Les Cowboys Fringants sont en Europe tout le mois de février : avec leur nouvel album « Que du Vent » sous les bras, les québécois ont investi la halle Tony Garnier de Lyon devant plus de 3000 personnes. Le constat, lui, est implacable : les Cowboys jouissent d’une immense popularité chez le public français qui lui a encore magnifiquement rendu.
Pas de première partie : le nombreux public lyonnais va être immédiatement plongé dans la grande marmite québécoise. Chez les spectateurs, la diversité est éclatante. Un peu comme lors des baléti de Massilia Sound System, il s’en ressort la sensation d’une grande famille ayant choisi de se réunir dans un lieu commun afin de partager un florilège d’idées et de valeurs. Toutes les tranches d’âge sont représentées mais la ferveur, elle, est intacte : les Cowboys, comme dans tous leurs passages en France, ont résolument affaire à un public de passionnés.
Et d’entrée, les québécois ne chercheront pas à faire de bonnes manières : sur leurs premiers morceaux, ils se sont déjà mis le public dans la poche. Le single de « Que du Vent » (2011), l’énorme « Paris-Montréal », lance la soirée. Si l’on pouvait penser que ce morceau serait gardé pour la fin du party, c’était se mettre le doigt dans l’oeil ! Plus rock, la dernière galette fait des ravages sur une telle ouverture avec l’intense couplage violon/batterie/guitare. Tellement d’actualité, « tu m’écris, il pleut à Montréal, je te lis, il neige à Paris » que ses « oh! oooooh » provoquent déjà l’histérie ! La proposition de Karl, « vous voulez venir manifester avec nous ce soir ? » fait comprendre que, pour le second morceau interprété, le joyeux bordel va se poursuivre sur l’incontournable « La Manifestation » : « à la manifestation, on rêvait de révolution… » pour dégringoler dans une cascade à vent.
Toujours très engagés et concernés par les problématiques environnementales -dont l’équivalent d’1$ du ticket de concert acheté va directement à leur fondation-, les Cowboys Fringants lancent la première flèche à travers le très acoustique « Histoire de Pêche ». Un premier voyage rythmé, marqué par l’accordéon en son introduction, puis submergé par les embardées endiablées du violon : destination les rives de la Gaspésie.
Très proche du public et le faisant participer à de multiples reprises, les Cowboys enchaînent les hits dans cette première partie de concert : « La Reine », l’un des nombreux incontournables morceaux de « La Grand Messe » (2004), vient fleurir la halle Tony Garnier. Partie tambours battants, la bande à Karl lève un peu le pied pour interpréter des compositions plus calmes de leur répertoire. Si les Cowboys ont enchanté par leur début de set, ils sont aussi appréciés pour leur manière à raconter des histoires. Notamment celles présentent sur « L’Expédition » (2008). Plus noir, plus sombre, plus nostalgique, « Entre Deux Taxis » s’apparente presque à un plaisir perdu ; « L’horloge », si les sonorités sont plus rock que folk, relate toujours avec mélancolie le temps qui passe « mais les aiguilles tout au fond de l’horloge battent la mesure et jamais ne dérogent, elles nous rattrapent laissant dans leur sillage les rêves que l’on n’a pas réalisés qui s’essoufflent à la façon d’un mirage, cédant le pas à la réalité, c’est la vie… ».
Toutefois, si cette face sombre des Cowboys découverte sur « L’Expédition » (2004) présentait un côté clairement moins festif, cette dernière n’a pas été réellement conservée pour le live : « cet état d’esprit bouffon et festif nous a manqué sur la dernière tournée » avoue Karl Tremblay (sur le site www.ledevoir.com). « On a beaucoup aimé « L’Expédition », (…), c’est bien des chansons comme « La Tête Haute », mais à un moment donné, en spectacle, c’était pas ça qui était le plus fun à faire » termine le chanteur.
Une chose est sûre, c’était le côté ludique qui a été conservé : rien qu’à en juger des nombreux déguisements des musiciens et les délires des uns et des autres, le party était placé sous le signe de la fête !
Après une grosse vingtaine de minutes d’entracte, les Cowboys Fringants ont respecté leur tradition, la deuxième partie du concert a pu repartir sur les chapeaux de roue. Très « cheyenne », les québécois sont toujours autant adeptes de leurs célèbres portraits comme sur « Marilou S’en Fout » rappelant ainsi « La Catherine ».
Plus acoustique, « Droit Devant » conte la magnifique histoire de « L’Expédition » pendant que « Si La Vie Vous Intéresse » invite l’auditoire à « célébrer cette grand messe ». Rallongée, cuivrée et symphonique du haut de ses 7 minutes, la virulence avec laquelle Marie-Annick Lépine a interprété le morceau au violon est tout simplement dément !
Au rayon des revendications et d’une société en contradiction, Les Cowboys nous avaient bien réservé au frais quelques uns de leurs nombreux brûlots engagés tels que « En Berne » et son refrain « si ça le Québéc moderne, moi j’mets mon drapeau en berne ! » où les étendards pouvaient enfin flotter dans la halle Tony Garnier. L’engagement social ne leur est pas non plus étranger, l’excellent « Shooters », très musique trad’, est dédié aux travailleurs de l’usine Electrolux de l’Assemption qui vient de fermer et laisser plus de 1300 personnes sur le carreau.
Les Cowboys, entre quelques poussières d’étoiles, ont choisi la dernière phase du concert pour assaillir un public qui ne cesse d’en redemander : une pique est adressée aux nouvelles stars musicales ou télévisuelles préfabriquées sur « Télé », très disco et rock des seventies, ou avec les délires saturés sur « Le Réel des Aristocrates » cruellement dansant ou un « Joyeux Calvaire ! », très jumpant.
Très demandés, « Leopold » a bien sûr été interprété aux côtés du touchant « Mon Chum Rémi », « heille Rémi, fais pas de connerie ! J »t’aime ben la face, pis tu m’dois encore cinquante piass’ !’, chanté par une halle Tony Garnier à l’unisson.
Magique, joueur, le groupe a taillé une part belle à des compos encore plus anciennes : impossible de ne pas jouer « Awikatchikaën » ou ce bon vieux « Marcel Galerneau » qui provoquent une vague de souvenirs de « Sur Mon Canapé » (1998) aux « 12 Grandes Chansons » de 1997.
Vous finissez par vous demander si Les Cowboys Fringants n’ont pas oublié leurs fondamentaux dans cette belle histoire, mais ils nous les avaient gardé pour la fin : Allez, attache ta tuque, comme un mirage, « Les Etoiles Filantes » envahissent la salle. Certains avaient tout prévu, bien au-delà des briquets ou des cellulaires, avec de petites baguettes enflammées pour illuminer la halle. Bercé, le public n’a évidemment pas fourché pour accompagner Karl tout au long des paroles… Entonnant le refrain bien après la fin du morceau, les Cowboys se sont sentis obligés de revenir. Mieux, ils avaient gardé « 8 Secondes », « Ti-Cul » et « Plus Rien » sous le coude.
Comme une grande famille qui aurait reçu une leçon d’humanisme, « Tant Qu’il Y Aura de l’Amour » peut arriver à point nommé. Banderoles, pancartes, drapeau, invitation sur scène, les québécois, plein d’humour, avaient remplis leurs valises pour enchanter, à sa manière, le public français. Beaucoup d’anciens morceaux, peu du petit dernier finalement, mais tout le monde a pu repartir content ! Une réussite collective, commune et surtout sincère. Sincère dans le sens où assister à un concert des Cowboys Fringants ne laisse pas indifférent. S’ils nous ont un peu charriés sur notre affolement face à 3 cm de neige (!), ils nous aiment bien quand même, au fond…
Après 2h30 d’échappatoire, la bonne humeur, elle, ne partira pas : dans le métro du retour, nombreux sont encore en train de chanter à tue-tête des mélodies des Cowboys Fringants. Comme une trace indélébile… qui aura bien du mal à s’effacer.
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