Rien qu’à voir les plus de 500 têtes des Compagnons d’Emmaus qui ont travaillé d’arrache-pied durant ces derniers jours, le festival Emmaus Lescar-Pau sait qu’il a réalisé un sans-faute pour cette édition 2014 en s’offrant pour la première fois de son histoire un « sold out » qui lui permet d’atteindre le cap des 24 000 festivaliers. Un rassemblement historique intergénérationnel qui, en musique, a alimenté les débats et conférences au programme de ces deux jours de festival avec une idée : garder l’esprit à la fête mais en dialoguant sur des voies alternatives possibles aux maux qui touchent notre société actuelle.
Ce ne sont pas les -M-, Flavia Coelho, Keziah Jones, Giedré et autres Deluxe qui diront le contraire : le public de ce premier soir (mardi 29 juillet) était vraiment atypique par son mélange et son côté familial, il faut dire que la côte de popularité de -M- est toujours au beau fixe ! Venus essentiellement pour le second soir de ce festival qui ne laissait présager qu’un vent de tempête incontrôlable (Dub Inc’, Chinese Man, La Rue Kétanou, Les Ogres de Barback, The Gladiators et High Tone), la succession incessante de cette multitude de têtes d’affiche avait de quoi faire dresser sur la tête tous les cheveux qu’il me reste.
The Gladiators montre sa tête à la fenêtre
Et c’est d’ailleurs très tôt que commencent les hostilités : avis aux têtes en l’air qui se sont beaucoup plains de voir passer The Gladiators à une telle heure, c’est en effet à 17h pétantes qu’il fallait s’amasser devant la grande scène pour assister au show des mythiques jamaïcains. Au rythme d’un son cruellement mal réglé à en faire exploser les têtes, beaucoup suivront ce concert en arrière sans toutefois perdre une miette des compos. Des messages de paix et de respect, rien n’a changé depuis la fin des années 60 où, malgré la fin de carrière de son fondateur, Albert Griffiths, les deux fils perpétuent de brandir cet étendard roots rempli de revendications.
Les Ogres de Barback se sont creusées la tête
Les Ogres de Barback à La Capitelle à Monistrol sur Loire / Ptit Bapt’ – Le Musicodrome
Le fait d’avoir volontairement choisi de ne pas diffuser l’ordre de passage des groupes aura eu le don d’indigner une bonne partie des festivaliers en mal de réponse, c’est finalement auprès des stands de merchandising que l’information a pu fuiter… en effet, tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins ! Surtout en semaine, surtout aussi lorsque des festivaliers sont prêts à faire des centaines de kilomètres pour « espérer » pouvoir voir ses groupes de prédilection. Peu importe, les Ogres de Barback, accompagnées de la fanfare africaine Eyo’nlé, a choisi une formule originale pour fêter ses 20 ans de carrière. Avec leur dernier album sous les bras sorti au printemps 2014, « Vous m’emmerdez », les Ogres ont d’ailleurs ouvert le concert par le ce titre éponyme. Plein de finesse et de jeux sur les mots, les Ogres ont fait dresser les têtes des festivaliers sur ses classiques (Accordéon pour les cons, Rue de Panam…) avant de s’effacer progressivement au détriment de la fanfare Eyo’nlé, qui a eu (un peu trop) la main mise sur les morceaux interprétés. Assez dénaturés, les tracks, certes imbibés de sonorités africaines bien festives, ont donc manqué de portée pour embarquer la totalité des festivaliers. Se payant des reprises de NTM (NTL) ou encore de Georges Brassens même réussies, le court format du set (1h pour chaque artiste et pas une minute de plus) a encore plus renforcé la difficulté des festivaliers à foncer tête baissée dans ce show des Ogres orphelin de leur traditionnel décor. Un travail soigné et abouti qui a pris toute sa dimension en configuration concert depuis le début de la tournée anniversaire, plus délicate cependant au festival Emmäus.
La Rue Kétanou fait tourner les têtes
La Rue Kétanou au festival de la Meuh Folle à Alès le 5 avril 2014 / Photolive30 – Le Musicodrome
A voir la foule monstrueuse qui attendait La Rue Két’, inutile de préciser que le grand retour du trio qui vient de sortir « Allons voir » (janvier 2014) était attendu au tournant. Et à la différence du concert précédent, La Rue Kétanou a su profiter du temps qui lui était imparti pour mettre tout le monde d’accord. Tantôt amenée par les guitares sèches, l’accordéon, le yukulélé et le rythme du cajon, la bande à Mourad Musset, Florent Vintrigner et Olivier Leite a dominé les débats, appelant dans un premier temps les festivaliers avec leur excellent Allons voir (« allons voir puisqu’elle nous réclame, allons voir ce que demande la foule… ») ou en remettant en tête des morceaux qui ont longtemps fleuri notre jeunesse (Ma faute à toi, Les hommes que j’aime, La fiancée de l’eau…) avant de présenter ses nouvelles compos entraînantes (La guitare sud-américaine, Le capitaine de la barrique, Les dessous de table). Alternant ainsi anciennes et nouvelles chansons, La Rue Kétanou a fait rentrer dans les têtes son esprit de bohème avec chaleur et délicatesse. Ce ne sont pas les locaux de Gueules de Wab, invités par La Rue Kétanou sur scène sur fond de hip hop et de chanson française, qui diront le contraire : « on ne croit que ce que l’on boit ! ».
Dub Inc’, d’une bonne tête
Si l’on cherchait quel groupe allait attirer le plus de monde sur la grande scène, on n’eut pas à chercher longtemps. Dub Inc’, d’une bonne tête d’avance, a provoqué un véritable raz de marée humain à Lescar-Pau. La projection de leur film dans l’après-midi, Rude Boy Story, affichait lui aussi salle comble sur le village Emmäus. Le « phénomène Dub Inc' » illustré en son et en image, on retiendra finalement le ras le bol du groupe vis à vis des journalistes, eux qui s’estiment (à juste cause), être boudés des médias. Espérons qu’ils n’aient pas eu l’idée de consulter le canard local Sud Ouest qui, le lendemain du festival, proposait une triple page du festival… sans même évoqué la présence des stéphanois parmi les groupes à l’affiche de l’événement. A croire que le journaliste sur place n’a guère apprécié les propos du groupe durant le show. Sur scène, Dub Inc’ n’eut pas besoin de beaucoup de temps pour soulever le festival Emmäus. Avec comme ligne directrice son album phare « Hors contrôle » (2010), Dub Inc’ s’en est donné à cœur joie pour faire hocher les têtes avec son reggae endiablé (Tout ce qu’ils veulent, Dos à dos, On a les armes, Laisse le temps…) emporté par un clavier déchaîné. Bénéficiant d’une faculté incroyable à emporter le public au rythme du flow d’Hakim et Komlan, chaque note est synonyme de jumps incessants ou de refrains chantés à tue-tête. Les classiques plus anciens tels que Monnaie, Murderer, Rude boy n’ont pu entraîner que des déflagrations dans la foule… Finalement, ceux qui espéraient avoir la chance d’écouter quelques morceaux de leur dernier album « Paradise » (2013) n’auront pas été servis avec deux petits Paradise et Chaque nouvelle page, loin d’être les meilleures réalisations. Ce qui est certain, c’est que Dub Inc’ a maîtrisé des pieds à la tête son sujet, sans ciller. Dommage cependant que les concerts, malgré les albums, se ressemblent fortement au fil des années, n’évoluant guère. Dub Inc’ a une recette démoniaque en tête, elle demanderait un peu d’injecter du sang frais dans ses compos qui restent très proches des versions studios.
Chinese Man, la fusée à tête chercheuse
Chinese Man au festival Lives au Pont le 10 juillet 2014 / Photolive30 – Le Musicodrome
Sur Chinese Man, le public n’a pas dégonflé pour attaquer les dernières réalisations de cette soirée agitée. Si l’intensité du collectif marseillais a été un poil en dessus de la folie de Dub Inc’, les avis ont quelques peu fluctué en fonction des époques. Désormais accompagné de MC’s et de musiciens, le trio de DJs a choisi la carte de la diversité au niveau des sonorités pour alimenter son projet. Un batteur/percussionniste, une petite section cuivre et des MC’s en soutien, les compos de Chinese Man sont transformées au rythme des interventions des différents protagonistes. Le côté hip hop prédominant, des brûlots de leur dernier « The groove session, vol.3 » (2014) ont immédiatement surgi de l’enfer à coups de scratchs et de beats martelant comme Scatter, Once upon a time avant de se payer des retours aux sources plus roots et dub avec l’énorme Independent music ou le mythique Skank in the air. En jonglant entre les genres, Chinese Man a su retravailler ses compos et semblent pouvoir les renouveler sans cesse : la nouvelle version plus chaotique de I’ve got that tune dépote, le célèbre Pudding à l’arsenic, surboosté, décape toujours autant, alors que l’Artichaut garde les même saveurs. En injectant drum’n’bass, abstract hip hop ainsi que dubstep, Chinese Man peut toujours compter sur ses inratables Get up aux bouboules poilues ou encore sur sa sexy Miss Chang pour faire cogner les têtes contre les murs !
High Tone a coupé la tête des festivaliers
High Tone pour sa première date 2014 à Paloma de Nîmes le 22 mars dernier / Photolive30 – Le Musicodrome
Comme pour perpétuer cette vague d’ondes positives, il manquait certainement une dernière chose pour que la soirée soit parfaite. Passé 1h du matin et une fin qui parait de plus en proche, il fallait à présent ponctuer en apothéose cette édition 2014 de l’Emmäus festival. Il fallait donc un truc qui tape, à coups de grosses basses, les derniers coups de minuit en quelque sorte. En guise de finish, ce sont les lyonnais d’High Tone, pionniers de la scène dub française depuis plus de 15 ans, qui détenaient les clés. La transition progressive au fil des albums vers un dub plus rageux, proche même du dubstep et d’influences drum’n’bass, leur a permis de couper la tête des festivaliers qui, une fois les dernières machines ronronnant, n’auraient souhaité que cette ultime débauche puisse encore continuer. A la différence de la tournée en salle de leur dernier bébé « Ekphrön » (2014), High Tone n’a pas pris le temps de présenter ses magnifiques tracks posés, allant directement à l’essentiel avec ses morceaux les plus violents (Wahqam saba, Until the last drop, Raag step, A fistful of yen…), tout en faisant un crochet par son side project High Damage (Brain tone) tout en n’oubliant pas de servir, à table, son track désormais n°1, Rub’a’dub anthem.
Mettez-vous ça bien dans la tête, le festival Emmäus 2014 réunissait tous les ingrédients pour passer deux très bonnes journées du côté de Pau. On ne peut repartir que de Lescar-Pau avec des images, des sons mais aussi des idées plein la tête. La Communauté Emmaüs, en quatre pour l’occasion, a accueilli ces près de 24 000 personnes comme elle l’aurait fait pour 6 000. Entre sensibilisation, débats et rencontres, on semblait évoluer dans un territoire avec son fonctionnement propre, avec ses valeurs et sa bonne humeur. La déco, également, lui donnait un aspect unique. Car au-delà des concerts, un tel événement pousse, aussi, à réfléchir. Avec sa tête, pas à coups d’alcool et d’actes irrespectueux (allusion aux festivaliers ayant pénétré dans la ferme d’Emmaüs et battant à mort des oies) auprès de certaines personnes qui sont venues pendant deux jours à de simples concerts mais qui sont incapables de définir Emmaüs ou qui n’y ont jamais mis les pieds une fois dans leur vie. Ce qui restera louable, c’est que tous les artistes à l’affiche de cette édition 2014 d’Emmaüs Lescar-Pau auront, d’un certain côté, joué le jeu : ils ont « cassé » leur cachet pour animer ces deux soirées.