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Écoute conseillée pendant la lecture : Worakls – Cloches (album « Orchestra », qui sort le 8 mars)
Lancée à l’Olympia le 15 février dernier, la tournée Worakls Orchestra annonçait complet dans toutes les salles et promettait d’être épique. Le Musicodrome a fait escale à Paloma pour vivre ce mariage de classique et d’électronique.
Ce vendredi soir, la très belle salle du Paloma et sa terrasse lunaire avaient le parfum des soirées spatiales. L’éclectique public nîmois (en âge comme en genre) y sirotait ses bières et grillait ses indus’, attendant impatiemment les Cloches qui sonneraient le lever. Chacun.e pressentait que le moment qui allait se jouer pouvait être unique, tant ce mélange donnait à voir : la techno mélodique, dramatique, presque cosmique de Worakls mis en orbite par l’Orchestre de Fourvière. Un album écrit pour l’orchestre et pour ce live. Vingt brillants musiciens en acoustique pour un chef d’orchestre électronique, avec son piano, son ordinateur et son contrôleur. Une dramaturgie sonore à la confluence de deux mondes.
21h15. Le rideau s’ouvre et la mise en scène fait écho à la grandeur annoncée. Les vingt musiciens forment un demi-cercle millimétré autour de Worakls. L’artiste lance les hostilités, et c’est toute la horde de percussions, violoncelles, altos, violons, cuivres, trombones et trompettes qui s’emballent. Le premier kick techno fait parcourir un grand frisson collectif dans les travées de Paloma : le public a le sourire qui flaire le grand moment. Worakls aussi. Le trentenaire, co-fondateur du label Hungry Music, règle ses machines avec une précision d’horloger, et regarde son public avec une fierté indicible.
Son « Oracle » (en anglais, son nom de scène) est peut-être bel et bien venu. Worakls, en divinité antique, le Paloma, comme lieu sacré. La plèbe voyant se jouer là une Dionysie d’un nouveau genre. L’artiste mérite son Oracle, tant elle est l’apogée d’une épopée personnelle : « J’ai bossé sur ce projet pendant deux ans. J’ai pris mon temps pour avoir quelque chose d’abouti qui me plaît vraiment. J’ai écrit un album et un concert qui serait pour moi l’aboutissement de ce que je veux représenter dans la musique. Peut-être pas une fin en soi, mais plutôt un début ».
Pianiste dès le plus jeune âge, fasciné par les harmonies, Worakls a construit ce live avec une vision : « mêler les émotions du classique avec la liberté et l’énergie de l’électronique ». Sur scène, l’osmose entre les deux est parfaite. Les musicien.nes de l’Orchestre tapent du pied ou de l’archer sur les drops organiques du compositeur. Au fil des chansons, on se sent de plus en plus transportés par l’histoire de cet « Orchestra », qui va même jusqu’à explorer des morceaux de drum and bass. Sur ses classiques, Salzburg en tête, on est parcouru de frissons. Les mélodies sont mille fois empuissantées par l’orchestre et la rythmique techno fait exploser la danse du corps. On se sent privilégiés d’être là, tout ouïs à une telle finesse musicale, à une telle harmonie des sons, à une beauté partagée collectivement, comme l’art en offre rarement.
Le public salue infiniment les musicien.ne.s, ce chef à part et applaudit cette œuvre. On reste forcément admiratif du projet de cet homme, qui parvient à propager les membres d’un orchestre philharmonique devant le grand public. Par la grâce de sa musique électronique.
La chronique de Julie :
« Paloma, brut de l’extérieur, nous entraîne dans son intérieur chaleureux et accueillant, grâce notamment à sa cour extérieure dont la décoration et les jeux de lumière ont donné à l’espace un air berlinois. Cette dualité architecturale n’est-elle pas le reflet du concert auquel nous allions assister ? L’alliance de deux styles à priori antinomiques : la musique classique et la techno. Ce mélange de saveurs vous surprend ? Il est comme cet ami qui vous propose de goûter du chocolat au piment… Vous hésitez… Car la fougue de l’un peut gâcher la volupté de l’autre. Mais si le mélange est bien dosé, ce peut être un intense délice ? C’est là toute la prouesse de Worakls. En chef d’orchestre avant-gardiste, il rythme avec justesse les puissances des deux musiques en trouvant l’équilibre parfait pour sublimer les genres. La richesse des émotions ressenties durant ces deux heures est rare. Pendant un set techno classique, l’origine des sonorités nous est souvent inconnue. Ici, l’acoustique des instruments nous ramène à l’origine des sons, donnant un corps à cette musique. L’orchestre a rendu nos émotions palpables, la musique électronique plus tangible, et notre expérience inoubliable. Coutumière de ne jamais poser les deux pieds par terre pendant un set, il m’est arrivée de rester stoïque, comme subjuguée par cette harmonie encore jamais entendue ».