Rufus Bellefleur « Groovin’ Tales From The Gator Blaster » (2011)

10 min de lecture
Critique Groovin Tales from the Gator Blaster Rufus Bellefleur 2011

Les histoires de fantôme reviennent à l’ordre du jour : tout en gardant leur part de mystère, elles connotent toujours autant à l’angoisse, à la mort, aux catacombes. Aussi étrange que son propre nom, Rufus Bellefleur vient de ressusciter : le fantôme de Bayou est de retour.

Il y a des légendes qui ne meurent jamais. Des murmures, des chuchotements à travers les murs, de vieilles histoires qui se répètent de génération en génération. Pourtant voilà, depuis 1889 Rufus a abandonné la Louisiane mais son esprit a survécu. Le passage de la mort a copieusement transformé Rufus : avide de sexe et de violence, la soif de vengeance est désormais devenue sa seule quête. Pourquoi ? Mais que veut-il ? Qui est véritablement Rufus ? Tant de questions qui resteront, ici, sans réponse.

Pourtant, deux pauvres âmes se sont laissées envoûter par le spectre de Rufus. Pire, grâce à eux, Rufus leur dicte la marche à suivre… Ces deux faibles d’esprits sont toulousains, en l’occurrence le premier est bien connu : Julien Cassarino, chanteur et leader du groupe de métal Psykup mais aussi de Manimal, puis enfin Youssef Dassouli dit Yuz. Pris au piège, les deux comparses ne font qu’exécuter les ordres de Rufus. Ju est donc au chant… et Yuz à la production.

Aucun choix concernant le nom du groupe : sous l’emprise de la tête pensante, le combo a pris le nom de son maître, Rufus Bellefleur. Si l’on peut se demander s’il ne frôle pas la démence, Rufus laisse toutefois à Ju le soin de garder quelques influences musicales proches du métal pour matérialiser son histoire. Pourtant, Rufus vient des Etats Unis et il tient à laisser une place importante à la folk et la country. Aussi curieux que cela puisse paraître, il est aussi intéressé par le vieil hip hop crasseux, le old school. Il a ainsi sommé Ju et Yuz a raconter son histoire… en musique.

First blood vient saigner dès les premières notes l’auditoire : cri déchirant dans un registre très proche de Psykup pour commencer, banjo acéré pour une percussion sans faille. C’est une ouverture très country musicalement avec un chant plutôt métal qui scotche littéralement sur place. Audacieux. The Rendez Vous continue à raconter les différentes rencontres avec le fantôme en amorçant un virage country/hip hop. L’électrique se mêle à l’acoustique, on se croirait voyager sur les rives du Mississippi.

Si les genres musicaux ne sont pas pris au hasard, le temps devient sombre sur Drink (this is my soul). Le côté groovy du début d’album est progressivement gagné par des orgues et des riffs sombres… Changement de décor, nous voilà plongé dans un film d’horreur digne de Massacre à la Tronçonneuse, hanté par des chœurs de femmes reprenant le refrain… Phrasé hip hop, la suite s’enchaîne admirablement bien dans l’esprit très pop du morceau lui succédant : RUFUS. C’est un track qui collerait bien au répertoire des Beastie Boys, mais imaginez-vous les Beastie avec… un banjo !

Après ce premier tiers d’album, Rufus Bellefleur n’a qu’un maître mot, l’audace. Si beaucoup classent Rufus avec l’étiquette grossière de « country/hip hop/métal », c’est se mettre un doigt dans l’oeil. Pour la première fois, le fantôme chante en français (enfin en partie) sur Ma Blonde. Un fort accent américain certes, mais l’on retrouve toute l’influence folk de Rufus, très présente par moment. Court, simple et efficace même si ce morceau est le seul qui présente réellement Rufus sous son meilleur angle. Après la légèreté, place à l’esprit festif de Rufus : il aime faire la fête et son entrée est fracassante sur le très funky Tonight The Devil Is The Deejay. Samples percutants, les guitares sèches de sortie avec un harmonica en guise de refrain, le premier clip du groupe a été bien choisi. Rufus, même mort depuis plus de 200 ans, sait ce qui plait aujourd’hui.

Après la danse, Rufus replonge dans ses travers : Dirty Feet met de nouveau en valeurs les faces sombres du fantôme. Morceau cuivré sous hip hop feutré auront raison de lui. A la fois glauque et décadent, l’on finirait presque par s’attacher les services de ce drôle de fantôme… The Shop alterne nervosité et délicatesse mais se montre avant tout déjanté : imaginez-vous en train de mélanger Cypress Hill, Tool, Beastie Boys et Dany Elfman ! Les influences hip hop sont renforcées sur A Hole In This Cage et All Your Humanity et toute l’agressivité de Rufus finit à nouveau par envahir le skeud… Pourtant ce dernier morceau est trés révélateur de la richesse de l’univers du groupe : hip hop, guitares sales, claviers pour une explosion finale de Ju. Un petit côté industriel jusque là absent qui surprend une fois encore. Surtout lorsque juste auparavant une pop sucrée s’était emparée des commandes sur Souviens Toi du Bon Temps. Envoûtant.

Si l’emprise de Rufus a été quasi-intégrale sur Groovin’ Tales From Gator Blaster, l’esprit de Rufus Bellefleur s’est également propagé à l’extérieur de cette galette… Afin de prolonger l’aventure, Gwen Vibancos, dessinateur de BD, a été enrôlé de force. Gwen se charge des artworks (visibles sur l’album et le myspace du groupe) avec une touche réelle pour les comics books US. Bien sûr, cela colle particulièrement à l’univers créé par Rufus. Enfin, des musiciens du collectif Antistatic ont eux aussi été envoûtés pour aider Rufus : Steph à la contrebasse et Metty à la batterie pour le live.

L’atmosphère autour de ce personnage est cruellement démoniaque : les textes sont à la fois drôles, noirs, bourrés de référence cinématographiques et de vieux westerns, mettant ainsi en scène un fantôme voulant prendre sa revanche sur le monde à coup de violence et de musique. Les tendances musicales sont variées et n’allez pas croire que Rufus a voulu mélanger sans imagination trois styles musicaux. L’étiquette existe mais elle est grossière : si effectivement les tendances hip hop et country sont dominantes, de nombreuses déclinaisons ont été développées. Il n’est pas rare de trouver ukulélé, harmonica, orgues, claviers, guitares saturées pour venir à l’encontre du vieux Rufus. Aucun morceau ne se ressemble et chacun a son accroche. De là à dire que tous les morceaux sont excellents, non, mais ce Groovin’ Tales From Gator Blaster est une réelle surprise.

Pour un projet déclaré comme « secondaire », on peut dire que l’on aimerait voir plus souvent des fantômes hanter nos enceintes. D’autant plus que sa véritable histoire se découvre en écoutant l’album… Entre la musique, les comics, et la tournée qui débute le 15 décembre à Montauban, on n’a décidément pas fini d’entendre le doux nom de Rufus Bellefleur

FICHE TECHNIQUE

Tracklist
1) Intro
2) First blood
3) The rendez vous
4) Drink (this is my soul)
5) RUFUS
6) Ma blonde
7) Tonight the devil is the deejay
8) Dirty feet
9) The shop
10) A hole in this cage
11) Third fight scene
12) Souviens toi du bon temps
13) All your humanity

Durée : 43 min
Album : 1er
Sortie : 18 juin 2011
Genres : Hip Hop / Country / Métal
Label : Mog Fog

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