La nouvelle formation Rising Tide, issue du groupe Groundation, a fait vibrer le Divan du Monde avec sa pureté musicale, aux confins du reggae et du jazz. Le tout introduit par la douceur de la séduisante Noraa.
Le Divan du Monde (Paris) accueillait ce mardi soir le tout premier concert du groupe Rising Tide, formé par les musiciens de Groundation ; Harrison Stafford, son mythique chanteur, ayant lui aussi développé un projet en marge du groupe sous le nom de “The Professor”. Le noyau dur de l’ensemble californien est toujours présent avec Monseigneur Ryan Newman à la basse, Sa Majesté Marcus Urani aux claviers et à la production, son altesse Paul Spina à la batterie et nos premières dames Kim Pommell, Kerry-Ann Morgan et Sherida Sharpe au chant. Le trio, habitué aux choeurs avec Groundation, occupe désormais le devant de la scène, pour notre plus grand bonheur. L’album éponyme sorti en mars sous le label Soulbeats Records s’inscrit dans un mélange des genres unique dont eux seuls ont le secret.
Le jazz académique dans lequel ces instrumentistes ont été formés se ressent dans chacun de leur titre. Bien qu’ils aient pris le chemin du reggae, leur attachement au jazz semble inaltérable. Et c’est particulièrement ce mélange des saveurs qui rend la musique de Rising Tide aussi riche qu’intriguante, peut-être encore plus qu’avec Groundation. L’assemblage de ces deux styles musicaux renforce ce qui les unie rythmiquement : la mise en valeur des temps faibles. On s’accordera à dire que le reggae respecte généralement la structure suivante. Dans un schéma de mesure à 4 temps par exemple, le contre-temps joué par la guitare et/ou le clavier, que l’on appelle skank ou after-beat marque le 2ème et le 4ème temps – alors que la batterie insiste sur le 3ème temps avec un coup sec de caisse claire. Souvent, seule la basse joue sur le 1er temps. Dans cette construction rythmique, la répartition des temps est faite de manière à ce que tous les instruments ne se superposent pas sur les temps dits forts (1 et 3). C’est en partie cela qui donne toute la légèreté à ce genre musical. Mais en écoutant Rising Tide, on a l’impression que la sensation de flottement est décuplée. Comme si la force de la fusion des temps faibles de ce reggae-jazz inclassable venait libérer l’espace sonore de toutes tensions. Nos corps se libèrent à leur tour et comprennent leur propre légèreté. Nous rentrons dans une suspension magique. Une apesanteur musicale. Mais le génie du style réside dans le fait que la basse nous tire inéluctablement vers le sol en début de riff sans nous y ancrer. En résulte la circulation d’une énergie vive et harmonieuse dans nos corps, tel un vortex qui génère et alimente une force gravitationnelle sous-estimée. Le rebond.
S’ils arrivent à créer une telle force, c’est que leur interprétation est incroyablement flexible. En effet, dans un même morceau les couplets peuvent être très carrés, avec un accompagnement strictement binaire mais à tout moment, quand un solo se déclenche et que le soliste part en syncope, le groupe suit et fait swinguer toutes les croches. Cela se distingue typiquement sur Let it out qui part dans une interprétation très carré et qui dès le solo de Marcus à 3:38 est très swingué puis continue dans l’accompagnement à 4:13 où le skank est joué en arrière.
Kim Pommell accompagnée de ses compaires (de Loches)
Le tout est sublimé par un trio directement venu de Kingston, Jamaica. Non contente d’être de fabuleuses chanteuses, ce sont aussi des danseuses hors pair. Elles véhiculent la joie de vivre, des positive vibrations tous azimuts. Ce qui nous a marqué est aussi la passion avec laquelle elles chantent et dansent. Leur âme prend le dessus sur leur corps et leur corps prend le dessus sur leur surmoi. Elles sont animées par la musique et il n’y a plus de contrôle mental. Des frissons parcourent leur corps et dessinent leur échines courbées par leur passion. Comme certains chanteurs de Soul ou de Funk, on sent que ce qu’on a devant nous n’est pas seulement une performance artistique, c’est une expression incontrôlée de leur passée qui resurgit par la musique. Le corps s’en retrouve crispé et la voix altérée, un mélange de douleur et de plaisir, mais un besoin de le faire sortir.
La belle Noraa a assurée la première partie de Rising Tide
Mais avant ça, une jeune femme avait fait vibrer le coeur du Divan du Monde. En l’espace d’un instant, les 50 personnes présentes parmi un public hétéroclite et connaisseur tombaient amoureux simultanément. A observer le silence dans la salle et le regard fixe de chacun, posée avec admiration sur cette émeraude pur, ce constat ne semble pas exagéré. D’une assurance déconcertante et d’une voix de velours, Noraa envoûta le Divan du Monde dans son rêve lucide dont personne ne voulait sortir. Des boucles de ses cheveux de soie ou de celles de sa loop station RC-300, on ne saurait en mettre une au dessus de l’autre. Elle diffuse de la bonne humeur de sa bouche en or sur son micro d’argent.
Très bon compte-rendu de la soirée, avec la sensation d’être à mi-chemin entre la salle remplie de jazz et de reggae et la quiétude de l’accueillante ville de Loches.
A vous retourner le cerveau.