de la toile, des réseaux sociaux, des marchés, des politiques, des discours formatés. De ceux qui sont méprisés aussi ou ignorés, quoique la différence est infime.

En guise de caisse de résonance, Kursed a ouvert la voie avec son rock nerveux, certes en anglais, mais avec une belle énergie à revendre. Luke, pour sa part, a adopté la posture agressive qui colle à son dernier album pour cette nouvelle tournée. Dommage que l’ingénieur du son ait cru comprendre qu’il devait, lui aussi, traduire cette agressivité en balançant une puissance sonore qui a fait exploser les compteurs alors que de nombreux spectateurs s’en sont plaints ! Quand on connaît l’acoustique parfaite de Victoire 2, on peut parler sans crainte de gâchis !

En revanche, malgré le calme stupéfiant dans sa manière de parler et d’assurer les transitions, n’allez pas croire que Luke est venu pour ne rien dire. A l’image de son ouverture, Warrior, qui déglingue à tout va, le rythme du concert sera soutenu pour monter en puissance au fil des minutes. Happé par les guitares et les riffs incessants, Pornographie déboule, lourde de sens et de sons avant de faire rugir les claviers sur le ravageur C’est la guerre. Ce single, retiré des radios dès le lendemain des attentats du 13 novembre, a fait monter la chaleur dans une fosse qui n’avait pas encore fait sauter le cran de sécurité. Indignés, presque bercé, va traduire cependant toute la noirceur du monde, celle d’un monde où l’on espère un sursaut dans les consciences. Il faudra attendre l’enchaînement suivant, Comme un homme, premier vieux morceau du concert du mythique album « La tête en arrière » (2004), pour enlever le frein à main de Victoire 2.

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La machine lancée à toute allure, un moment de flottaison s’installe où Thomas Boulard stoppe la chanson en interpellant un spectateur faisant mumuse avec son laser. Contexte post-Bataclan toujours dans les têtes, le temps s’est subitement suspendu pour comprendre que cela ne faisait pas parti du spectacle… Dans un silence glacial, les mots du chanteur ont été directs et sans appel, récompensés par les applaudissements du public. L’occasion aussi à chacun de chanter encore plus fort « à la foi si crasse, quand c’est la mort qui opère, aux sourires qu’on arrache, au silence que l’on paie, je mens comme un homme ». Car quand tout déraille, tout finit par s’embraser : Victoire 2 part en pogos, la fête reste la raison d’être, malgré les assauts rock de « on enferme madame misère, elle se fait prendre en plein couloir, on l’a fait sortir d’hiver pour qu’elle aille mieux se faire voir (…) si vos logos sont des emblèmes, j’irais planter mon drapeau noir ! ».

C’est dans cette furie que Luke continue l’assaut de ses anciens morceaux avec le tapageur Hasta siempre (« camarade ! ») avant de s’accorder une petite douceur, la magnifique Rêver tue, de son dernier opus. Une douceur trompeuse derrière une réalité criarde, assassine et acoustique, portée par un « où sont les poètes barricades, assassinés par le colonel comptable ? ». C’est à la suite de ce manifeste que Luke a enchaîné successivement anciens et nouveaux morceaux : avec un public désormais alerte et connaisseur autant du dernier que des anciens opus, l’intensité put encore monter en puissance. Rock’n’roll et Soledad à l’unisson, que du bonus, J’veux être un héros pouvait alors jeter un pavé dans la marre des mentalités qui ne tournent plus rond. Cette course au buzz, à un semblant d’intérêt ou d’existence, Luke rallume la lanterne « pour les impies, pour les profanes, merde à la mort ! Oublie le reste du monde comme le monde t’oublie déjà ».

De ces va et vient entre les époques, les choses n’ont finalement pas tant changées : nous sommes tous Des marchandises et, Quelque part en France, très urbaine, « ça pue la flamme, ça sent l’essence »… en ouvrant une voie royale à la célèbre La sentinelle. Contre ces maux, Solitaires prend encore plus d’envergure. « Que tu sois puissant ou sans importance (…), perdu dans les guerres (…), homme d’affaire ou tueur dans l’ombre (…), autiste, comateux, soûlard ou étoile filante, pris au piège du hasard du désir qui nous tente » : « solitaires du monde entier, il faut voir comment on vous traite, solitairement coupable d’être seulement des êtres », prenons donc la tangente !

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Dans cette France qui dort (Petite France), peinturée des tristes images mais bien réelles du triste reflet de notre société, Luke n’a pas pu s’empêcher d’allumer une dernière mèche avant de partir : avec son Discothèque surboosté que l’on savait taillé pour le live, le groupe a pu finir sur un « le rock est mort et vous avec ! » à la rythmique implacable.

Cinglante et directe, cette nouvelle tournée de Luke est à l’image de son dernier album, « Pornographie ». Avec un son très brut, très rock et incisif, le groupe n’a retenu que deux albums (sur ses cinq réalisés) pour bâtir sa setlist (« Pornographie », 2015 et « La tête en arrière », 2004). Un choix qui peut paraître surprenant ou frustrant pour certains puristes des autres opus, mais c’est avant tout un choix artistique. Le monde a été dépeint à Victoire 2, rappelant ses drames, ses tourments, ses incohérences… tout en gardant espoir.

Crédits photos : Philippe Poulenas

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