Si le monde de la chanson française regorge depuis toujours de petites pépites qui arrivent à faire leur bout de chemin sans l’aide des grands médias, une qui brille tout particulièrement est l’inépuisable homme au béret : Yves Jamait. Après deux tournées, une consacrée à l’auteur Jean Guidoni, l’autre en hommage à Allain Leprest, il revient sur le devant de la scène pour nous offrir sa cinquième galette : « Amor fati ». Allons voir ce que l’ancien cuistot nous a cuisiné !
Il nous avait laissé avec sa saison 4 il y a maintenant un peu plus de deux ans et l’on attendait ses chansons comme on attend les nouvelles d’un ami proche. Car c’est le sentiment que donne cet auteur, il nous envoute et nous emmène dans son monde où chacun peut être le roi. La première chanson de ce dernier album en est aussi le titre, il veut ainsi vivre le présent et croire en son destin, avec comme toujours une belle écriture entrainante qui nous prend aux tripes :«Y’a pas d’arrière monde, ou de compte grimé/Y’a pas de raison ni de finalité/Y’a pas d’problèmes/ On cherche pas de solutions/ Y’a que des anathèmes/ et des superstitions ».
Puis on entend de nouvelles mélodies avec les deux titres suivants : Prendre la route et Les parapluies perdus, où les nouveaux airs musicaux et la voix rocailleuse de Jamait résonnent comme toujours sur un fond de piano, nous rappelant parfois le grand Leprest, ce ne sont pas ses œuvres littéraires les plus abouties mais elles sont efficaces et entrainantes.
La chanson suivante, Les jours sans commence de fort belle manière par « t’es pas dans ton assiette, tu serais mieux dans un verre », une phrase qui caractérise à merveille la prose d’Yves Jamait, qui ne se définit pas comme un littéraire, même s’il aurait sa place dans cette catégorie, en témoignent ses derniers papiers dans l’Humanité. Cette chanson parle des routes à suivre et de l’espoir des jours meilleurs, comme un changement de cap du chanteur, moins pessimiste et plus confiant en l’avenir.
Puis arrive une des meilleurs chansons de l’album : La lune et moi, qui donne des airs à «je passais par hasard » sans pour autant le copier, en l’écoutant on pense à Quitte-moi ou Même sans toi , une petite perle musicale dont il a le secret. Les accords d’accordéon et d’autres nous accrochent et c’est alors qu’on n’a plus envie de sortir de cet album, la chanson la plus prenante avec Amor Fati.
Puis un hommage subtil et tout en finesse aux hommes politiques d’aujourd’hui, intitulé Ridicules, cette chanson ne changera pas le monde mais encore une fois le chanteur et ses musiciens arrivent à nous emmener ailleurs et les mots aiguisés comme des rasoirs résonnent sur une musique cette fois plus simple mais rudement efficace.
L’artiste va également chanter Les prénoms, un thème abordé comme une ballade à travers le temps et les prénoms de ceux qui font et défont l’histoire et ses contours avec en fond sonore une inovation et des cuivres qui relèvent à merveille le tout.
Puis dans la très belle chanson reviens, Jamait évoque les êtres chers sur lesquels on compte, comme toujours tout en métaphores et effets de style. Tout au long il joue avec les mots comme l’esthète de la langue française qu’il est, les rimes sont marquantes et le sujet universel.
Dans cet album on écoute aussi des chansons beaucoup plus politiques et censurables, avec C’était hier on semble reconnaître Ma France, le violon qui ponctue cette chanson est vraiment bien choisie et le calme qui en émane mérite qu’on y jette un coup d’oreille, en plus du sujet marquant qu’il traite : les reconduites à la frontière. C’est un peu le même constat pour L’Europe, une épique satyre du tournant politique continental autant qu’une critique des rêveurs dont Jamait faisait parti, rêveur qu’il est encore aujourd’hui. Des rythmes simples, des paroles fortes, ce qui se fait de mieux dans ce domaine glissant des rêves envolés.
Reste trois chansons dans cet album, trois univers différents, une envoutante : Ah la prudence dans une ambiance un peu psychédélique, puis on se dit que tout était calme et on ne peut qu’admirer sa poésie, mélancolique et enivrante à souhaits.
Enfin on fini sur Le schizo, une ambiance plus « roots », beaucoup plus instrumentale, mais où Jamait arrive quand même à nous faire réfléchir sur nos conditions de consommateur !
Au final, tout au long de cet album on entend parfois Ferrat (C’était hier), un peu de Brel, un soupçon de Thiéfaine (Les prénoms) mais en définitive c’est avant tout du bon Jamait que l’on a dans les oreilles !
Sans inventer un nouveau style, en restant dans la lignée de ce qu’il fait de mieux, l’homme à l’éternel béret continue d’avancer et d’embellir son répertoire, marquant à coups de mots bien choisis le paysage musical français. Il nous chante, nous implique, nous encense et nous blâme, mais il nous fait surtout plaisir, même si cet album est sans doute moins fort au niveau des textes que ses derniers, on sent une recherche musicale plus poussée. Ce cinquième opus le place définitivement dans la lignée des grands, quoi qu’il en dise il est un peu l’héritier d’une génération oubliée…
Bref un album très réussi qui répond à nos espoirs et nos attentes !
« Parce que je veux croire en quelqu’un, en quelque chose en quelque sorte, parce qu’il ne me reste plus rien d’autre que mes amours mortes… »
FICHE TECHNIQUE
Tracklist
1. Amor Fati
2. Prendre la route
3. Les parapluies perdus
4. Les jours sans
5. La lune et moi
6. Ridicules
7. Reviens
8. C’était hier
9. Les prénoms
10. Tout était calme
11. L’Europe
12. Ah la prudence
13. Le schizo
Sortie : 25 novembre 2013
Durée : 48 minutes
Album : 5e album