Mogwai n’est jamais fatigué : entre les réalisations de bandes originales et d’albums studio, il sait garder son esprit créatif qui est toujours tendance. Dans la digne lignée de sa discographie principale, « The bad fire » vient donc succéder, 4 ans plus tard, à « As the loves continues ». Ce dernier opus, qui avait fait apparaître un penchant un peu plus lumineux du groupe, inscrit-il le groupe vers une tendance moins sombre ?
Et de 11 ! « The bad fire » est donc une nouvelle marche gravit par les écossais de Mogwai. Nul ne semble arrêter la machine des originaires de Glasgow, considérés comme le groupe référence international du post-rock. En 30 ans de carrière, Mogwai n’a cessé de façonner une musique qui lui est propre, marquée par un côté sombre qui lui confère toujours un côté envoutant.
Pourtant, cette noirceur musicale avait commencé à s’atténuer sur « As the loves continues ». L’étau s’était un peu desserré sur nos oreilles, comme pour montrer que le groupe pouvait faire évoluer son identité musicale. Sur « The bad fire », il est impossible de nier que Mogwai a souhaité davantage travailler cette facette : pour preuve, le côté « mélo » du groupe est beaucoup plus mis en avant. L’exemple le plus criand est certainement sur Fanzine made of flesh, qui sonnerait presque pop, entre la mélodie, les claviers en ébullition et le chant vocodé plein tube. Les guitares saillantes restent toutefois présentes pour rappeler aussi le caractère du groupe (Mogwai l’avait déjà expérimenté sur un titre de l’album précédent).
Ce constat va se répéter sur d’autres titres comme sur God gets you back. La voix est brumeuse, l’ambiance feutrée, la mélodie très percutante et on se laisse doucement emporter par des envolées psychédéliques qui surprennent. En guise d’ouverture, c’est tout simplement idéal, on comprend même que la couleur sera bien à l’ordre du jour pour Mogwai.
Dans l’enfer du monde, Mogwai a donc décidé de tirer sur plusieurs ficelles pour ramener un peu plus de légèreté et de répit. A l’image de Fact boy, les écossais nous prennent à contre-pied : comme ils aiment si bien étirer le temps et leurs compos, Mogwai nous amène très loin, au-delà de notre monde et de ses tiraillements, avec un voyage de plus de 7 minutes. Une exploration des songes, clapotée et presque en berceuse, avant d’y intégrer une guitare, loin dans la nuit, pour laisser la place belle aux instruments à cordes. Un monde déstructuré et scratché, comme pour mieux se l’approprier. Un véritable tour de force tout en douceur !
Dans cet univers en constante mutation, Mogwai accepte aussi son hybridation : sur Pale vegan hip pain, les écossais lèvent encore le pied pour s’offrir une exploration quasi-hypnotique, faite de boucles et de nappes aux synthétiseurs. Un monde angoissant en somme, un monde qui se laisse pourtant appréhender sans accroc. Au rayon des autres innovations sonores, Hammer room mérite aussi d’être mentionné : entre piano, cordes et envolées digitales, Mogwai y a mis diverses ingrédients dans sa marmite pour finalement nous concocter un morceau qui ferait presque 80’s. Celui-ci nous laissera un peu plus perplexe par son côté fouillis.
Sur 18 volcanoes, avec le retour du chant, on se dit que nous allons être balloté dans la fournaise du nord, mais c’est finalement un morceau saturé et planant qui se présente à nous. Mieux, c’est un morceau plein d’espoir qui se dessine avec un futur qui doit s’attraper au vol et s’y confronter : boosté par les instruments à cordes, ils nous font prendre encore plus de hauteur.
Attention toutefois à ne pas se laisser porter par ces doux présages : Mogwai n’a pas oublié d’hausser le ton et de rappeler qu’il aime tordre nos représentations dans tous les sens. Il y a un morceau transition, comme un passage entre deux mondes torturés, avec If you find this world bad, you should see some of the others. Tout est dans le titre. Mogwaï aime prendre le temps pour poser le décor et dévoiler sa toile de fond d’amorce : en un peu plus de 4 minutes, l’environnement se créée, les guitares arrivent, la basse impulse le rythme, la batterie s’invite… pour laisser place au chaos. La poussière envahit les ondes, le fracas est assourdissant et le monde tel que nous l’avions connu n’existe plus. Balayé en un revers de manche, en une effluve rock déchaînée qui ne pouvait que exploser. La track nous laisse finalement un compagnon de route, une guitare entraînante, qui finit par s’évanouir dans une tempête subitement terminée.
Ces fameux morceaux « signatures », qui sont inscrits dans son ADN, il y en a d’autres sur « The bad fire ». Hi chaos, c’est le genre de compo qui font réveiller le dragon qui sommeille au plus profond des entrailles du monde : dans ses montées progressives qu’ils maîtrisent à la perfection, les écossais démarrent par un rock façonné au millimètre près pour le faire jaillir de mille feux, appuyé par les machines et les riffs affûtés comme jamais. Hi chaos, c’est le genre de morceau qui fait hérisser les poils sur les bras une fois l’ascension terminée, sans oxygène.
Dans son sillage, What kind of mix is this ? lui emboite le pas : moins brutal que son prédécesseur, il est construit dans une approche similaire, où l’intensité monte crescendo malgré un tempo plus lent et plus de claviers. Effet garanti. Un peu plus loin, Lion rumpus se fait propulser hors des limites de l’espace temps : saturé de guitares rock couplées à des voix déstructurées, ce titre aurait d’ailleurs très bien pu figurer sur le répertoire des Daft Punk sans que cela soit choquant !
En conclusion, « The bad fire » s’inscrit pleinement dans la discographie de Mogwai et dans leur univers musical. Sans sortir des sentiers battus mais en se permettant quelques expérimentations sonores, les écossais démontrent qu’ils sont toujours maîtres de leurs intentions après, enfin, une reconnaissance internationale qui a eu mal du temps à être faite. Cet album va combler les inconditionnels du groupe et même élargir leur spectre, sans aucun doute.
Mogwai, « The bad fire », disponible depuis le 24 janvier 2025 (10 titres, 54 minutes) chez Rock Action Records.