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Après un peu plus de 2 mois de tournée, La Ruda vient de mettre un point final à son grand retour sur le devant de la scène française après 7 ans d’absence. Cette nouvelle tournée, Le Musicodrome aura eu la chance de s’en délecter à deux reprises, à Autrans (38) lors du Vercors Music Festival mais aussi à Carcassonne (11), dans le cadre de son festival OFF. Nous avons aussi eu la chance de rencontrer Pierrot, le chanteur de La Ruda : en toute sincérité, il a abordé le retour du groupe, ce qui l’anime, vers quoi il aspire, tout en revenant sur l’arrêt du groupe, en 2012.
Alors, qu’est-ce-que ça fait de retrouver la scène ?
Pierrot : Alors, on va faire simple… Je cherche surtout des adjectifs car c’est une question qu’on nous pose souvent (rires) ! Ça fait, forcément, plaisir et c’est aussi un retour souhaité. On est surtout content car on a le sentiment qu’il était « souhaitable » dans le sens où le public est content, on l’est aussi, les organisateurs aussi ! On s’offre de bons rendez-vous ! On réveille aussi cette passion, toute cette vie qui a été la notre ! On a été sincère à l’annonce de l’arrêt du groupe en 2012… D’ailleurs, je serais bien tenté de dire que La Ruda est bien finie, dans le sens où artistiquement les albums sont là, il n’y en aura pas d’autres… Mais l’envie était trop grande pour retrouver cette énergie, le public, il faut croire que c’était un peu dans notre ADN. On a cédé à notre tentation et on est bien heureux de ça ! C’est une immense joie, et je pèse mes mots, de retrouver la scène, de nous retrouver nous, de retrouver les copains sur la tournée… L’idée du retour de La Ruda, c’était aussi de retrouver le camion, de retrouver la route, de tourner ! C’est pour ça qu’on est parti sur une vingtaine de dates -on aurait pu en faire plus mais à un moment donné il faut être raisonnable-, on voulait retourner ! En plus, c’est essentiellement en festival, on y croise plein de monde, on est dans décors qui sont beaux ! On est dans des régions différentes, on cumule des plaisirs, il faut bien le reconnaître !
Comment s’est préparé ce retour ?
Pierrot : on s’est mis à répéter il y a 6-7 mois environ. Cela correspondait à l’envie de répéter, aussi, ce retour. Cela peut paraître bête, mais la répétition en tant que tel nous manquait aussi. De se revoir toutes les semaines, au local, de rebrancher les amplis et de répéter, ce sont des rendez-vous que l’on n’avait plus ! A un moment donné, on a eu marre de ces rendez-vous mais là, on les voulait à nouveau ! On repart du bon pied, pour 22 dates, peut-être qu’il y en aura un peu plus tard, mais je ne peux pas t’en dire plus…
Dans ce que tu viens de dire, il y a forcément plusieurs points sur lesquels je voudrais rebondir mais je vais essayer de faire court : tu l’as dit, « pas de nouvel album pour La Ruda aujourd’hui’. Aujourd’hui, justement, La Ruda c’est avant tout une aventure humaine, des gars qui ont envie de plonger à nouveau dans leur univers ?
Pierrot : ah oui, le ressort c’est vraiment celui-là ! L’idée n’était pas de revenir avec un nouvel album puis de retourner. On avait juste envie de rejouer nos morceaux, de retrouver notre public, de retrouver cette ambiance. Des morceaux, on en a assez ! Et je dirais même que ce qui a, aussi, motivé l’arrêt du groupe c’est qu’on avait un peu le sentiment de tourner en rond artistiquement. On peut avoir le sentiment, en tant qu’artiste, de connaître des temps forts dans son parcours, d’autres moins bons. Et même si on sortait encore plein d’albums, on voudrait toujours continuer de jouer Le prix du silence et Trianon donc bon ! C’est pour schématiser un peu, mais tu vois ce que je veux dire… Du coup, l’envie d’écrire de nouvelles choses et de nouvelles chansons se fait à travers d’autres projets aujourd’hui. Là, au bout de 10 albums, 1 000 concerts , 20 ans, on a le sentiment d’être allés au bout du truc.
Aujourd’hui, on est quand même sur les racines de La Ruda, en gros les 2-3 premiers albums
Il y a eu des périodes où l’on a senti ça : lorsque l’album « Les bonnes manières » est sorti, on avait le sentiment que c’était soit on arrête, soit on propose quelque chose d’autre, non ?
Pierrot : c’était ça ! On était dans cette réflexion-là déjà à l’époque et à l’acoustique nous avait permis d’ouvrir la fenêtre, de régénérer l’esprit, le groupe, de revisiter les morceaux pour se redonner du souffle parce que La Ruda ça a été beaucoup de concerts… On a fait le tour de l’horloge plus d’une fois…
… avec toujours cette énergie folle qui est la marque de fabrique du groupe en plus !
Pierrot : bien sûr ! C’est le minimum syndical chez nous ! C’est notre style et notre identité qui veut ça. Donc de déplacer les codes avec cette revisite acoustique en quelque chose de plus swing tout en mettant le texte plus en avant (car parfois il passait un peu au second plan, il faut le reconnaître, où l’énergie primait), ça nous a permis de nous surprendre. Ça a vraiment permis de relancer le groupe, ouais ! On a pu faire une pause en 2008…
Cette fraîcheur, on l’a d’ailleurs bien retrouvée sur l’album d’après, « Grand soir ». On a vraiment senti l’influence des « Bonnes manières » avec ce que La Ruda aimait défricher…
Pierrot : oui c’est ça ! Et après ce côté un peu plus swing, on a eu envie de rallumer les amplis pour finir en 2012 à une étape où l’on était, plus proche du mode électrique finalement. On a fini sur quelque chose d’un peu plus large que ce qu’était La Ruda à l’origine… Après, sur ce qu’on propose aujourd’hui, on est quand même sur les racines de La Ruda, en gros les 2-3 premiers albums !
On s’est accordé 22 dates et on fera un point après
Cool ! Je reviens un peu sur cette fin en 2012 : quand vous avez sorti « Odéon 10/14 », vous aviez senti que ça allait être la fin du groupe ?
Pierrot : oui, c’est quelque chose que tu sens. L’idée était de finir en pleine forme devant un public qui était là, à la fois enthousiaste et dynamique (et ça marche pour les deux !). On a connu ça avec La Ruda ! Mais on n’avait pas envie de courir le cachet, de répéter à reculons, de galvauder ! Et comme dans une histoire d’amour, tu sens qu’on a envie d’autre chose… Je pense que ça nous a fait du bien de faire autre chose, même si c’est notre vie La Ruda. C’est le groupe d’une vie ! Et petit à petit, cette envie nous a rattrapé. J’avoue que, pour ma part, ça n’a pas du tout été évident dans un premier temps car on avait dit qu’on arrêtait. Donc, par principe… quand tu dis « on arrête », c’est qu’on arrête. C’est ce que j’apprends à mes gosses ! Mais finalement la vie est trop courte et l’envie a pris le dessus. Il y a trop de plaisir à prendre ! On se félicite d’ailleurs d’avoir sauté le pas car on se régale, franchement !
Aujourd’hui, l’idée est de faire cohabiter vos différents projets avec La Ruda ? Par exemple, tu avais sorti ton projet solo, « Tigreville » par Pierre Lebas.
Pierrot : on dit « solo » mais c’est vrai que j’avais envie d’aller vers d’autres terrains musicaux, d’autres terrains textuels aussi. L’idée n’était pas de refaire un truc comme La Ruda car ça avait été déjà fait… et on l’a bien fait. Ça aurait été forcément moins bien et moins excitant. Donc l’idée était de faire quelque chose de différent, complètement. Alors c’est clair que ça peut désarçonner l’auditoire mais à la limite, ça n’a pas d’importance ça ! C’est surtout bon pour moi et ça m’a fait du bien. C’est une des chances que l’on peut avoir en tant qu’artiste, on peut se permettre d’explorer plein de choses. En tous cas, « Tigreville » reprend et je vais continuer de le jouer en septembre. Mais je vais faire d’autres projets aussi, on va donc continuer comme ça, en réveillant La Ruda de temps en temps !
Ah ! Donc finalement, on peut être amené à revoir La Ruda après cet été 2019…
Pierrot : peut-être ! On s’est accordé 22 dates et on fera un point après… On verra bien comme les choses se passent ! Jusqu’ici elles se passent très bien. Maintenant, il y a les envies de chacun, les projets de chacun. A un moment donné, les calendriers de chacun se sont bien coordonnés, on s’était donné ce rendez-vous, est-ce que ce sera le cas dans l’avenir ? Je le pense mais je ne le certifie pas !
Tous les membres sont restés dans le milieu de la musique ?
Pierrot : non pas tous. Tout le monde a voulu respirer d’autres airs. La musique, ce n’est pas évident non plus. La musique, c’est presque comme un siège éjectable. Il ne faut pas oublier que cela reste un petit miracle d’être musicien : il faut se battre pour demeurer musicien et en vivre. On a eu la chance de l’avoir… On ne l’a pas demandé mais on le souhaitait ! A un moment, tu fais des concerts, encore des concerts, et après ma vie ? Mes envies ? Donc tu en fais un peu moins… L’envie baisse. Bon, ok, on n’en vit plus ! Donc soit je fais autre chose artistiquement, soit je fais autre chose dans ma vie. Puis quand tu fais 20 ans dans un camion, on peut vouloir découvrir autre chose aussi, et ailleurs. Mais je le répète, c’est inscrit en nous et c’est une excitation toute particulière les concerts ! Il y a peu d’endroits où l’on peut retrouver ce haut point passionnel…
Merci pour ces précisions. Avant de conclure doucement cette interview, j’aimerais rebondir sur deux derniers points. Tu disais que La Ruda, pour son retour, c’était avant tout les festivals au détriment des salles. Deux concerts en salle ont très bien marché, Lille et Toulouse ; ça n’a pas été le cas du Fil à Saint-Etienne. Ce sont les préventes qui ont pêchées ?
Pierrot : oui, tout simplement. Donc l’orga a préféré reprendre ses billes. Ça fait partie du jeu…
Cela reste toujours un miracle de faire des chansons et des gens viennent les écouter
Alors que La Ruda a toujours bien marché en terres stéphanoises, il y a un joli terrain du côté de Saint-Etienne.
Pierrot : oui ! Alors pourquoi ça n’a pas décollé, je ne le mesure pas. Après, on est toujours un peu dans cette expectative où, revenir c’est une chose, mais est-ce-que les gens seront encore là ? En l’occurrence, ils ont toujours été là à Saint-Etienne mais, sur cette date, il peut y avoir d’autres raisons comme une histoire de com’, de démarrage un peu tard des préventes… Mais c’est la vie ! Cela ne me posera pas de problème et, d’ailleurs, on ne s’en posera pas. Si on peut jouer, on joue, sinon tant pis : on n’a rien à défendre à part nous, notre plaisir. Donc on le prend là où il tombe. Là, on a eu d’autres terres, essentiellement sur l’Ouest, car historiquement c’est une terre de festivals et que c’est plus, aussi, notre géographie en tant qu’angevins. On a un gros passé avec le Sud-Ouest d’une façon très large, la Bretagne, la Vendée… Pour Lille, on a beaucoup joué auparavant à L’Aéronef et à Toulouse aussi… Ce sont des villes où l’on a du jouer plus de 20-30 fois déjà ! Mais j’ai bon espoir que l’on arrive à jouer à Lyon ou à Saint-Etienne, mais après la balle n’est plus dans notre camp !
Dernière question : le public de La Ruda aujourd’hui, qui est-il ? Quel public avez-vous retrouvé sur cette tournée ? Le même qu’en 2012 ?
Pierrot : un peu plus jeune qu’avant je dirais. Le groupe ayant stoppé les machines il y a 7 ans, un jeune qui a 18 ans aujourd’hui en avait 12-13 à l’époque… Donc par définition, il n’a pas pu aller voir La Ruda. On arrive à toucher ce public-là aujourd’hui et on est content ! Cela peut venir des parents, qui connaissaient, ou le hasard de la vie qui fait qu’ils sont tombés sur un disque de La Ruda. On n’est pas du tout blasés de ça en tous cas ! Pour moi, cela reste toujours un miracle de faire des chansons et des gens viennent les écouter. Quand tu es dans cet état d’esprit, tu te sens toujours redevables de l’organisateur, des bénévoles et du public, forcément, qui met un billet pour passer un bon moment. C’est à ce seul prix que l’on mérite notre place sur scène : l’énergie et la sincérité doivent être notre mot d’ordre si on veut respecter le pacte que l’on s’est donné enfant ou celui qu’on a été et qui s’est dit « on va faire de la musique parce que c’est chouette, parce que c’est cool, parce qu’on est passionné ! ».
Une bien belle conclusion. Merci beaucoup Pierrot pour le temps accordé !
Propos recueillis à Autrans (38) lors du Vercors Music Festival 2019 (Jour 4), avec Les Ogres de Barback, GUTS et Arat Kilo.
Crédits photos : Photolive30 (tournée d’adieu 2012, passage à Alès)