La musique permet de faire de belles rencontres et parfois pas si loin de chez soi. Tout commence par la découverte d’un univers musical stupéfiant diffusé sur les ondes de Nova dans l’incontournable émission Dance’o’drome de Yuksek. Un monde fait de rythmes électroniques enveloppants, de sons d’animaux, de promesses de contrées exotiques qui me saisissait instantanément et qui ne me lâcherait pas de si tôt. Et puis il y a une photo, une simple image postée sur les réseaux sociaux, mais sur laquelle apparait le jardin des plantes de Montpellier. Cette incroyable coïncidence me pousse à contacter son auteur afin de le rencontrer et en savoir un peu plus sur ce mystérieux projet, Xique-Xique.
J’ai découvert ta musique en imaginant que tu venais du Brésil et je me rends compte que tu es français avec un fort lien avec la ville de Montpellier. Serais-tu un vrai montpelliérain ?
Oui, un vrai de vrai. Je suis né à la clinique Saint Roch, en 1981, d’une famille de montpelliérains et poussannais qui sont ici au moins depuis 1650. Je suis parti de Montpellier à 17 ans pour faire des études de droit à Paris, à Assas. C’est à cette époque que j’ai commencé à mixer. En maitrise, j’ai fait un stage de droit à New-York et j’ai emmené avec moi des 45t de sons français obscurs que je collectionnais déjà. Là-bas j’ai trouvé des endroits où j’arrivais à jouer. Je travaillais à Manhattan, je rentrais à Brooklyn, je me changeais, je prenais mes disques « souterrains » – Mathématiques modernes, novo disco, proto, beaucoup de krautrock et de post-punk – pour les jouer dans un endroit que j’avais trouvé. Un soir, un type est venu me voir en me disant « j’aime beaucoup ta musique, est-ce que tu connais Madonna ? (il était un peu prétentieux comme ça), c’est mon patron qui l’a signée » et il me jette une carte du label qui s’appelle Sire records (Talking Heads, Depeche Mode, The Ramones, etc.). Puis il m’a dit « écris-moi, ta session est très bonne » . Je n’ai jamais écrit au type mais j’ai gardé sa carte. Je suis ensuite rentré en France avec l’idée que ma sélection était peut-être pertinente et en me disant « je suis dj, j’ai joué à New-York ! » (rires).
Après ça, j’ai commencé à faire des soirées à Paris, dans un bar qui s’appelait l’OPA. J’avais un autre nom de DJ à l’époque, dunwich. C’est un nom que j’avais choisi aux débuts d’internet, à la grande époque des premiers chats ICQ et des réseaux IRC et que j’ai gardé par la suite.
Une fois mon droit terminé, j’ai continué à jouer. Et à un moment donné, j’ai commencé à jouer un peu partout à Paris (Nouveau Casino, Batofar, etc.). J’ai aussi fait un peu de production au Batofar. Mais j’avais remarqué qu’à Paris, deux choses m’embêtaient. D’abord personne n’était content des gens qui réussissaient. Donc à la fin tes amis devenaient aussi tes concurrents. Il y avait une ambiance un peu délétère où on pouvait très bien passer une soirée avec des personnes que l’on connaissait mais où personne ne se disait bonjour. Je détestais ça. J’ai également joué dans un bar rock, le Truskel. là je faisais des DJ set un peu post-punk. C’est là que j’ai rencontré une brésilienne que je pensais être polonaise ou russe tellement elle était blanche de peau alors qu’en fait, elle venait du sud du Brésil. On est devenus amis et on a commencé à produire ensemble. C’était déjà la première forme de Xique-Xique mais on ne le savait pas encore.
On est partis au Brésil en 2009. A cette époque on a rencontré le collectif Voodoohop qui nous a inspirés et nous a fait changer de direction. En allant de la France vers le Brésil, je suis passé de 130 bpm à 120. Je me souviens qu’en jouant de la disco en 120 bpm au Brésil, à cette époque, les gens m’ont demandé « c’est quoi ce son ? » tellement cela les faisait décoller. Alors que c’était juste de la disco un peu plus lente. Puis un jour j’ai joué dans une soirée qui a été changée d’endroit au dernier moment. Cela s’appelait CIO. Nous nous sommes retrouvés dans un endroit très alternatif, dans un bâtiment qui s’appelle Trackers à São Paulo et celui qui s’en occupait était un DJ allemand qui s’appelle Thomash, un des fondateurs de Voodoohop. Quand je l’ai rencontré, je me suis dit ce type-là est génial, il faut que je reste en contact avec lui. Je venais d’arriver au Brésil depuis deux ans, je devais repartir de zéro sans aucune garantie de jouer, ni rien.
Tu étais parti avec des disques ?
Oui avec tous mes vinyles et mes machines de production mais je n’avais aucun contact pour travailler ou jouer, rien. Je suis resté deux ans sans jouer. Après avoir rencontré Thomash, je suis allé aux soirées Voodoohop et à la cinquième j’ai eu ce déclic Downtempo. J’ai alors senti qu’on n’avait pas besoin d’augmenter autant le bpm et qu’après une heure ou deux on avait l’impression d’être beaucoup plus rapide que ce qu’on est réellement. Eux, ils organisaient des soirées qui faisaient danser São Paulo toute la nuit sans bpm. C’était incroyable. On commençait à 80, 90 et 105 c’était le maximum. Ça m’a beaucoup plus.
Nous sommes allés dans un festival créé par le collectif Voodoohop qui a lieu une fois par an à l’extérieur de la ville. Cela se passe dans un petit village de l’état de de Minas Gerais où l’on trouve une belle chute d’eau. Ces trois jours de festival étaient tellement magiques, qu’avec Bibiana, quand nous sommes rentrés, nous nous sommes dits qu’il fallait synthétiser tout ce que nous avions ressenti dans un morceau. C’est à ce moment là que nous avons créé notre projet Downtempo électronique. On voulait que ça marche, que cela touche les gens directement. Je suis tellement perfectionniste que je voulais que ça face un hit directement. C’est ce qu’on a fait avec le morceau Xaxoeira qui signifie chute d’eau (avec une erreur d’enfant dans l’écriture, on entend d’ailleurs une petite fille prononcer ce nom sur le morceau). On a fait écouter ce morceau à Voodoohop qui a beaucoup aimé et quelques années plus tard on l’a lancé sur un label allemand. Contre toute attente le Downtempo a explosé au niveau mondial et quand c’est comme ça, cela n’apparait pas à un seul endroit mais à plusieurs endroits en même temps. Donc le berceau de ce mouvement pour l’Amérique du Sud, c’était plutôt São Paulo.
Au final cela m’a apporté exactement ce que je cherchais. Les artistes brésiliens sont extrêmement heureux quand les autres ont un succès qui marche. Deuxièmement je sais que si je joue en Europe aujourd’hui, ce n’est pas du fait de mon son pris isolément, mais parce que c’est la goutte d’eau d’une vague beaucoup plus grande de Voodoohop et d’Amérique du Sud qui déferle en Europe.
Et tu habites où actuellement ?
En fait je considère que je n’habite nulle part. Trois ans avant la pandémie, j’ai acheté un bout de terrain dans le village où on faisait les festivals en me disant que c’était un lieu vraiment mystique. Il se situe trois heures et demie de São Paulo. Pour te raconter l’histoire, un de mes amis qui organisait le festival et qui habite sur place m’a aider à chercher un terrain pendant au moins deux ans. On a fini par en trouver un et il m’a aidé à l’acheter. A cette époque, j’avais tellement de dates prévues que je pensais que je n’arriverais jamais à m’en occuper. La pandémie est arrivée. J’ai sauté dans un avion depuis Istanbul où je vivais depuis trois ans, pour rejoindre le Brésil deux semaines avant le confinement. Je me suis souvenu de ce terrain et m’en suis occupé pendant les neuf mois où je suis resté bloqué au Brésil. C’est devenu la seule adresse vraiment à moi au monde. Maintenant je reviens à Montpellier car je suis parti de Turquie pour de bon en septembre. Mon projet est d’avoir une « base » à Bruxelles. Mais ici j’ai ma maison familiale que j’aime beaucoup.
Montpellier est une ville de passage pour beaucoup de monde. C’est donc amusant d’être face à un vrai montpelliérain qui est autant globe-trotter !
C’est sûr et je n’ai même pas l’accent d’ici. C’est marrant car à partir du moment où tu bouges tu n’es plus complétement de l’endroit d’où tu viens et tu ne seras jamais complétement de l’endroit où tu vas. C’est un vrai paradoxe. La seule chose qui me manque vraiment depuis que je suis parti, c’est ce climat méditerranéen.
Elle est quand même incroyable ta situation car, bien que français, tu te retrouves identifié comme un producteur venu d’ailleurs (du Brésil). Ce n’est donc pas un hasard que ce soit Yuksek qui t’ait mis en avant dans son émission.
Je savais qu’il avait joué des morceaux dans ses émissions. Et depuis qu’il m’a invité, on s’est rapprochés, ce que j’apprécie beaucoup. C’était vraiment un rêve cette demande d’enregistrer avec lui sur Nova. C’est une radio que j’ai beaucoup écouté pendant mes études de droit.
Et aujourd’hui tu ne vis que de ta musique ?
Oh oui, uniquement de la musique depuis 2009.
Ton parcours m’évoque un peu celui de Gaël Faye qui a fait des études de droit puis a travaillé dans un groupe international avant de tout plaquer pour faire de la musique
Beaucoup n’ont jamais osé. J’avais toutes les portes qui m’étaient ouvertes dans le droit. Mon père était un grand avocat, il a été prof à la fac de Montpellier. Il a monté son cabinet ici qui a été racheté à Paris. Puis il est devenu managing partner d’un des plus gros cabinets américains. Il m’avait dit « tu feras tout ce que tu voudras quand tu auras fait ton droit ». C’est ce que j’ai fait. Je n’ai pas l’impression d’avoir perdu mon temps avec ces études car j’ai appris beaucoup de choses. Mais ce n’était pas pour moi tout ça. C’était évident.
Pour en revenir à la musique, comment tu expliques que tu ne joues pas en France ? Avec un aussi bon album que Na lagoa ?
En fait la France est un peu retard sur ce mouvement Downtempo. C’est un courant qui évolue en permanence. Je commence à intégrer au projet Xique-Xique mes racines européennes (électro, disco, post-punk, krautrock, cold wave) dans mes sets que depuis peu ce qui me permet de jouer à des vitesses plus rapides. Récemment, j’ai fait un set à Bruxelles plutôt électronique et techno parce que c’est ce que les gens voulaient et j’avais les tracks, ça me démangeait. Je connais très bien la Belgique qui est le pays auquel je pense m’identifier le plus. Le Downtempo n’est pas vraiment le son des français et j’ai été même surpris que mon agent soit français. Il a d’ailleurs fallu que je parte au bout du monde pour qu’un français vienne me chercher. Mais les choses bougent. Un label français fantastique – Crépite – a été créé récemment. C’est le premier label français qui m’étonne, qui fait clairement du Downtempo et qui le fait très bien, à la sauce française donc très électronique. Car notre patrimoine, c’est plutôt l’électro. La France est en effet un des derniers pays d’Europe où cette scène ne s’est pas développée.
Quand Yuksek m’a écrit pour enregistrer un set pour son émission sur Nova (Dance’o’drome), j’étais fou de joie car c’était un de mes héros qui m’invitait sur ma radio française préférée. C’était en outre la première fois qu’un média français s’intéressait à moi. Je n’ai pas une grande ambition, j’aime bien rester discret, dans l’ombre. En tout cas, ne pas être trop exposé, garder un certain contrôle sur ce que j’ai envie de faire. J’adorerais jouer en France et plus particulièrement à Montpellier, mais cela n’arrive pas pour l’instant. En tout cas, Yuksek m’a permis de mieux assumer ma nationalité française en me présentant comme un musicien français.
Il y a aussi une question de génération. Je n’étais pas loin de la French touch mais me suis trouvé plongé dans un courant plus jeune avec le Downtempo. De fait ce sont d’autres pays qui m’appellent. Depuis la fin de la pandémie, c’est reparti très fort pour moi, comme avant, avec beaucoup de pays visités.
Et sinon, DJ ou producteur ?
En fait mon premier boulot, c’est DJ et ce depuis 20 ans maintenant. A partir de 2005-2006, j’ai commencé à produire mais ce n’est qu’en 2012 que j’ai vraiment fait mon premier morceau qui a marché. Donc au début j’ai essayé d’être un bon DJ et je pense que j’y suis arrivé. Ensuite je me suis concentré pour être un bon producteur, je pense que j’y suis arrivé. Et aujourd’hui j’essaie d’être les deux et c’est beaucoup plus dur qu’il n’y parait. Maintenant j’aimerais créer un bon live, c’est mon nouveau challenge. Le live que j’imagine est très complexe à mettre en place.
Pour en revenir à Xique-Xique, peux-tu m’en dire plus sur ta relation à la Nature car on entend de nombreux cris d’oiseaux que le disque.
Le Brésil a été une grosse claque dans ma vie. Je ne m’y attendais pas. Comme je le disais plus tôt, j’ai tout lâché pour y aller et je ne savais pas du tout ce vers quoi je me dirigeais. Non seulement j’y ai rencontré quelqu’un qui a été très important pour moi, Bibiana, qui a été ma femme pendant dix ans, qui est aussi la moitié de Xique-Xique et que je considère comme une très grande musicienne. Au point de la ré-inviter pour finaliser l’album avec elle. Mais en plus de cette relation personnelle, le pays tout entier m’a embrassé, littéralement. J’ai appris le portugais dans la rue en six mois. Ma personnalité a changé, mon vocabulaire français s’est appauvri et mes amis me disent que j’ai une intonation bizarre quand je parle français. Même ma manière de voir les choses a changé : quand j’ai un problème à régler, je ne le fais plus comme un français mais comme un brésilien. Ça change beaucoup de choses. Xique-Xique n’aurait pas pu naitre en dehors du Brésil. L’origine du projet est donc 100% brésilienne. Tout est pensé en brésilien. Et pour la Nature, cela rejoint l’essence de Voodoohop où tout se passe dans la nature. Ce sont des hippies ! Dans ma tête, j’avais cette idée de poser un microphone au cœur de l’Amazonie et de laisser s’exprimer la nature dans un grand cri mélancolique. C’est ce que j’essaie de faire avec mes mélodies.
Mais concrètement, tu t’y es pris comment pour Na lagoa ? Tu as réalisé des enregistrements dans la nature ?
Pour le premier disque on a récupéré un disque qui s’appelle Aves de Amazonia, un vieux vinyle enregistré dans les années 70. A l’époque ils arrivaient à créer une certaine narration dans leurs enregistrements, avec une voix off qui racontait ce qu’on entendait. Non seulement je m’en suis inspiré et j’ai samplé des sons d’oiseaux mais j’ai aussi samplé la voix qui raconte l’arrivée des explorateurs espagnols au Pérou, descendent le fleuve Amazone et qui découvrent la beauté du paysage qui s’ouvre devant eux. Ça me semblait être une introduction parfaite pour le morceau 1542 sur notre premier EP.
En fait Xique-Xique n’existe que grâce à la nature et au travers de celle-ci. D’ailleurs, je pense que près de 95% des morceaux sont faits dans la foret, dans le village ou en pensant à cet endroit-là. En revanche, si les sons du premier EP viennent de samples, j’ai enregistré tous les sons de l’album. Ils viennent tous des abords de la maison où j’ai vécu pendant la pandémie. Notamment celui qui s’appelle siriema que j’ai observé pendant des heures, un couple étant présent à côté de la maison. J’ai construit un morceau autour de leur cri. Et quand le couple a entendu ce cri quand je travaillais sur la piste, ils se sont mis colère contre moi car je venais mettre le bazar sur leur territoire. Il y a un autre oiseau, pour lequel il m’a fallu près de six mois de recherches avant de trouver son nom (le Japu).
Et cette sensibilité à la nature était déjà en toi ou est venue avec cette expérience ?
En fait j’ai passé une grande partie de mon enfance dans les Cévennes, vers Ganges où je courais pas mal dans la nature. Puis j’ai vécu 12 ans à Paris, totalement déconnecté de l’environnement. Et c’est vraiment au Brésil que je me suis reconnecté à la nature. Je pense qu’inconsciemment j’avais ce contact à la nature quand j’étais jeune et il s’est vraiment ouvert avec le Brésil. Dès le 1er EP l’intention était de faire participer la nature au disque.
Et comment as-tu utilisé ces sons d’oiseaux ?
En fait ils trouvent naturellement leur place dans les morceaux. Je vais par exemple utiliser les cris ou les chants comme des percussions. Ce n’est pas du fond sonore mais de vrais instruments. D’ailleurs sur le disque on remercie tous ces animaux « e toda a orquestra de Sitio Citronela » .
Et tes projets futurs ?
En DJ set, je veux pouvoir jouer de tout car mon spectre musical est très large. En revanche pour 2023, j’aimerais me concentrer sur du live et jouer mes morceaux. Et dans cette optique-là, je m’autoriserai à augmenter un peu le bpm. On continue à travailler ensemble avec Bibiana mais on en est arrivé à la conclusion que Xique-Xique c’est tout le temps moi et parfois c’est elle et moi car on est rarement ensemble et que je porte le projet tout seul depuis cinq ans. Sa participation est néanmoins essentielle sur ce projet.
Je tiens à remercier Xavier pour ce long entretien et sa disponibilité. Xique-Xique vient de sortir un album de remixes de Na lagoa chez Magic Movement.