Souvent, le boucan est associé à l’idée de faire du bruit, pas mal de bruit même. Alors, forcément, quand on se met à écouter « Déborder », on s’attend à un truc de lourd, de massif, bref, à quelque chose qui va faire vibrer les murs. La réponse est non. Euh, enfin, si finalement…
Fin août. Le soleil cogne et le thermomètre s’affole. Pas une seule goute de flotte à l’horizon. Un seul échappatoire : Boucan. 12 pistes pour quasiment 1h d’autre chose. Déjà, ce n’est pas rien. Pourtant, c’est la traversée du vide. Un vide laissé par l’homme dans sa manière d’appréhender le monde, de se l’apprivoiser. Pourtant, ce sont bien trois hommes qui ont décidé de le voir autrement : il y a l’inusable Imbert Imbert et deux autres copains, Brunoï Zarn et Piero Pippin. Drôle de tableau pour drôle d’ambiance. Impossible de savoir sur quel pied danser, impossible de savoir sur quels maux miser.
Les mots, c’est un moyen qu’ils aiment utiliser contre ceux qui se croient au-dessus de tout. Il y a les mots plutôt foutraques, comme dans Étrangler qui, d’emblée, commencent à dessiner les contours du trio : combo banjo/contrebasse avec cuivre en renfort, la spontanéité est le fruit de cette rencontre. L’ouverture est tout simplement un coup de maître !
Chantant tour à tour sur les compositions, les membres de Boucan vont également enchaîner des tours de passe-passe musicaux, en mode baroudeurs de la scène française, comme pour se moquer du temps qui passe (La météo des météores, trempée dans la sauce de La Chanson du Dimanche) mais aussi pour réaliser des percées en solo. Allez donc écouter Tereza, pure instru blues/jazz, ou encore le fou furieux Ari zone a, vous voyez le clin d’œil, qui bascule dans un délire rock/tribal !
D’ailleurs, on sent bien que Boucan « roumègue » et que ça va sortir… Ça va déborder, sous son calme apparent, n’est qu’un leurre : en débutant sur des notes blues, le trio bascule dans un portrait de la planète agonisant, déchiré par le vacarme d’une trompette aux aguets. Pas de problème, le message est passé. Pourtant, Boucan ne choisit jamais la confrontation directe dans son approche, il y a ici des adeptes de la plume en pleine action. Inutile de s’attarder sur la triste réalité de Vent de l’ouest sur la Méditerranée où la plaie est encore à vif ; le constat est évidemment le même sur Ha ha ha, presque Wriggles dans l’âme, qui interpelle ceux bercés trop près de la religion.
Dans ce monde à feu et à sang, les tourments de l’âme disparaissent rarement et le trio en est conscient : deux pépites se dénichent au fil de l’écoute. Vive où tu vas, noir et poussiéreux, retourne les tripes mais laisse percer l’espoir… avant que La question des secondes suspende l’auditeur sur un fil. En équilibriste des sons, guitare comme toile de fond, l’album suspendrait presque le temps à sa guise. Un genou est posé à terre et la reprise de Boris Vian, avec Le temps de vivre (l’évadé), clôt le chapitre.
« Déborder », c’est 53 minutes d’autre part. Il y a un regard noir sur ce qui nous entoure, forcément, mais aussi plein d’humanité. Vous y mettez des influences qui poussent au mélange et vous obtiendrez l’Homme au bord du gouffre mais qui peut (encore) être sauvé. Sans langue de bois, un des meilleurs albums chanson française de 2019.
Boucan, « Déborder », disponible depuis le 23 août 2019 chez Le Temps des Assassins.