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On s’en rappelle comme si c’était hier : c’était un soir de juin 2012, au domaine Grammont de Montpellier (34). Pour les 15 ans de l’asso Tout à Fond (les agitateurs de la mythique Secret Place), Les Sheriff remettaient les deux doigts dans la prise devant plus de 7 000 personnes déchaînées. Une reformation aussi inespérée qu’éphémère. Et pourtant… Plus de 20 ans après « Électrochoc », Les Sheriff sont revenus avec un nouvel album sous les bras, « Grand bombardement tardif ».
C’est à croire qu’ils y ont repris goût ! Depuis ce fameux concert en 2012, les montpelliérains avaient progressivement retrouvé les planches brûlantes de certaines salles et festivals deux ans plus tard. Peu après, leur retour s’est de plus en plus épaissi pour quasiment jouer en live tous les ans… Comme si chaque concert était vécu comme le dernier, Les Sheriff ont le luxe de s’appuyer sur une discographie qui se suffit à elle-même. Avec près de 7 albums studio sortis entre 1987 et 1998, le groupe a toujours eu de la ressource et n’a que l’embarras du choix pour construire ses lives. Le problème serait presque d’arriver à jongler entre découvertes et grands classiques qui ne manquent pas (J’aime jouer avec le feu, Pendons-les haut et court, Condamné à brûler, A coups de batte, Les 2 doigts dans la prise, etc.). L’arrivée d’un nouveau skeud est d’autant plus surprenante que le groupe, en soi, n’en avait pas réellement besoin. Mais ne boudons pas notre plaisir !
La menace de ce « Grand bombardement tardif » laisse en tous cas présager de bonnes choses car le groupe a toujours su mettre en musique ce qui alimente le grand folklore mondial actuel. La pochette de fossiles de dinosaure ne rend pas forcément sceptique : entre le réchauffement climatique, la crise sanitaire et le capitalisme agressif, tous les ingrédients sont réunis pour l’extinction de l’Homme. Et ce n’est qu’une question de temps. A l’aube d’une nouvelle élection présidentielle, Les Sheriff ne semblent pour autant pas focalisés dessus et cet album s’inscrit plutôt dans une époque et un contexte global.
Ce qui frappe d’abord, c’est la facilité avec laquelle les montpelliérains ont conçu cette mayonnaise : pas dans le sens de la simplicité mais plutôt dans leur capacité à réaliser un album à leur image et fidèle à leurs idées, même deux décennies plus tard. 12 titres, 34 minutes, une griffe musicale reconnaissable à souhait, Les Sheriff sont revenus presque comme s’ils n’étaient jamais partis. Et pourtant ils le savent et s’en amusent en toute décontraction : l’ouverture de l’album, avec Requiem 5 étoiles, tutoie d’emblée les sommets et c’est leur âge que Les Sheriff prennent à contre-pied : « chantons, chantons tous ensemble / aidez-nous car c’est possible que l’on ait la voix qui tremble ! ». Une régalade ‘plus plus’ qui ne pouvait pas mieux lancer cet album ! En déboulant plein phare sur le périph’, Les Sheriff ne vont jamais tirer le frein à main et c’est à découvert qu’ils sortent l’artillerie lourde. Cela ne les empêchera pas de jeter plusieurs coups d’œil dans le rétroviseur, comme pour ne pas oublier que le temps a passé : Le temps est élastique dresse le portrait d’une vie bien remplie mais qui n’en finit plus de filer ; Enfants du passé s’attaque à la mutation de la société, à cette génération qui n’a pas connu la guerre mais qui a vu une partie de ses illusions envolées… finalement sauvée par le rock’n’roll.
Celui-ci a d’ailleurs toujours collé à la peau des Sheriff : on s’amuse les entendre raconter comment ils aiment s’en prélasser (Du rock’n’roll dans ma bagnole), notamment pour couvrir le bruit du moteur ; ou comment ils s’y sont pris pour provoquer ce Grand bombardement tardif, « cela manquait un peu de bruit, l’entends-tu venir ? ». C’est toute voile dehors que Les Sheriff ont donc décidé de re-brancher les amplis ! Ce ne sont pas les quelques « clap-clap » de Ma lumière qui vont nous faire changer d’avis, même si le ton presque pop/rock de la compo peut venir nous chatouiller !
En se jouant des codes que la vie tente de nous dicter, Les Sheriff ne vont toutefois rien renier : même si le repli a été salvateur en restant Loin du chaos, le groupe n’hésite pas à grossir le trait pour rappeler les bienfaits du retour aux sources. Les guitares punk se retrouvent tout vent dehors pour rechercher le répit et l’arrivée d’un synthé va même nous surprendre pour accompagner ce son de ralliement ! Si la fuite de la ville s’est imposée pour éviter de se faire happer par la frénésie urbaine, Les Sheriff ne vont pas manquer l’occasion de rendre hommage A Montpellier avec un morceau déjà culte ! Entre la chaleur de ses quartiers et un clin d’œil à la Butte Paillade, la terre natale des héraultais est mise en lumière avec une mélodie plus qu’entêtante.
C’est donc sous un Soleil de plomb, flirtant entre punk et métal pour le refrain, que Les Sheriff résument à merveille l’état d’esprit dans lequel il faut être pour affronter la dureté du quotidien, chez soi, dehors, avec le monde dans lequel on interagit. Sans nommer le mal qui plombe le moral de tout un chacun, Les Sheriff proposent-là un morceau que l’on peut ressortir l’année prochaine, dans 10 ans ou dans cinquante. Même s’ils décident de boucler la boucle de ce « Grand bombardement tardif » avec Se faire une raison, bien punchy, « on n’est pas immortels, il faut à se faire une raison ! On est comme tout le monde, il faut se faire une raison ! », on leur emboîte le pas les yeux fermés sur ce sursaut salutaire !
Les Sheriff, « Grand bombardement tardif », 12 titres (34 min.), disponible depuis le 10 décembre 2021 chez Kicking Records.