A force de vouloir chercher à contrôler le temps, il finit par vous filer entre les doigts : maintes fois annoncées et maintes fois décalées, les deux chroniques express à l’honneur du Musicodrome aujourd’hui s’attardent sur trois artistes. Deux ont décidé de bosser ensemble (et leur collaboration était bougrement attendue) tandis que le troisième est à la recherche d’un second souffle… Ça promet !
Al’Tarba meets Senbeï « Rogue monsters » (8 février 2019) chez Banzaï Lab -ABSTRACT HIP HOP/ELECTRO-
Imaginez un premier gars, Al’Tarba, agitateur hip hop d’une scène toulousaine déjà bien gratinée, qui part à la rencontre d’un autre passionné de musiques électroniques, bordelais cette fois, Senbeï. Les deux se connaissent bien puisqu’ils évoluent au sein du label Banzaï Lab, toujours très actif. Ils le sont tout autant d’ailleurs puisque le premier a sorti son dernier disque, « La nuit se lève », en 2017 tandis que le second a sorti du four « Ningyo », en 2018. Un point commun marque leur musique : les basses, forcément, mais pas que. Al’Tarba évolue dans l’ombre à visage découvert, distillant un abstract hip hop lancinant qui se déguste toujours avec des featurings de premiers choix. Senbeï, lui, aime explorer les recoins de l’électro, celle scratchée, celle qui appelle au voyage, celle qui fait bouger aussi. Devenus temporairement les « Rogue monsters », ces derniers proposent 14 titres qui portent leur sceau respectif. On y identifie des morceaux très caractéristiques à leur environnement : Rakshasa, première bombe du LP en ouverture, est un brûlot electro saturée signé Senbeï qui pousse les murs et il peut rappeler des sonorités travaillées par Chinese Man ou Tha Trickaz à leurs débuts. On hante la ville, en collaboration avec les énormes Droogz Brigade, est massif, pour ne pas dire corrosif ! Entre ces mondes, il y a l’histoire du monde dessinée à travers de multiples facettes : il y a cet équilibre parfait sur Yellow fields ou sur Falling qui démontrent que l’alchimie entre ces deux artistes a largement fonctionné. C’est à la fois doux et puissant… Puis il y a ces moments de débauche, bien salasses, qui ne sont pas là pour faire de la dentelle : Gangsters déboulonne et fait un clin d’œil à The Prodigy, More pressure se pare d’une dorure dubsetp et se sature, Tarikh devient hybride et bascule… Même si des compos sont meilleures que d’autres (il fallait oser l’expérimental sur Lonely bones, mais ça fonctionne), Al’Tarba et Senbeï réussissent cette première collaboration haut la main. A l’oreille, une seule écoute suffit pour reconnaître que ces deux artistes ont mis la main à la pâte et certains pourront y reprocher un manque de prise de risque. Cet avis est discutable, en revanche, cet album reste une belle réussite !
Lyre le Temps « Clock master » (14 janvier 2019) chez French Gramm Label -HIP HOP/ELECTRO/SWING-
Depuis leur incroyable premier album « Lady swing », en 2007, Le Musicodrome a toujours accordé une oreille attentive aux évolutions du groupe strasbourgeois. Agité par des recompositions internes et des albums suivants aux influences variés, beaucoup ont pensé que Lyre le Temps avait fini par perdre pied. La succession de « Lady swing », difficile à porter, a mené à des déceptions comme « Outside the box » même si « Prohibition swing » (2016) montrait des signes de mieux. A l’époque de ces deux albums, il faut dire que la mouvance electro/swing avait plutôt le vent en poupe (Caravan Palace, The Parov Stelar…) et qu’on ne se demandait plus vraiment à quelle sauce nous allions être mangés. En 2019, Lyre le Temps revient après une petite période d’hibernation et s’est remis en question : le temps des envolées electro qui mettaient l’intensité au premier niveau semble résolu pour mettre en avant la voix et le groove du groupe. Sur « Clock master », Lyre le Temps revient a ses classiques, là où la mélodie peut vous envouter et ne plus vous lâcher. Les machines sont utilisées avec parcimonie, ça scratche intelligemment, les cuivres déboulent sans crier gare et le piano redevient le premier instrument qui dicte le rythme. Impossible de ne pas citer l’explosive cuivrée Still alive -qui donne un smile pas possible- et qui s’achève dans une course effrénée contre le temps. Même constat pour An other part of the world, entêtante par ses envolées au piano -ce qui lui confère un côté pop surprenant. Outre ces deux morceaux qui se détachent facilement des 10 autres, Lyre le Temps s’appuie sur son savoir-faire pour réussir le pari de son quatrième album. On tremblera un peu en début d’album (sur Sad swing, Time train ou Brokopoly) car, musicalement, on est un peu sur des refrains ou ambiance des albums précédents… Il y a toujours des penchants rétro, forcément, mais il parvient toutefois à trouver une belle symbiose entre les éléments : par exemple, Everything moves laisse la place belle aux machines mais les cuivres renvoient la balle et font jeu égal, préservant cette touche rafraîchissante travaillée. Pour les habitués, les influences hip hop s’évanouissent peu à peu dans ce « Clock master » mais elles résistent, notamment en seconde partie d’album (Who cares for me, Forget about the past, Everybody knows). Lyre le Temps se permettra même d’apporter une précieuse touche roots, Now or never (tout est dit), comme pour chasser définitivement ses vieux démons. Il le mérite en tous cas !