Le parolier albertivillarien Batlik sortait le 7 octobre dernier son onzième album en douze ans de scène. « XI lieux » pour 11 chansons d’inspirations diverses. Comme il nous y a si régulièrement habitué par le passé, l’autodidacte nous entraîne au fil de l’album dans un univers nouveau teinté de la douceur de sa voix et de l’harmonie de ses partitions.
11 lieux donc, réels ou imaginaires, fantasmés ou vécus. Le Musicodrome a voulu s’essayer à deviner les lieux concernés, quand ils ne sont pas explicitement cités, et en vue de comparer le perçu du réel, présenté par l’artiste. Mais d’entrée, et bien que nous ayons tenté des qualificatifs, Batlik plante le décors : Ici ou Ailleurs, beaucoup de choses restent intemporelles et adviennent indifféremment du référentiel dans lequel on se place. On pense spontanément qu’Ailleurs se passe très certainement en massif montagneux « Malgré le calme tout autour, et reliefs étourdis par des milliers d’années, de jours, de crépuscules et de nuits…« . Mais la suite « La proportion d’ennemis est la même qu’à Paris, la proportion d’emmerdeurs est la même ici qu’ailleurs » nous permet d’éliminer d’office les buttes Chaumont et Montmartre. Les évocations de miel et de confiture évoquent des massifs ensoleillés, nous pourrions donc réduire le choix aux seuls Pyrénées, sud des Alpes et Cévennes…
Impossible de trancher avant la fin du morceau qui laisse songeur… Et que dire du présupposé initial selon lequel le lieu était à chercher en France métropolitaine ? Et dans un lieu « physique », localisable sur une carte ? Peu importe finalement, il ne faudra retenir de ce titre que l’invitation au voyage et l’évocation sous-entendue de la rudesse de la solitude. En pleine nature ou au cœur d’une mégapole, chacun se bat avec ses démons. Profiter des sons peu communs d’une rivière ou plus généralement d’une nature grouillant de vie n’est qu’une aide, à qui sait l’attraper, sur le long chemin de l’introspection.
Dans le parfait prolongement de cette mise en bouche, arrive Au bord de l’abîme. Pleine de mélancolie Au bord de l’abîme pourrait avoir été écrite depuis Etretat, mais la mer s’est abstenue de tous temps de renvoyer un quelconque écho à quiconque tentait de lui parler. Seul face à des monstres, les « ennemis » que Batlik évoque deux fois en deux titres consécutifs, il est donc face à une grotte profonde et obscure, attirante. Ces tréfonds jamais atteints dans la chanson semblent être ceux de l’âme, celle que l’on cherche, terrée derrière des entrelacs de conscience ou vice versa. Le retour de l’écho est flou, son sens laissé libre d’interprétation de chacun, ce n’est pas aujourd’hui que l’abîme nous avalera tout rond.
Le titre suivant fait la part belle à cette évasion de l’abîme. Plus joyeux et entraînant, Ici bas évoque avec Cioran la récente découverte « marquante » de l’auteur, que celui-ci évoque à plusieurs reprises dans ses récentes interviews : Duras. Si marquante et sans doute si inspirante, qu’il soupçonne même son chien et narrateur du titre, Raoul, de vouloir s’il en avait la faculté, écrire « des poèmes de Cioran ou Duras« . Aucun doute, Batlik s’est, pour cette chanson, réfugié dans l’intimité de Raoul et a imaginé ce titre depuis sa patte.
Poursuite du voyage en terrain vague. La Paradis en a inspiré d’autres avant lui et en inspirera d’autres. Mais Batlik applique sa marque sur le sujet. Tantôt sombre, tantôt joyeux, toujours cynique, le message est clair : « Tous les paradis sont construits sur des cadavres ou des adieux« .
Comment ne pas imaginer une construction rigoureusement et réfléchie de l’album quand le titre suivant directement Paradis, s’intitule Là où rien na va ? Pur fantasme d’un chroniqueur athée, ou réelle volonté de l’auteur ? Comment le savoir… Malgré une réflexion autour de la recherche du lieu lié à la chanson, pas d’indice. La ligne de synthé, lancinante et régulière évoque une éternelle boucle, toujours recommencée. Prémices d’un clip que nous présentons ci-dessous ? Il s’agit sans doute du titre qui restera le plus hermétique et mystérieux à l’écoute. Insondable, la mélodie s’arrête brutalement pour repartir sur un air de guitare aux sons plus acoustiques.
Pas d’autre choix pour écrire A l’époque, que de s’imprégner des vestiges du passé. On imagine Batlik immergé dans un livre d’histoire ou sur le parvis d’un musée. Et quid du livre d’histoire à la sortie du musée, une façon de contextualiser ce qu’on vient de voir figé ? Ce titre est une hymne contre la barbarie en tous genres tout autant qu’une interrogation sur l’avenir. Contre la colonisation, et plus généralement cette arrogance « pédagogique » qu’a le fort vis à vis du faible.
Havre de paix de l’album, dont il pourrait être le single, Dans le maintenant est aussi le coup de cœur du Musicodrome. Batlik nous le présentait déjà il y a quelques mois (avec entre autres Sous la voûte, Paradis et Ailleurs), notamment lors de son concert à La menuiserie. A l’époque, nous n’étions pas foutu de retrouver le titre de la chanson, et pour cause !
Le titre pourrait se résumer en un refrain : « Je vendrai ma maison à celui qui n’y coupera pas les fleurs / Je vendrai ma maison à celui-là seulement / Je vendrai ma maison à celui qui n’y coupera pas les fleurs / Et comme il ne vient pas, j’attends. » C’est celui-ci qui donne toute sa force au titre tant son énoncé semble performatif.
Il signe également le retour des concepts explorés tout au long de l’album : l’ici et le maintenant, mais aussi l’attente (solitude…). Nous parlions de « boucle », plus tôt ? Le clip associé, pour le moins original, ne fera qu’accentuer cet effet : « Comment tourner en rond en marchant droit devant ?« . Un titre prenant, à découvrir et savourer sous forme de clip !
Vraisemblable single de l’album, « Dans le maintenant« .
Noyé. Au fond d’un troquet, avec l’un des deux verres de sky évoqué dans la chanson. C’est ainsi qu’on imagine l’auteur, écrivant Au 7ème, doucement sur un coin de table. La montée progressive de l’alcool fait évoluer le propos. L’arrivée au bar, la rencontre avec une femme, la méditation, la drague. La terre penche de plus en plus, le locuteur également. Il ne rentre pas seul, mais pas bien. Des rires et/ou cris d’enfants, de la joie et/ou de la détresse en trame de fond, le tout sur un tempo guitare haletant viennent ponctuer ce titre, de plus en plus omniprésents au fur et à mesure qu’il avance. Tout s’écroule.
Entre deux évoque une relation duelle. Avec une femme ? Très certainement : « S’il y a une femme / qui veuille s’immiscer / dans ce petit intervalle / sans que tu l’aies invitée. » Il nous est encore une fois difficile de déchiffrer le propos. Les métaphores semblent cependant traduire la cour que ferait un homme à l’être rêvé. Montagnes et animaux évoqués ne sont que les images venant à l’esprit de l’auteur pour décrire ses sensations. Indissociable du titre suivant ? Sous la voûte exprime quelque chose d’éphémère « Dès l’aube tout ça aura disparu…« . Batlik y affronte le silence, teinté de blanc…
Partant d’Ailleurs pour arriver à St Nazaire, l’album nous plonge, comme dans une ballade (sic!), dans les méandres souvent mélancoliques de thématiques quotidiennement affrontées, qui se muent rapidement en questions existentielles. Batlik fera des ses questions l’existence même de son album. En concluant par un mot doux pour « L’architecte de la gare de st Nazaire » via un refrain splendide de sonorités, Batlik semble encore une fois répondre en écho à son titre Dans le maintenant. Ou n’est-ce que mon fantasme de chroniqueur ? C’est un Saint-Nazaire pluvieux, un Saint-Nazaire d’adieux que nous délivre l’auteur. Une escale, un nouveau départ, et sans regret puisqu’il n’hésite pas à faire un parallèle entre gare et cimetière. Vers quels horizons se dirige-t-il maintenant ? Pour le savoir, il faudra de l’ordre d’un an de patience, et pour l’accompagner, une ou plusieurs dates parmi celles-ci conviendra certainement au lecteur…
Tracklist :
1. Ailleurs
2. Au bord de l’abîme
3. Ici bas
4. Paradis
5. Là où rien ne va
6. A l’époque
7. Dans le maintenant
8. Au 7ème
9. Entre deux
10. Sous la voûte
11. St Nazaire
Sortie : 7 octobre 2016
Durée : 38 min
Genres : Chanson Française
Album: 11ème
Label : A brûle pourpoint