Massilia Sound System agite depuis maintenant 30 ans son drapeau bleu et blanc et c’est à se demander si quelque chose a changé. Véritable figure du paysage marseillais, que ce soit du côté musical et bien au-delà, le Massilia revient bouléguer les consciences en 2014 avec un nouvel album sous les bras, près de 7 ans après son « Oai e libertat ». 14 nouveaux titres pour partir sillonner les routes et répandre son sound system auprès de toutes les âmes en peine, oublier le quotidien, et se dire un sincère « aïoli » !
La tension en serait presque palpable au moment d’appuyer sur le bouton « play ». Cela faisait des années que tous les chourmos et chourmettes espéraient retrouver cette sensation d’excitation si particulière. Bien que rassasiés par les différents projets issus du collectif (Oai Star, Moussu T e lei Jovents, Gari Greu, Papet J…), tous guettaient cependant les prémices de leur retour. Car Massilia détient ce joyau que tout groupe pourrait lui envier : hors des circuits médiatiques et des traditionnels canaux de communication, Massilia n’en fait qu’à sa guise et poursuit sa route en totale indépendance. Un nouvel album doit rimer avec envie, plaisir, rencontres et bien entendu motivation ; mais il ne doit pas s’apparenter à une obligation de créer pour créer.
A Marseille, la situation n’a pas vraiment évolué. Le masque tombé sur ce qui a été la capitale européenne de la culture en 2013 n’a pas soigné les plaies de la cité phocéenne. Le quotidien, les quartiers, les habitants et leur combat de la vie, pour ça, Massilia aura toujours le micro ouvert pour le chanter. A Marseille la belle bleue, un sound system posé, là, au détour d’une rue, et le message est passé. A coup de ragga baléti, tantôt en français ou en occitan, Massilia perpétue le rassemblement autour de la fête, du dialogue, du reggae et du métissage culturel.
Avec « Massilia » et sa pochette bleue, tout se résumerait presque à son titre. Pour fêter ses 30 ans d’existence, il ne pouvait s’appeler qu’ainsi. Car au fil des écoutes et des nombreuses pistes, on se rend bien compte que tout l’univers du groupe s’y connote. A l’ancienne et comme au premier jour, on se revoit en 1984 sur Li siam, là où le Massilia descendait les rues de Marseille avec le sound system sur le camion. Avec ce raggamuffin qui lui colle à la peau, on comprend vite que le Massilia sait ce qu’il nous faut : que la chanson se relève et résonne à nouveau à l’aube de journées plus contestataires (Si lèva mai la cançon).
En gardant comme fil directeur ce reggae marseillais qui lui va si bien, le Massilia s’imbibe de mélodies qui surprennent mais qui pulsent plus que jamais : la surprise est de taille sur Je marche avec, terriblement groovy par les soubresauts d’un piano, où l’on s’imaginerait bien déconnecter avec le Massilia (« tout part en vrille, tout le monde ment, vas-y débranche, la solution vient en marchant ! »). Et pour réveiller tous les fadolis, le Massilia a su concocter quelques brûlots qui ne demandent qu’à s’embraser : sur Massilia n°1 bien évidemment, mais aussi sur Ma ville réveille toi !, matraquée par les guitares et un retentissant accordéon qui, dans le chant façon coquistes brésiliens, fait terriblement penser à leurs copains des Fabulous Trobadors (Il nous ment).
N’hésitant pas à ré-injecter cette petite touche digitale que l’on avait retrouvée dans « Oai e libertat », Massilia sait donc vivre avec son temps : avec des beats bien dosés et forts bien maîtrisés, Quand on vit connecté tire la sonnette d’alarme de l’utilisation d’internet et des mauvaises idées qui s’y répandent, sans jamais tomber dans un extrémisme irréfléchi. Ce ne sont pas les tendances ‘dark dub’ qui survolent les basses massives de La responsa es dins lo vent qui prouveront le contraire…
Soucieux de garder sa cohésion et son identité, impossible de ne pas voir le clin d’oeil sur Trois MC’s sur la version : piochant dans les vieux tiroirs du Massilia, le trio, au chant quasiment ensemble sur tout l’album, revisite les thématiques qui ont bercé leur discographie et surtout nos écoutes. De « refuser la pression » au rassemblement pour « le grand tremblament », « les papets, les minots » ne sont jamais bien loin ! De là « à bondir au plafond », on se surprendra à « cantar » pour le Massilia ! Ces allusions au passé, Massilia s’en délecte : que ce soit sur Parlar fort ou sur Es tot pagat, on se dirait presque qu’ils iraient parfaitement dans la tracklist de « Chourmo ! » (1993). Car pour ceux qui se demandent « qui contrôle la planète ? qui a créé la dette ? fabrique l’opinion ? dicte ses conditions ? Les financiers ! » Allez, arrête de calculer, « avec le Massilia, c’est tout payé ! ».
Mais n’allez pas croire que l’équipe s’y complaint : ce nouvel album reste très noir et Massilia ressort le mégaphone de Lux B pour interpeler son auditoire. Que ce soit sur L’eligit ou l’excellent Pourquoi je morfle ?, le présent est pris en pleine poire et Massilia pose toujours un regard critique sur la vie. Avec comme envie de faire réfléchir les gens en prônant l’apéro et la fête, ces militants du quotidien ne comptent pas être mis sous silence : dans un ultime sursaut, A Marseille et ses rayons de soleil, lancent un dernier coup de clairon pour réveiller des marseillais à genoux. Véritable manifeste, le Papet, Tatou et Gari règlent leurs comptes et dégainent sur tout ce qui bouge :
« Fais tes devoirs et n’oublies pas tu as des droits,
T’es pas un numéro tu dois faire ton choix,
Gentil, méchant, bandit, mendiant,
Même combat au royaume de l’argent,
Garder son rang c’est comme garder la pose,
Moi j’en ai ma dose ! »
« Notre vie est un long clip vidéo » disait Gari. Une nouvelle fois, ce « Massilia » nous permet d’en partager des instants à la volée mais surtout d’y participer.
Tatou, du Massilia Sound System, au Moulin de Marseille en décembre 2012. Crédits photos : Cédric Oberlin / Le Musicodrome
FICHE TECHNIQUE
Tracklist
1. Li siam
2. Si lèva mai la cançon
3. Trois MCs sur la version
4. Es tot pagat
5. Je marche avec
6. Ma ville réveille toi !
7. La responsa es dins lo vent
8. Massilia n°1
9. Pourquoi je morfle ?
10. L’eligit
11. Quand on vit connecté
12. Parlar fort
13. Tous ces mots
14. A Marseille
Album studio : 8ème
Sortie : 21 octobre 2014
Durée : 49 minutes
Genre : Reggae Occitan
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