La crise du Covid-19 a mis la moitié de la planète à l’arrêt depuis deux mois et plonge le monde de la culture dans une crise sans précédent. Entre communication ministérielle incompréhensible et annulations à la chaine, nous sommes partis à la rencontre d’Alexandre Langlais, directeur du festival Jardin Sonore à Vitrolles (13) afin de recueillir son sentiment sur les événements en cours.
Le Festival Jardin Sonore, comme tant d’autres, vient d’annoncer son annulation. Comment s’est déroulée cette prise de décision ?
Alexandre Langlais : Pour ne rien vous cacher, on a commencé à s’inquiéter assez tôt puisque les premières annulations ont été communiquées dès le mois de mars et qu’on voyait ce qui de tramait dans les pays limitrophes. A partir de là, il fallait être hautement optimiste pour croire qu’on allait pouvoir jouer dans des conditions normales fin juillet. Par ailleurs, la venue des artistes internationaux (comme Supertramp dans notre cas) est devenue un sujet de discussion assez tôt du fait de leur capacité à pouvoir se déplacer normalement. On savait donc que ce serait compliqué bien avant que le gouvernement soit clair sur le sujet. Cette communication gouvernementale ne nous a d’ailleurs pas aidés en diffusant des informations assez contradictoires. Et finalement, c’est le public qui a été perdu.
Les festivals, qu’ils soient jeunes comme le nôtre, ou plus anciens comme les Vieilles Charrues, ont avant tout besoin de visibilité. Tout est remis en jeu chaque année. Et de nombreuses questions se posent aujourd’hui : est-ce que les artistes vont revenir ? Est-ce que le public sera présent ? Dans quelles conditions sanitaires les accueillerons-nous ?
Et d’un point de vue financier, quel est l’impact sur Jardin sonore ? Il me semble que votre seul soutien institutionnel est la ville de Vitrolles ?
Alexandre Langlais : Ce choix d’un seul financeur nous permet de conserver une totale indépendance dans nos choix qu’ils soient artistiques ou techniques. C’est important à nos yeux. On peut qualifier cette approche de coproduction vertueuse. C’est la billetterie, et donc le public, qui fait vivre le festival puisqu’elle représente environ 80 % du budget. Par contre, comme beaucoup d’événements similaires, nous ne sommes pas encore à l’équilibre sur les deux premières éditions.
Du point de vue des salariés, nous avons 4 permanents (Village 42) qui se voient renforcés par 4 autres personnes à partir de l’automne. Actuellement, tout le monde est en chômage partiel dont les intermittents qui travaillent à la préparation du festival. Par ailleurs, de nombreux frais sont déjà engagés (acompte aux boites de production, communication, etc.) qu’il faudra en partie couvrir.
De toute manière, on n’est pas là pour dramatiser. La situation est inédite, complexe mais une des forces de nos métiers est justement de gérer les situations d’urgence. Notre message, c’est qu’on va revenir. Nous avons d’ailleurs déjà proposé de nouvelles dates dans le message d’annulation que nous avons diffusé. On se projette déjà sur 2021.
Une vision résolument positive !
Alexandre Langlais : Oui mais sans oublier que ce sera une édition encore plus périlleuse que les précédentes. Les aléas potentiels sont nombreux depuis le mauvais temps jusqu’au gros événement programmé en même temps. Nous avons besoin que tout le monde soit au rendez-vous. Le public doit faire un acte fort de solidarité en revenant dans les salles, dans les festivals. Car si demain le public décide de ne pas revenir car c’est trop risqué, et bien il faudra baisser pavillon.
La profession a été très marquée par les attentats de 2015 et a dû s’adapter à des normes très contraignantes en termes de sécurité. Si on doit maintenant fournir des masques, du gel, prendre la température des gens ou délimiter des espaces au sol, cela risque d’être l’adaptation de trop pour de nombreuses structures.
Je reviens sur l’annonce de votre annulation. Pourquoi avoir fait le choix d’un remboursement des billets ? Et pas d’offrir la possibilité de les garder pour l’année prochaine ?
Alexandre Langlais : Nous avons fait le choix de considérer que notre public était spontanément solidaire et que les gens rachèteraient de nouveaux billets l’année prochaine. Je ne voulais pas considérer le public comme une vache à lait dans le sens où cette crise touche tout le monde. Nous offrons par compte la possibilité de faire un don à l’organisation lors du remboursement. Par ailleurs les clauses des revendeurs rendent la chose un peu trop complexe.
Et d’un point de vue artistique, cela doit être également très complexe les négociations avec les productions et les tourneurs ?
Alexandre Langlais : C’est un véritable casse-tête. Ce que l’on voit actuellement, c’est que les artistes anglo-saxons ont choisi une stratégie consistant à reprogrammer à l’identique la tournée 2020 sur la prochaine saison. Certaines productions ont en effet investi des sommes importantes sur des tournées qu’il est impossible d’abandonner. C’est paradoxalement plus complexe avec les artistes français dont les dates sont plus liées à une actualité. Je prendrai M par exemple qui fait tourner son spectacle depuis 3 ans et qui ne le jouera pas à nouveau en 2021. Par contre, des questions se posent sur les cachets et des compromis seront nécessaires à trouver. La responsabilité des artistes est forcément en jeu.
On voit qu’il y a beaucoup de reports à l’automne en plus des festivals déjà programmés. Quel est votre sentiment sur cette reprise ?
Alexandre Langlais : Je veux être optimiste mais pas naïf. Certaines voix parlent d’une véritable reprise plutôt début 2021. Aujourd’hui on entend deux sons de cloche au sein du réseau des salles de musiques actuelles (SMAC). Une partie propose de négocier une fermeture (avec des aides) jusqu’à la fin de l’année de manière à mieux préparer la suite et ne pas accueillir le public dans de mauvaises conditions. Faire des concerts avec masques et distances sanitaires risque en effet d’avoir un effet délétère sur le retour du public dans les salles. Il y en d’autres qui au contraire, poussent pour une réouverture le plus tôt possible. Il y a donc deux stratégies, deux énergies avec un Ministre de la culture aux abonnés absents. Cette absence ajoute de l’agacement à un stress déjà bien installé.
Les festivals, un vrai besoin dans les territoires ?
Alexandre Langlais : Un festival de musique, c’est l’agrégation de plein de petites choses ; il ne se résume pas à une petite équipe qui monte un truc dans son coin. Et c’est avant tout un public. Et on le voit à Vitrolles, ville marquée au fer rouge par le FN malgré un seul mandat du parti d’extrême droite. Jardin sonore a fait venir plein de nouvelles personnes dans la ville ce qui lui permet de redorer son blason et cette image négative.
Que peut-on vous souhaiter pour les mois qui viennent ?
Alexandre Langlais : Je commencerai par dire que se projeter sur un été sans festival est difficile. Notre métier, ce n’est pas de soigner les gens, ce n’est pas prendre des décisions politiques mais c’est bien d’organiser des concerts. Essayons d’y arriver ! Et j’ose espérer que les gens reviendront nombreux dans les salles et les festivals de la région.
Nous nous associons à vos propos et encourageons les lecteurs du Musicodrome à soutenir le monde de la musique en retrouvant leurs scènes préférées dès que ce sera possible.