Le Musicodrome partait pour la première fois explorer la belle voûte en pierre d’A Thou Bout d’Chant, salle intimiste de musiques francophones situé au pied des pentes de Croix Rousse. Dans cette ambiance chaleureuse, c’est la voix unique de Magyd Cherfi qui nous contait avec humour et mélodie la vie de la banlieue nord de Toulouse.
En ouverture, Zim, paré de sa guitare et son chapeau, chantait ses textes légers et touchants sur sa « success story sans succès, ainsi soit-il ». « Rappeur qui ne sait pas chanter, chanteur qui ne sait pas rappé », Zim sait en tout cas naviguer entre les deux pour offrir un joli moment à son public. Un apéritif coloré avant Magyd Cherfi.
Accompagné du guitariste Etienne Choquet et du pianiste Samir Laroche, le chanteur toulousain est arrivé devant une salle comble (80 personnes), composée pour une grande part de quadra – quinquagénaires qui avaient probablement d’abord connu le chanteur engagé de Zebda. Engagé, Magyd l’est toujours autant, et avec ses trente ans de carrière, il habite la scène avec une prestance et un charisme naturels. Dès son entrée sur scène, il raconte de sa voix marquée par la vie les histoires de son quartier : traité de « Pédé » parce qu’il lit Libé, raillé par ses potes pour son expression raffinée, Magyd clame la vulgarité et le virilisme des quartiers, filant entre l’auto-dérision et la fierté d’être sorti des cités. « Magyd, tu fais remplaçant pour un tournoi de foot demain ? – Eventuellement – Wesh ça veut dire quoi éventuellement ? Tu veux pas dire oui ou non comme tout le monde ? ».
Le public rigole et nous, on ressent un peu de gêne, comme si seul Magyd avait le droit de railler le manque de raffinement linguistique des banlieues, comme si son public, héritier d’un patrimoine culturel, bercé par une grammaire impeccable, n’avait pas la légitimité de rire du poids des structures sociales. Ces histoires ont en tout cas la force de nous emmener dans cette enfance des quartiers, magnifiquement sublimés par la beauté des chansons interprétées. Les arrangements sont d’une grande qualité, et Magyd n’hésite pas à mettre en avant la virtuosité de son pianiste. En parcourant son album « Catégorie Reine », Magyd conquit de sa voix au timbre unique le public d’A Thou Bout d’Chant. Sur Les gens tristes, Mimi la Douce ou encore Tu, on ressent comme une caresse de beauté, une onde de douceur comme la musique sait si bien nous en procurer. La magnifique salle en pierre est parfaitement adaptée à un spectacle comme celui là, où Magyd multiplie les interactions drôles avec ses musiciens ou son public. Il enflamme encore un peu plus son monde en envoyant de savoureux pas de danse pendant que le public chante en coeur Oualalaradime.
Après un sublime rappel où Magyd crie un hommage à Brahim Bouarram, marocain mort noyé dans la Seine après avoir été jeté du Pont du Carrousel par des militants du FN en 1995, après un dernier solo envoûtant du pianiste, les trois hommes se retirent, largement salués par un public conquis. Un concert délicieux dans un lieu qui a ce pouvoir de donner une saveur à un moment : celle du partage, de l’intimité, d’une musique vécue ensemble.
Magyd Cherfi est encore en concert le vendredi 18 et samedi 19 Octobre à A Thou Bout d’Chant.