Le festival BAZR a été l’occasion de discuter avec le producteur de musiques électroniques Dombrance et d’en apprendre un peu plus sur lui. Une interview qu’il nous a accordée à peine sorti de scène.
Bonjour Dombrance, j’ai lu plusieurs interviews à ton sujet et je n’ai lu nulle part d’où venait ton nom de scène ?
Dombrance : Alors c’est très simple, c’est l’anagramme de mon prénom et de mon nom. Moi je m’appelle Bertrand Lacombe. Et l’anagramme de Bertrand Lacombe, c’est Albert Dombrance. J’ai gardé Dombrance tout simplement et ça fait presque 15 ans maintenant que j’utilise ce pseudo. Et je l’aime bien même si il est un peu imprononçable car c’est un nom qui n’existe pas, un nom qui est unique.
On te connait pour pas mal de choses dans le milieu de l’électro et depuis quelques temps, c’est l’imagerie politique qui te met à l’honneur en lien avec le travail d’illustration de ton comparse Olivier Laude. Des hommes politiques sont à la fois très présents dans notre environnement quotidien mais de moins en moins audibles ou écoutés. J’ai cru comprendre que l’idée de les utiliser dans ta musique t’était venue un jour où tu étais malade ?
Dombrance : Pour tout dire, ce n’était pas quelque chose de calculé. La journée où c’est venu comme ça avec François Fillon, ce n’était pas un projet où je me suis posé en me disant, je vais faire un truc sur les hommes politiques. Moi ce que j’adore en tant qu’artiste c’est quand l’inspiration vient et que ça vient de façon un peu magique. Et ce truc là est venu un peu de nulle part. Et une fois que c’est arrivé, je me suis dit, c’est génial, je vais pouvoir m’exprimer avec ça.
Moi la politique, c’est un truc qui m’a toujours intéressé, mais ce qui m’intéresse le plus aujourd’hui, ce sont les gens. C’est la musique, faire danser les gens, l’unité qui peut se créer autour de ça. La politique, c’est l’inverse de ça aujourd’hui. Et ce qui me fait marrer c’est de jouer avec tous ces codes là, jouer avec les personnalités politiques. Il y a quelque chose un peu en lien avec le pop art. Il est intéressant de jouer avec l’inconscient collectif. Et enfin de triturer tout ça et faire danser les gens tout en ayant un terrain de jeux sur lequel exprimer des choses, des points de vue. Moi je ne fais que répéter les noms de ces politiciens. Olivier lui, arrive avec un autre angle, qui reste hyper cohérent avec ce que je fais. Ce que je veux, en créant ce décalage, c’est que pendant les concerts, les gens puissent péter les plombs, qu’ils soient un peu perdus mais que cela reste drôle et euphorisant. Et moi ça m’amuse beaucoup.
Et puis finalement, cette présence politique est juste là en filigrane, ce n’est pas le cœur de ton projet.
Dombrance : Oui, c’est subliminal. Quand il y a la vidéo projetée, c’est plus présent. Mais j’adore jouer le set à l’étranger où les gens ne comprennent pas ces références. Où ils ne réagissent qu’à la musique. Néanmoins j’aime bien avoir ces différents degrés de lecture et ça m’amuse beaucoup.
Mais du coup, pour jouer à l’étranger, tu as adapté le set ? En intégrant d’autres hommes politiques ou pas du tout ?
Dombrance : Alors non, même si je viens de sortir le morceau Obama. Concrètement, je vais sortir un album qu’avec des politiciens français, qui s’appellera « 1er tour » (je suis en train de préparer ça) et l’idée est de sortir ensuite un album qu’avec des politiciens à l’international et de faire des featuring. Du coup je vais inviter des gens de tous les pays et on va travailler ensemble avec le même concept. J’essaie de tendre vers quelque chose de plus universel. Ma passion, c’est ça, l’universalité et je pense que la politique aujourd’hui c’est très compliquée. Je pense que le le monde de demain se sauvera si on se pense avant tout ‘humain’ avant de se sentir français. C’est quelque chose auquel je crois et la musique m’aide à ça car c’est un langage totalement universel. Quelque part mon parti politique c’est la musique.
Avec Le Musicodrome, nous t’avons découvert à la Fiesta des Suds cette année et ce qui nous a marqué c’est ta scénographie et surtout ton style : costard cravate, que l’on n’a pas l’habitude de voir ! C’est quelque chose que tu faisais avant ou c’est venu avec tes morceaux actuels ?
Dombrance : Non, c’est nouveau. J’ai su tout de suite que je voulais arriver à un côté assez caricatural en lien avec le travail d’Olivier et avec les personnalités politiques dont je m’inspire. J’ai donc tout de suite eu cette idée de la moustache, des lunettes, du costard. J’aime bien cette idée du politicien qui pète un plomb, qui va prendre de la drogue et se mettre à faire de l’électro. Le fait de créer ce décalage là est une manière de moins se prendre au sérieux. Souvent, dans la musique électronique on se prend on peut trop au sérieux alors que quand les gens vont en club, c’est d’abord pour faire la fête. Je préfère jouer de ça, je ne me sens pas à l’aise dans le côté 1er degré des choses. Et pour moi le fait d’avoir un costard, c’est ce qui me permet d’être libéré quelque part. C’est un costume de scène. J’habite un personnage et je me prends pas la tête avant de monter sur scène. J’enfile mon costume et c’est parti. Et je pense que cela permet aussi au public de se libérer, de se lâcher.
Ton approche m’évoque les dessins du plasticien Prag qui a réalisé tout un travail autour de l’animal politique (au vrai sens du terme).
Dombrance : Oui pour moi, les hommes politiques sont des animaux. Et le fait de se faire élire est quelque chose de terrible en politique. Je suis loin de penser que tous les politiques sont véreux. Je pense au contraire qu’ils sont nombreux (de droite ou de gauche) à se sentir investis d’une mission et qu’ils veulent faire bouger les choses. Si tu rencontres n’importe quel maire de ville ou de village aujourd’hui, tu vois que ce sont des gens qui bossent au jour le jour et qui galèrent. Et je pense que gouverner c’est horrible. Mais le fait d’être un animal politique, de devoir te faire élire, te fait forcément renier des principes à un moment. Tu ne peux t’aligner que sur ton parti et il faut que les gens t’aiment pour être élu. Et rien que pour ça, il faut être un peu anormal…
Un artiste aussi finalement ?
Dombrance : Absolument. Il y a en effet quelque chose de très proche en termes de besoin de l’artiste ou du politicien. La seule différence est qu’un artiste va juste faire danser les gens. Et le politicien, hélas, ne va pas toujours faire les choses à bon escient.
Parlons un peu de ton parcours. Tu es de Bordeaux je crois ?
Dombrance : Oui, absolument !
Tu as toujours fait de la musique ou tu es passé par d’autres supports ?
Dombrance : J’ai toujours fait de la musique depuis tout petit. Je suis monté à Paris quand j’avais 20 ans pour faire une école d’ingénieur du son et j’ai rapidement signé en maison de disque. Ce n’était pas simple, une grosse major. Et puis ensuite j’ai fait ma vie sur plein de projets. Mon plus gros projet était DBFC, un groupe avec David Shaw. On a fait plein de concerts, dans plein de pays. Après j’ai une vie un peu cabossée avec plein de chutes. Mais je suis passionné et ne pourrai jamais arrêter de faire de la musique, trouver des idées. Si on m’avait dit il y a 3 ans que je ferais des sets électros sur les hommes politiques, je n’y aurais pas cru.
C’est peut-être dans l’ère du temps ? On vit dans la caricature de l’homme politique. Prenons Trump par exemple, c’est la caricature de la caricature, une chose qu’on n’imaginait même pas en fait.
Dombrance : Je pense très sincèrement que Trump est l’exemple terrible d’un personnage tellement grotesque et qui pourtant, risque d’être réélu à la tête du pays le plus puissant du monde. Il y a bien un moment où nous tous, je veux dire les gens qui veulent dissoudre le capitalisme (je dis bien dissoudre) devront bouger. On sait qu’on va droit dans le mur sur plein de sujets (social, environnemental) et il va bien falloir que l’on trouve des solutions hors de la sphère politique. Je pense encore une fois qu’il y a quelque chose de l’ordre de l’universel dans le fait de tous consommer différemment.
Moi je ne peux plus voir les choses par l’œillère d’un pays. Pour moi tout est mondial. Tous les problèmes que nous avons aujourd’hui sont mondiaux. Avec le réchauffement climatique par exemple, tu peux faire toutes les lois que tu veux, y’a des mecs qui débarqueront parce qu’ils ont la dalle et qu’ils crèvent dans leur pays. A un moment donné, il va bien falloir que certaines personnes se disent : réfléchissons à faire les choses autrement, les politiciens vont faire ce qu’ils peuvent mais nous on peut faire plein de trucs. Je crois vachement en ça.
Quand je vais jouer à l’étranger, je prends conscience encore plus de cette nécessité de solidarité entre tous, c’est comme ça que l’on changera les choses.
Parlons un peu de ton actualité.
Dombrance : Du coup, le morceau Obama sort sous peu. Il se retrouvera sur la compilation « Party fine » de Yuksek qui sort en janvier. Il faut également que je peaufine les morceaux que je joue déjà pour sortir l’album pour avril 2020.
Et encore pas mal de dates à venir ?
Dombrance : C’est assez rigolo, les dates s’enchaînent, c’est assez bordélique, un peu comme moi et j’en suis ravi ! Je prends tellement plaisir à jouer, chaque date est un kiff.
Et du coup bonne expérience à BAZR pour cette première ?
Dombrance : BAZR, c’était super ! Je me suis éclaté. Vraiment, en ce moment, j’ai la chance de vivre chaque concert comme une opportunité, comme un truc où je m’éclate vraiment. Je n’ai qu’une hâte, c’est d’être au prochain.
Un grand merci à Dombrance pour sa disponibilité. Et puisque nous sortons à peine des périodes de fêtes, un peu de nostalgie avec sa version très personnelle de petit papa Noël commandée par Nova.
Propos recueillis par Olivier Scher lors de l’édition 2019 du BAZR Festival.