L’album est sorti en fin d’année 2017 au Québec et il est arrivé officiellement dans les bacs de l’hexagone au printemps dernier. Une chose est sûre, « Bonsoir shériff », le quatrième opus de Keith Kouna, est aussi bouillant que provocateur. Remonté comme une pendule depuis la (re)formation des Goules, ressuscitées outre-Atlantique en 2016, Keith Kouna est intenable. Le Québec vibre comme jamais…
On pourrait penser que l’homme se serait assagi avec l’âge. Grave erreur. Son art en relèverait presque du génie. Après avoir créé la sensation sur son troisième album, « Le voyage d’hiver » (une revisite du cycle des 24 lieder de Schubert – entre nous, il fallait en avoir l’idée !), Keith Kouna revient aux fondamentaux : une plume incisive, des textes trempés dans l’acide, et un combo punk/rock pour bousculer les codes. Car il est bien là son objectif : ne jamais rentrer dans le moule, s’affranchir des règles pour en redéfinir d’autres, tromper la haute pour faire l’écho des plus faibles.
Keith Kouna va droit au but : 10 titres. Un mot par titre. Inutile de faire un dessin. Une compo s’écoute, s’imagine, prend vie, s’enflamme. « Bonsoir shériff » cause musique, politique, déchéance. Donc d’agacement, d’énervement, de lassitude. D’envie de tout casser aussi. Il veut nous casser la tête aussi.
Comme intro, l’artiste n’a pas trouvé mieux que de balancer trois mots, Ding dang dong, qu’il va marteler sans relâche durant près de minutes. Guitare, basse et batterie. Effrénées. Pas là pour plaisanter, le québécois. Il veut nous faire passer un message : celui du chaos et du désordre, en s’en prenant directement au système : Shérif, icône du capitalisme à outrance, met un frontal sans la moindre retenue à tous ceux qui se considèrent comme les bons penseurs de notre siècle.
« Mon père est profit, ma mère est crédit / … / mon père est pourri, ma mère est mépris / mon père est barreau, ma mère est cachot / … / mon père est macho, ma mère est facho / salop de pouvoir, tu dois le savoir ! »
De cette violence inouïe nait un éveilleur des consciences, un saboteur des idées reçues qui les met en musique pour faire sauter le cran de sûreté. A l’image de Poupée, les croyances, les mœurs et les dictas de la superficialité sont envoyées en correctionnelles avec « T’as le Coran, t’as la Bible, t’as la laisse, t’as la Torah, et t’as la bride avec, t’as Mahomet, et ta Moïse, t’as le Christ, t’as la foi, c’est ça, et t’as le crime avec ». Ici, le rock se joue du synthé pour déjouer un attentat-suicide, là où nos sociétés acceptent d’avoir du sang sur les mains.
Avec cette capacité à tirer à boulets rouges sur tout ce qui peut gangréner, de près ou de loin, au juste équilibre des choses, Keith Kouna se fait un malin plaisir de les énumérer pour mieux les éclabousser comme sur Vaches, façon post-punk, ou sur Pays, cyclique et envoutant par la magie du clavier. D’ailleurs, sur Marie, on sentirait presque l’air désinvolte de Saez (il y aurait-il une ressemblance avec Pilule ?).
Voguant dans les méandres du rock, du punk et parfois même de la pop, Keith Kouna aime autant façonner les genres à son image que triturer nos sens : sur Congo, quasi-murmuré, on croirait presque que la bête s’est endormie tant le rythme se ralentit… Mais dans ce safari urbain, où l’asphalte finit toujours par croiser la route des désespérés ou d’un flic, Keith Kouna finit par exploser, entre psyché et gazoline.
Peintre du quotidien effronté de la ménagère (Madame) ou poète d’un soir aux pensées sordides (Berceuse), Keith Kouna finit par nous assommer en nous emportant avec lui. Trop de colère, trop de rancœur partagées. Il va falloir serrer le coude… pour ne pas sombrer.
« Graisse la manivelle et le manège à bobine qui repasse les chaînes et les mêmes chemises, l’horizon rend les armes et accepte l’inutile, le cul dressé dans l’espace et la langue dans la flaque d’huile, en caressant ses jouets, en écoutant ses machines, en achetant sa paie et en pensant être libre, et passent les hirondelles perdues dans le firmament, qui vont et vont et viennent en attendant le beau temps… ».
FICHE TECHNIQUE
Tracklist
1. Ding dang dong
2. Shérif
3. Vaches
4. Poupée
5. Congo
6. Pays
7. Doubidou
8. Marie
9. Madame
10. Berceuse
Sortie : 6 octobre 2017 (au Québec), le 8 juin 2018 (en France)
Durée : 36 min
Discographie : 4ème
Genres : Rock / Punk / Pop
Label : Ambiances Ambigües