Les festivals sont un moment privilégié pour échanger avec les artistes en tournée. C’est au Check-in (à Guéret, dans la Creuse) que nous avons eu l’occasion de rencontrer Lucie Antunes. La percussionniste virtuose nous parle de sa musique, de son approche du live et de ses projets à venir.
Nous t’avons découvert sur scène au Yeah ! dans une ambiance pas mal survoltée. Nous avons été particulièrement interloqués par l’installation sur scène. Peux-tu nous en dire un peu plus sur les instruments que tu utilises ? Car on y trouve des choses assez atypiques…
Oui, en effet j’utilise des percussions classiques à la base – vibraphone, marimba, batterie – et des cloches tubulaires. Vibraphone et marimba sont reliés à des micros piézo, eux même reliés à des pédales d’effets. J’ai un musicien sur scène, Franck Berthoux, qui traite ces sons en temps réel.
De l’autre côté, j’ai un musicien (Jean-Sylvain Le Gouic) qui s’occupe des cloches tubulaires, de quelques percussions mais aussi de tous les synthés et modulaires. Les deux sont de vrais geek. Moi je suis très musique acoustique, eux très musiques électroniques et à nous trois nous produisons vraiment une musique hybride.
Les cloches tubulaires sont donc ces grandes tiges de métal tapées au marteau ?
Oui, elles sont très utilisées dans la musique classique. Mais Pierre Henry les utilisait beaucoup aussi. On les retrouve également dans les morceaux de Brigitte Fontaine des années 70 (dans le morceau Eternelle par exemple).
Et la grande plaque de métal que tu utilises ?
Ça c’est la tôle. L’idée est de mélanger les sons acoustiques avec les sons électroniques. Donc, avec les sons acoustiques j’essaie d’imiter par exemple des boites à rythmes, et parfois je demande au modulaire d’essayer de se rapprocher de sons plus acoustiques. C’est plus difficile mais pas impossible.
C’est super intéressant. Nous avons récemment assisté au concert de Grandbrothers qui travaille sur cette approche électro–acoustique en captant mes sons directement sur un piano. Du coup sur scène, ce sont des choses improvisées ou pas ?
Non, ce n’est pas vraiment improvisé. Comme tout est joué, ce n’est jamais vraiment le même concert mais les choses sont assez minutées quand même. Quand tu joues avec des instruments électroniques tu as besoin d’avoir un click pour pouvoir jouer avec. Ce n’est pas piloté en temps réel et ce n’est pas non plus joué en temps réel. Le musicien à ma droite si, mais celui à ma gauche a tout dans un ordinateur. Il traite néanmoins les sons en temps réel.
Il y a pas mal de musiciens issus de l’électronique qui se rapprochent du monde acoustique voire classique (Worakls par exemple). Est-ce un besoin de montrer que la musique électronique est vraiment de la musique ?
Je pense que l’on est surtout en train de se rendre compte, en tout cas je l’espère, que la musique vivante est vraiment importante. Et je suis là pour défendre une musique vivante. Or l’économie nous demande de réduire l’effectif. J’ai la chance de travailler avec un tourneur qui lui m’accompagne dans cette envie de montrer une musique un peu plus orchestrale. Mais pour ça, il faut avoir les bons accompagnateurs.trices. Car encore une fois, on est dans des réductions budgétaires encore plus marquées avec la période que l’on vient de vivre.
Le fait que des groupes défendent une musique plus vivante, je trouve ça formidable. Je pense que le live, est une vraie prise de risque. Et puis il y a aussi la beauté de voir un excellent batteur, un excellent bassiste ou un excellent guitariste jouer ensemble et s’amuser. Je trouve ça excitant à voir en tant que public, et de le vivre aussi.
C’est exactement ce que j’ai vécu au Yeah!. On sentait le plaisir que vous aviez à jouer et on avait envie de taper sur la tôle en même temps que toi. On est vraiment pris dans le show.
Et bien tant mieux! Et je ne souhaite pas que ça fasse musique complexe ou branlette intellectuelle, c’est pas l’idée. C’est juste qu’on a une certaine technique et qu’on aime bien a mettre au service d’une musique qui demande cette folie là, cette performance.
Notre seul regret pour l’instant est de ne pas avoir encore assisté à ta performance avec le collectif Scale.
Ce soir nous sommes sur scène avec le collectif Scale (ndrl finalement non, faute à la pluie). L’installation, que j’adore, est magnifique mais crée une vraie distance entre le public et nous. Tu n’as pas la proximité que je peux avoir avec le public quand c’est au yeah! comme cet été ou quand c’est dans un club. Ce sont deux ambiances très différentes.
Tu as joué auparavant avec Moodoid. Cela fait quoi de jouer « seule », de s’exposer avec son propre projet ?
C’est super, c’est tout ce que j’ai toujours voulu. J’ai adoré accompagner les artistes Moodoid, Yuksek, Aquaserge, Susheela Raman (c’était une très belle expérience). Mais là évidement, c’est très flatteur déjà de pouvoir défendre son projet et puis c’est une autre expérience. Quand tu lead un projet, de fait, même dans les festivals, tu n’as pas la même position. C’est-à-dire que les musiciens avec qui je bosse, là, ils vont aller faire du ping-pong et bouffer ensemble pendant que moi, je suis avec toi (mais j’adore hein). C’est super et c’est une position qui est différente. Et c’est bien là que j’ai envie d’être. Mais interpréter la musique des autres me correspond bien aussi. Tant que j’aime bien la musique ça va.
C’est surtout mon métier premier. Toujours pareil, dans cette dynamique de jeu, ce que j’aime, c’est de jouer avec des musiciens qui ont aussi une certaine technique car on parle la même langue. On peut vraiment s’amuser. L’idée n’est pas de jouer qu’avec des techniciens, ce n’est pas ça le truc (il y a des techniciens qui sont vraiment bidons, qui jouent vite, sans aucune musicalité). Moi ce que j’aime bien, c’est partager un moment et ne pas avoir de limite. Et la technique offre ça en fait. Comme je me suis tapée 25 ans de Conservatoire, je peux dire que oui, je peux m’amuser techniquement et ça, ça me plait beaucoup car dans les autres domaines je ne suis pas si forte que ça.
Et du coup c’est toi qui composes tout ?
Tout. Jean-Sylvain le Guic a également co-composé deux morceaux qui sont super.
Et on a également des voix qui arrivent sur certains morceaux.
Oui, ça je l’utilise beaucoup. Et dans le prochain album je mets ça encore plus en évidence.
En allant jusqu’à chanter ?
Je chante beaucoup mais je ne chante pas des paroles répétées. Je fais une proposition radicalement opposée, folle, plus dansante mais un peu plus à la Meredith Monk. Elle fait des trucs très chelous avec la voix. Je vais faire ça. Je n’aime pas du tout ma voix et donc du coup, je la mets en évidence pour aller encore plus loin dans l’exercice de ce qu’on peut faire avec peu. Je travaille toujours avec plein d’instruments. Là j’ai voulu faire quelque chose de plus minimaliste. En tout cas, J’essaye.
Le deuxième album va être plus minimal, très percussif toujours car c’est ma zone de confort, mais la voix va être pas mal mise en avant. J’ai envie de faire quelque chose de différent. Ça ne m’intéresse pas forcément de créer un album qui ressemble au premier. Caribou par exemple, je le trouve assez fort là-dedans parce qu’à chaque fois il fait des propositions qui sont différentes.
Mais ce n’est pas tant l’idée de vouloir surprendre mais plutôt de me surprendre moi-même. Mais si tu prends des risques, tu peux te casser la gueule. Je ne fais pas une opération à cœur ouvert quand même. Au pire on me dira que c’est de la merde et je ferai un 3ème album. Mais j’ai envie d’aller au bout de ce projet.
Tu portes ce projet, Sergeï , depuis 3 ans du fait de l’interruption liée au covid. Est-ce que retrouver le public te porte pour aller plus loin justement ?
Oui, il y a un vrai retour du public. Les gens sont attrapés par la musique et l’idée de cette musique, trans, c’était ça quoi. C’était emmener les gens avec moi dans ce qui moi, me porte. Je suis assez contente du résultat et je vois que les gens sont vraiment réactifs. Déjà je pense qu’ils sont déjà assez abasourdis par tout le matériel qu’il y a sur scène et puis après, on a beaucoup travaillé. On a fait énormément de résidences, il n’y a pas de secret. Souvent, dans les musiques actuelles, on te dit que tu peux monter un projet en trois jours. Je refuse. Dans ce cas-là, tu prends un ordi.
Je travaille avec un tourneur, Caramba, qui est très à l’écoute et qui fait en sorte que ça existe. Ils croient vachement à ce projet et ils sont très heureux de pouvoir défendre une musique vivante. C’est pour ça qu’être entourée de bons partenaires c’est important aussi.
Et j’imagine que tu travailles avec d’autres disciplines artistiques ?
Oui, Scale déjà. C’est vraiment des installations. C’est une scénographie pensée comme une installation. Et il m’arrive de travailler avec la danse parfois.
Merci de nous avoir consacré un peu de temps. Et bonne continuation avec ton nouvel album.
Merci! Le nouvel album est prévu en début d’année prochaine.
A ce propos, cela doit être difficile de composer en tournée ?
Oui mais c’est un problème de riche car j’ai toujours voulu ça. En effet c’est un peu bizarre cette année car normalement tu finis une tournée et tu composes ton album tranquille. Là ça va vraiment s’enchainer. Après, moi qui suis hyper active au fond, je crois que ça m’arrange un peu.
Donc tout va bien ?
(rires) Pour l’instant tout va bien oui