Ils sont belges, ils sont sauvages, ils jouaient au Yeah! Impossible de rater l’occasion d’aller discuter avec eux de leur approche de la scène, de la musique mais aussi de leur relation au monde.
Bonjour à tous les deux. J’aimerais attaquer l’interview avec le titre de votre dernier album, Ephemeral feast, composé pendant le confinement. Cela évoque un peu la fin d’un cycle. J’aimerais connaître votre ressenti sur ce qui s’est passé pendant cette période, comment avez-vous travaillé ? Comment avez-vous vécu l’arrêt des concerts ? Car aujourd’hui on a l’air de reprendre comme si rien ne s’était passé.
Rémi : On a été stoppés le 15 mars. On avait enchainé une centaine de dates en 2019. Au début on a trouvé ça cool, tu te retrouves chez toi avec ton jardin. Puis après on a vu toutes les dates tomber. C’était un peu angoissant. Mathieu est à Mons, moi à Bruxelles donc on ne pouvait même pas répéter. On a beaucoup bossé à distance sans pouvoir répéter. D’ailleurs, je crois que lors de la première répétition il y a eu l’ébauche de 5 nouveaux morceaux. On avait vraiment besoin de jouer !
L’été 2020 on y a cru puis on s’est vite rendus compte que ça allait durer. Les morceaux qu’on composait au début n’étaient pas forcément destinés à un disque. Mais au fur et à mesure des répets, on a vu qu’on avait de quoi faire un album. Finalement, on a fait comme tout le monde, on a avancé au fur et à mesure. Mais on ne s’est pas rendu compte que l’album était imprégné d’une certaine noirceur.
Mathieu : Une fois le produit fini, on s’est en effet rendu compte que ce n’était pas le plus gai qu’on ait fait. Quand on a fait Past // Middle Age // Future, c’était au moment des gilets jaunes, de petites disputes qu’on avait eues, ça représentait bien la vision du monde qu’on avait à ce moment-là. C’est clair qu’ici avec les rapports du GIEC et la pandémie, on pensait que ça allait changer les gens. Mais non. Tout le monde est revenu au supermarché et a oublié les petits magasins. On envoie des robots sur mars et on est incapable de régler des problèmes…
On a quand même réussi à faire deux-trois plans après le confinement, on a fait des raves party au mois d’août 2020. On a pu faire quelques concerts en septembre puis c’est reparti en confinement jusqu’en mai.
Rémi : Et depuis un an, on a du faire une centaine de concerts. Du coup, on a l’impression d’avoir repris depuis 5 ans au moins ! Par conséquent on n’est pas rentrés chez nous souvent ces derniers mois.
Vous me semblez assez concernés par tous les problèmes que nous subissons, autant environnementaux que sociétaux. Et cela transparait aussi au travers de votre musique qui touche à la transe.
Rémi : C’est autant un exutoire qu’une fête. On ne fait pas juste ça parce qu’on a une frustration dans la vie et qu’on se sent mal par rapport au monde et qu’on fait de la musique pour compenser. il y a un peu de ça comme n’importe quel artiste mais aussi juste l’envie de faire la fête. C’est un équilibre entre les deux.
Mathieu : c’est un peu un exutoire dans le sens où à force de ne pas jouer, on a bien vu qu’on était en manque comme quand tu vas à la salle de sport. On a aussi besoin de notre dose de morphine.
Pendant le concert, vous vous appuyez sur le public, sur l’énergie que vous ressentez derrière vous ?
Mathieu : Pas vraiment, nous on jouera toujours le même concert qu’il y ait deux personnes ou plus. On joue aussi souvent sur scène que dans la fosse, cela dépend du choix des organisations. Même si pour nous, c’est quand même plus drôle de jouer au milieu des gens. Le fait d’avoir la batterie devant toi, tu la ressens plus. Au Yeah! ce soir, ça va être bien car le public aura la grosse caisse au niveau de la poitrine.
Rémi : C’est bien d’avoir des expériences variées. Des scènes, des concerts dans le public, des bars, des mariages, des anniversaires…
C’est bon à savoir, vous vous déplacez facilement ?
Mathieu : un concert est un concert. Ce n’est pas parce que c’est un mariage ou une communion que c’est différent : les gens sont là. Et si on nous appelle c’est qu’on nous a vus. Si on peut, on le fait.
Ce qui est rigolo c’est de jouer sur les contrastes aussi. Je pense à votre dernier clip avec ces deux jeunes femmes qui s’écharpent et vous deux, en mode crooners 60s.
Mathieu : Oui c’est cool, on s’est bien marrés. C’est Fred Labeye qui a fait ça. Deux jours et c’était plié.
Rémi : là tu vois c’est une direction artistique, c’est pas nous qui avons les idées.
Du coup cet été vous êtes sur la route tout le temps ?
Rémi : En Mai, juin, juillet (et août pour le Check-in, ndrl), ce sont des bons mois.
Après on n’a pas parlé du titre et ça faisait partie de tes questions.
Mathieu : Ephemeral feast, c’est le festin éphémère, le fait de se gaver. Se gaver en sachant qu’un jour il n’y a aura plus rien, il n’y aura plus de couche d’ozone, l’eau ne sera plus potable. Et on continue… On en profite et on se goinfre.
On le voit dans la musique avec la surenchère de propositions avec le rattrapage de concerts pour de nombreuses salles. On a tellement l’habitude de consommer qu’on ne se pose pas de questions malgré la situation.
Mathieu : On a plein de biais cognitifs. Dans les actes, on fait comme tout le monde.
Et c’est une question que vous vous êtes posée avec vos tournées par exemple ?
Rémi : C’est une question complexe. On a besoin de faire des concerts. On ne peut pas en faire que sur Bruxelles ou sur Mons.
Mathieu : Ce sont des questions qu’on se pose mais on est un peu crétins par rapport à ça. Julien (leur tourneur) se débrouille pour ne pas faire des tournées en étoile mais des boucles.
Rémi : Tu essayes de faire du mieux que tu peux et c’est déjà bien. Dans la mesure où tu dois bouger, tu dois te déplacer pour aller jouer ailleurs, tu n’as pas trop le choix. Mais on a conscience de ça. C’est un système qui marche comme ça, c’est une industrie. Après si demain le monde politique change et qu’on ne peut plus faire que 10 dates par an. Si ça permet que le monde aille mieux et qu’on peut vivre de ces 10 concerts par an, nous ça nous va.
Mathieu : De toute façon, tout le monde devra faire des sacrifices au bout d’un moment. On finira peut-être par arriver à ça.
J’ai l’impression que ces interrogations sont partagées par pas mal de groupes. On sent que c’est assez présent dans les consciences.
Rémi : certains artistes ont certainement plus de sensibilité sur ces questions là.
Mathieu : On produit des vinyles, ça pollue à crever. On fait des bornes en bagnole, ça pollue à crever. On dort à l’hôtel, ça pollue à crever.
Rémi : En fait quand tu réfléchis, t’es trop tout seul dans ton coin pour essayer de changer ça. Quand tu penses à tous les wetransfer qu’on fait, etc.
Mathieu : En fait tu es fort victimisé en tant qu’individu, tu dois bien trier tes déchets, tu dois bien faire-ci, tu dois bien faire ça, c’est pas en faisant ton compost que tu vas changer le monde. C’est bien de le faire mais on n’a pas les outils pour changer fondamentalement les choses, c’est aux politiques de mettre des choses en place. Donc tu fais le mieux que tu peux.