Bercé par un sentiment de nostalgie bien pesé, c’est avec un petit pincement au coeur que l’on se dit « merde, ça y’est, c’est terminé ». Le concert privé de La Ruda au parc des expositions d’Alès va laisser certainement des traces indélébiles, c’est une certitude. Même si le cadre était spécial, même si le contexte était particulier…
Les habitués du festival de la Meuh Folle auront en tout cas retrouvé un lieu devenu familier : tout juste un mois après la 9e édition de la Meuh, le Capra était de nouveau investi par des concerts et différentes animations. Sauf que cette fois, derrière les manettes, les rôles avaient quelques peu changés. Dans le cadre du Cartel des Mines, un évènement sportif annuel de trois jours consistant à faire s’affronter les écoles dans diverses disciplines sportives, Alès s’est vu accueillir cette année la 39e édition du Cartel. Par conséquent, la ville a été rythmée toute la semaine par les tournois et festivités des plus de 1200 ingénieurs venus de toute l’Europe (Paris, Douai, Nantes, Albi-Carmaux, Saint-Etienne, Nancy, Madrid, Vigo, Oviedo, Turin, Cracovie, Bochum et Saint-Pétersbourg).
Afin de garder le sang chaud, plusieurs soirées à thèmes étaient proposées : la première a vu chaque école présenter un Dj sous forme de battle, une autre a permis de remettre les différentes récompenses sportives en compagnie des Dj’s Loo & Placido, puis enfin, le vendredi soir, La Ruda et Arthis se devaient d’assurer le show. Avec la montée en température tout au long de la soirée, l’envie de chacun à vouloir faire la fête était déjà quelque chose d’acquis. Après, c’étaient aux groupes d’assurer…
Arthis fait le boulot
Avec des chants en français, Arthis a pu jouer les tracks issus de leurs deux EP’s, dont le dernier, « Lueur d’une Chandelle », dévoile davantage le profil du groupe : mention spéciale à Gens d’Ici, qui, musicalement, rappelle les envolées des bretons de Merzhin, mais sincèrement réussi. Si la trompette est utilisée avec parcimonie, Arthis jongle astucieusement entre un rock tantôt acoustique, tantôt électrique. On sent bien les influences de groupes tel que Noir Désir (qui aura droit à sa reprise).
En près de 45 minutes, Arthis a parfaitement fait son boulot. Avec un premier EP plus passe-partout orienté punk/rock festif, Arthis a su donner le coup de fouet qu’il fallait pour son set. D’ailleurs, les morceaux proposés du second EP ont montré une facette plus calme, plus recherchée et très intéressante qui pousse à en savoir davantage… La place, elle, a bien été chauffée pour La Ruda.
Une tournée d’adieu ‘à l’expérience’ pour La Ruda
Pour le passage du Cartel à Alès, les organisateurs ont souhaité mettre les petits plats dans les grands. Après avoir laissé le soin à Arthis de s’occuper de la première partie, les membres de La Ruda étaient conviés à chauffer les planches. Et durant plus d’une heure et demie, c’est avec la fougue qu’on leur connaît que les originaires de Saumur ont assuré le show. Le grand orchestre de La Ruda, qui va tirer sa révérence à la fin de l’année, a près de 1 300 concerts dans les jambes, 8 albums studio et plus de 20 ans de bouteille. Inutile de préciser que le groupe sait comment s’y prendre pour mettre un joyeux bordel ! Car la tâche, elle, s’annonce bien différente des précédentes dates pour La Ruda : le public n’est pas forcément français au Cartel, l’engouement moins expressif que la normale… Probablement la seule ombre au tableau.
Pourtant, entre les connaisseurs (qui étaient bien sûr aux premiers rangs) et ceux qui se sont laissés embarqués sans retenue, la fosse est rapidement devenue l’antre festive de la soirée. Pogos et slams ont, bien entendu, rythmé la soirée, la tournée d’adieu, elle, bien lancée ! Le coeur gros ‘comme ça’, les souvenirs défilent : entre les premiers concerts, 10 ans en arrière, et cette fin programmée, l’irrésistible envie d’en découdre une dernière fois se fait plus forte.
En tout cas pour les puristes, ce concert de fin de carrière arrive à point nommé : La Ruda a changé sa formule, fin d’activité oblige, pour proposer une nouvelle tournée qui pourrait presque être considérée comme une anthologie. Le groupe est allé fouiller dans chaque album les petites pépites que, les amateurs des différentes époques, ne peuvent qu’apprécier. Dommage que « 24 Images Secondes » ait, par exemple, été écarté du set.
En ouverture, Souviens toi 2012 est plein de symboles : extrait du dernier album « Odéon 10-14 » sorti il y a tout juste un an, c’est aussi une manière plus indirecte de raconter le bilan de 20 ans d’existence en un peu plus de 3 minutes. S’ensuit une longue alternance des diverses influences de La Ruda au fil des années écoulées. Très rapidement, les hits incontournables ne tardent pas à s’enchainer : Le Bruit du Bang, rock impulsif pour guitares incisives et cuivres affûtés et, déjà, le public est mis dans la poche. Et pour rester dans l’effervescence des débuts, l’histoire de ce bon vieux Léon, au Trianon, est déjà projetée. Période plus festive du groupe, un ska bien plus traditionnel va même refaire surface : Roots Ska Goods, en anglais, redonnent toujours de bonnes vibrations plus de 15 ans après…
En surfant sur ses différentes orientations musicales, La Ruda revient à des choses un peu plus récentes : l’excellent « Grand Soir » (2009) est enfin passé au crible. La vague acoustique développée sur leur 7e album embrase les débats comme sur le jumpant La Parade de Gordon Banks. Ça flirte avec le swing, le vieux rock’n’roll poisseux du temps d’Elvis, d’ailleurs Padam Elvis, bien plus calme, dresse toujours ces fameux portraits que La Ruda accompagne avec le côté crooner de l’opus. Voix mise en avant, c’est frais, cela donne envie de bouger. Même quand le groupe va puiser dans ses « Bonnes Manières » (2007), on ne peut que se rassurer que Tout Va Bien avec ses « oh oh oh » !
Pour revenir à l’essence même du rock, La Ruda n’hésite pas à accélérer le rythme avec les tracks efficaces de « Odéon 10-14 ». Titi’Rose au Coeur ou le belle rétrospective 1982 entre Platoch, OCB, cravates en cuir, et ses « tant pis si la nostalgie n’est plus ce qu’elle était avant… ! ». En parlant de mélancolie, La Ruda va sans cesse jouer avec les sentiments comme sur le morceau éponyme Odéon 10-14 : muni d’une basse ronflante et d’une mélodie qui fait mouche, la voix de Pierrot est nettement mise en avant : « il en aura fallu des jours pour remettre un peu d’ordre, dans les non-dits, les souterrains et dans les fils du téléphone ». N’étant pas forcément là pour se plomber le moral, La Ruda remet le couvert sur les valeurs sûres et partagées depuis plus d’une dizaine d’années : Que Le Bon l’emporte, dévastateur, fait soulever le public avec ses « Go on, go on, les jeux sont faits ! », mais ne fait que répondre en échos au tant attendu Tant d’Argent dans le Monde. Intro fracassante à la batterie, riffs bien placés, un des célèbres hymnes à la fête du groupe finit par déferler avec sa ligne de basse toujours aussi jumpante. Les gangsters jamais bien loin, La Ruda a su réserver au chaud ses histoires de truands : Le Prix du Silence, interprété dans sa version acoustique, a conservé toute sa vivacité.
Face à un public qui n’a visiblement pas l’habitude d’être à la hauteur au bar en même temps que dans la fosse, ce dernier a tendance à se disperser dans tous les sens. Pourtant, La Ruda va ressortir un morceau une nouvelle fois retravaillé : l’excellent De Simples Choses, du très controversé « La Trajectoire de l’Homme Canon » (2006), est revisité en version presque pop/rock. Avec une compo à la fois persuasive et très froide, La Ruda prend la version originale à contre-pied. Ne tardant pas à revenir à des choses plus communicatives, le brûlot rock Cabaret Voltage, du dernier cru, redonne un coup de peps au parc des expositions. Mais avec un Go To The Party sous les bras, la subtilité côtoie la légèreté d’une gratte tentant de suivre le rythme effréné du saxo… avant de devenir bien plus grave sur Quand Le Réveil Sonne.
Le rappel enfin résorbé, La Ruda a mis de côté plusieurs cartouches : un dernier assaut rock avec La Trajectoire de l’Homme Canon à intercepter finit par laisser L’Art de la Joie décider du sort de cette fin de soirée. Jamais rassasié, le terrible Unis achève ceux qui ne sont pas encore complètement hors course. A l’ancienne, pour ne pas oublier les concerts où La Ruda (ex-Salska) faisaient ses premiers pas, les paroles ont traversé les époques : « unis dans nos sens, unis dans l’essence (…) solidaires dans la danse ! Dans l’existence ! » pour un finish très punk. De là à penser que c’est définitivement la fin, La Ruda demande encore 3 minutes. « Les dernières. Les plus fortes. Les plus belles » pour citer Pierrot. L’instinct du Meilleur doit boucler la boucle. En fanfare. « Tout le monde ! Amis d’Alès et d’ailleurs… Amis du bruit et de la sueur… Ruda Salska vous salue et vous remercie pour le bordel foutu dans cette putain de salle… dans cette putain de place ! Amis d’Alès, du bruit et de la sueur… c’était le grand orchestre de la Ruda… Salska ! ».