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La montagne sans la raclette, c’est presque Le Musicodrome sans les Fatals Picards. Depuis des lustres, l’équipe suit ce groupe qui, comme Bernard Lavilliers, aura quasiment tout connu ! De la transformation des textes à celles des membres du groupe en de vrais musiciens -sans parler de la musculature de Jean-Marc Sauvagnargues-, le groupe a petit à petit réussi à creuser son trou dans le paysage français. Il faut dire qu’ils y ont mis du leur : en près de 20 ans de carrière, le groupe affole les compteurs avec un nombre de concerts hallucinant, mais pas que. En digne représentants d’une espèce plus que jamais menacée, les Fatals Picards ont présenté leur nouvel opus, le 26 avril dernier.
Souvent imités, jamais égalés ! Voilà ce que l’on pourrait dire de ce groupe qui sera passé par tous ses états pour façonner son image aujourd’hui. Les Fatals Picards sont devenus imprévisibles. Si chacun peut avoir sa période de prédilection ou des albums coups de cœur plus que d’autres, personne ne pourra renier qu’ils y mettent du cœur à l’ouvrage. La phase foutraque et de grand n’importe quoi des premiers albums révolue, la surprise avait été de taille, en 2016, lorsqu’ils avaient dévoilé leur très sélect’ « Fatals Picards country club ». Ils n’avaient pas réussi à réitérer le panache, l’absurdité et la folie de la période d’Ivan (après tout, la plupart des membres sont arrivés peu de temps avant son départ) et cet avant dernier album reste encore un mystère. L’appréhension avant « Espèces menacées » fut donc de mise.
Une seule écoute balaie les doutes. Mieux, elle fait mouche ! Le groupe est revenu à ses fondamentaux : faire du rock, de la chanson, aborder l’actualité avec des approches plus ou moins légères et, surtout, ne pas se prendre au sérieux. Ici, ce n’est pas un retour à la terre mais un retour en arrière qui s’opère. En prenant comme fil rouge les années 80, ils vont tirer à boulets rouges sur les stéréotypes de l’époque en créant la panique à tous les étages !
D’abord, il y a cette fameuse rencontre avec Angela, en 1983, qui marque les esprits : du côté de Berlin ouest, la boule à facettes répond à Indochine tandis que les clap clap font échos à un synthé déchaîné. Quatre ans plus tard, il y a les premiers émois de Paul en VHS (Rebecca) avec un sacré déhanché à la trompette. Ensuite, il y a forcément de l’amour à donner, coûte que coûte, en mode pop/rock années 2000 sur le poilant Sucer des cailloux très rétro.
Ados dans les années 80, on peut aisément voir d’ici comment toute cette clique d’agités se dandinait sur le fameux Banana split. Connaissant aussi le goût prononcé des Fatals Picards à reprendre des grands classiques (Partenaire particulier, L’amour à la plage…), c’est -presque- sans surprise qu’une revisite du morceau de Lio, en sa présence, est proposé. Un morceau plus sympa pour le clin d’oeil que la compo en elle-même. Devenus quasi quarantenaires aujourd’hui, on peut aussi y déceler une certaine nostalgie sur les couples (Morflé) ou sur les penchants no futur qui ont toujours animés le groupe (Dans un ciel de 1er mai – le morceau punk refoulé du disque).
Avec les différents pas chinois posés sur « Espèces menacées », l’écoute peut voguer vers des contrées que Les Fatals Picards aiment explorer : moins présentes ces derniers temps, le groupe s’est remis à composer des morceaux plus acoustiques comme il en fleurissait davantage sur l’époque de « Le sens de la gravité ». A l’image de Béton armé, qui plonge dans le plomb et les plumes le groupe Lafarge à cause de son copinage avec Daech, Les Fatals Picards retrouvent aussi des compos plus chanson. Que dire de God save the Kim qui, outre ses ressemblances avec un certain Socialisme des Rois de la Suède, est une véritable bombe ! En mêlant acoustique et sample de vacances, on se surprendrait à gigoter aux côtés du dictateur de la Corée.
Dans cette mouvance pas si innocente que ça, la plongée en eaux troubles se poursuit au fil des compos : d’abord, elle est bien explicite sur le punk/rock 20 000 lieux sous les polymères (car la plastique n’est plus fantastique)… et assez déjantée sur Turlututu, penchants racistes à la sauce KukluxKlan.
Idées sombres pour retour de bâton d’un autre temps (La fête médiévale), il semblerait que l’Homme ait réussi à pourrir l’Homme. Les Fatals Picards nous le rappellent, sans filtre. Ils n’ont d’ailleurs jamais autant diversifié leurs influences et leurs sonorités pour y parvenir même si certains morceaux manquent un peu de punch ou d’originalité (Mon arbre, Morflé, les interludes).
Espérons toutefois que Les Fatals Picards ne deviennent pas, eux-mêmes, une espèce menacée… car il nous manquerait !
Les Fatals Picards, « Espèces menacées », disponible depuis le 26 avril 2019 (label Verycords).