8e édition, cinq soirs de concerts et des têtes d’affiche à la pelle (Garbage, Rodrigo y Gabriela, Shaka Ponk, Nasser, Simple Minds, Chinese Man, Puppetmastaz…), le festival les Escales du Cargo cartonne à Arles. Jouissant d’un cadre idyllique, le théâtre antique, Discordance s’est intéressé aux shows de Chinese Man, Puppetmastaz et Deluxe.
Ce n’est presque pas une surprise de voir Discordance une nouvelle fois aux côtés de Chinese Man, Puppetmastaz et Deluxe tant ces groupes sont particulièrement suivis entre nos quatre murs. Là où une nouveauté fait son apparition cette fois, c’est que nous attendions toujours de jeter une oreille attentive au live de Deluxe après l’EP chroniqué, ou tout simplement de jauger la marge de manœuvre des marseillais du Chinese Man avec leur double projet.
Au milieu des vestiges antiques et d’un site bien rempli, la soirée s’annonce entre amis : deux groupes du même label (Chinese Man Records), des invités susurrés, un public habitué… c’est l’avantage de jouer à domicile.
Deluxe sous de bons présages
Après l’agréable surprise de « Polishing Peanuts » sorti en novembre dernier, le premier EP 5 titres des aixois de Deluxe laissait penser que ce groupe avait de la ressource. Surfant sur la vague (très) à la mode « jazzy » et électronique, Deluxe a déjà réalisé des prestations remarquées, en premières parties notamment de leurs potes du Chinese Man durant près d’un an.
Les Deluxe n’étant programmés qu’une petite demie-heure en guise d’ouverture, on pouvait craindre que le groupe atteigne vite ses limites, la faute à un simple EP qui réduit irrévocablement la setlist du band. Alors, oui, Deluxe a fait durer les morceaux, mais en a également proposé des nouveaux.
L’entrée s’est effectuée en douceur : parades aux claviers, cuivres en appui, basse bien pesée… Il ne manquait plus que Liliboy pour dynamiser le show. S’il se murmure dans les travées que Deluxe ressemble à Caravan Palace, les aixois prennent leurs distances, c’est incontestable : la section cuivre est bien plus en avant, l’électronique moins présente, et surtout le chant tend tantôt vers la funk, la soul et surtout le hip hop.
En gardant comme ligne de mire un côté cruellement funky, il n’aura fallu guère de temps à Deluxe pour faire chavirer le théâtre… Du swing des 50′s avec Mr Chicken au décapant hip hop/jazz de Never Lose, le groupe, désormais à six sur scène, se montre à l’aise. Séquences plus instrumentales, cuivres lâchés en liberté et surtout auteur d’une communication efficace seront les ingrédients qui ont fait que Deluxe, même orphelin d’album, a fait la différence.
Variant les genres et les influences (ragga, trip hop, jazz), le public assez métissé a apprécié : on ne peut pas rester de marbre avec les flow dévastateurs de MC Taiwan et Plex Rock sur le track Superman.
Un petit Pony pour la route, des « na-na-na » à chanter (même si ce n’est pas compliqué) avec une belle choré à la clé, Arles s’est laissé prendre au jeu. Quelques nouvelles compos présentées (dont une reprise intéressante de Paolo Conte) et un état d’esprit bien festif, Deluxe est sous de bons présages. Leur premier album, prévu pas avant 1 an, fait déjà saliver. Et surtout n’oubliez pas : « si Deluxe vous a plu, revenez moustachu ! ».
La révolution des Puppetmastaz est en marche
Ils ont toujours défendu deux cultures : celle des arts de la rue et le hip hop. Même si les Puppet’ sont avant tout des humains, elles se sont lassées et brouillées pour finalement exploser en 2009. Si l’on se disait que toute bonne chose avait une fin, la reformation des marionnettes berlinoises cette année a jeté un pavé dans la mare. La révolution pouvait reprendre, en plus, durant tout ce temps, elles avaient probablement beaucoup d’aventures à nous raconter. Ce n’est pas faux : sortie du cinquième album au printemps, « Revolve and Step Up ! », ou comment nous conter l’histoire des Puppetmastaz parties dans l’espace afin de ré-unifier le groupe. Éparpillées aux quatre coins du cosmos, les Puppet’ se sont agrandies, se sont durcies, et c’est à Arles que la tribune va prendre forme.
Leur show, littéralement en phase avec cette reconquête, regorge de jeux de mots et de mises en scène à vous faire blémir. La bande est Maloke est en forme. Entourée la plupart des temps des Snuggles, Tango et autres Frogg, ces derniers appellent au soulèvement : comme nous l’avions déjà souligné lors de leur précédent passage au Cabaret Aléatoire de Marseille, le show est orienté vers l’intensité. Même si, fidèles à eux-même, les Puppet‘ parlent beaucoup. Mais c’est un tout. Puppetmastaz ce n’est pas que de la musique, bien au contraire. Un concert est une histoire, elle prend d’ailleurs racine dans les nouvelles compos, celles de 2012, celles du retour sur Terre. Celles de la présentation aussi des nouveaux membres du crew.
Avec les influences dubstep, les Puppet’ appuient là où ça fait mal : avec un Fresh Day, rien de mieux qu’un flow dévastateur ragga pour impulser le chaos. Manière à répandre ces joyeuses vibrations bien au-delà du théâtre, ondes digitales à foison sur le très oriental Plus Ultra Revolution. A coups de beats bien pesés, les MC’s se balancent la réplique sans ménagement. Gardant dans un coin de la tête ce flow plutôt roots, la cérémonie des Puppet’s pouvait prendre le relai : saturation à outrance, scratchs aiguisés, « what that fuck ? », Mastaz of Ceremony rime avec la transformation des marionnettes sous forme humaine. Oldschool, un morceau bien dans les cordes pour Snuggles.
De là à penser que les Puppet’s proposent que du sang frais, c’est se mettre le doigt dans l’oeil : le hip hop crasseux refait surface avec les brûlots de la vieille époque. Animals, bien sûr, ne pouvait pas être oublié. Funky, groovy, la machine allemande reprend du service ! Jamais à court de renouvellement, les Puppets laissent la porte ouverte à différentes « touch » : notes plus rock sur (Entertainers) mais l’ensemble est bien rodé ; même un track presque parlé comme Dschinni of Glas prend des allures tapageuses…
La mayonnaise prend : il faut dire que le public est connaisseur. Nouvelle claque avec Bigger The Better, retour en arrière de 7 ans avec « Creature Shock Radio » (2005). Dans l’effervescence, petits interludes du tant décrié « The Break Up » (2009), et nouvel assaut avec un monstre du groupe, terriblement jumpant et festif, Do The Swamp.
En s’accordant plusieurs délires drum’n’bass et en n’omettant pas quelques guests comme Maître Yobo ou R2D2, les Puppet’s sont revenues avec des idées plein la tête. L’espace laisse des traces et, musicalement, les marionnettes paraissent plus énervées que jamais : Full Bashment est le symbole de toute cette violence qui bouillonait en eux depuis des années.
Avec un théâtre à ses côtés du début à la fin, les Puppetmastaz partaient avec un public déjà conquis. Avec un petit Midi Mighty Moe comme étendard, le succès ne pouvait qu’être assuré.
Chinese Man, comme les grands crus
Après deux premiers concerts pour le moins animés, place désormais au quatuor marseillais pour assurer la dernière heure et demie de show de cette soirée. Les platines sont installées, les planches très fare-west qui les ornent, parées. Les impacts de balles n’ont pas été oubliés. Tous les éléments habituels du groupe sont-là, y compris les fameux écrans en fond de scène.
Il y a un peu plus d’un an, Discordance était au Rockstore de Montpellier pour assister à la troisième date de la tournée de « Racing With The Sun » (2011). Six mois plus tard, c’est au festival Marsatac que nous étions pour découvrir le nouveau projet des marseillais, Chinese Man & Guests avec la présence de MC’s à leurs côtés pour revisiter les morceaux. Intéressant mais un peu trop dénaturé par rapport à l’univers du groupe.
A Arles, la formule choisie est de jongler entre les projets. Il y a un peu d’appréhension forcément. Et pourtant, on va vite se rendre compte qu’il n’en fallait pas. Chinese Man veut garder la maîtrise des évènements, c’est lui qui choisit quand impulser les déferlantes hip hop de ses invités (environ tous les trois morceaux). On retrouve toute la faculté du groupe à toucher sa cible : c’est précis, totalement immersif, voyage garanti. « Racing With The Sun », troisième opus du groupe, est un véritable témoignage de tout ce que Chinese Man est capable de mêler : un héritage culturel qui puise sa source au cœur des civilisations. C’est une sagesse de savoir manier les samples.
Élément que l’on ressentait moins sur un « Remix With The Sun » (2012) consacré aux invités, Chinese Man a provoqué cette incroyable sensation de faire escale sur tous les continents à chaque scratch effleuré : la musique électronique des marseillais est particulière, c’est l’art de voyager aux quatre coins du globe, l’art de se dire qu’il n’y a aucune frontière à cette traversée.
Toujours en grand amoureux de l’Afrique, Chinese Man a choisi une entrée clairement dub avec l’excellent One Past. Claviers dubby, penchants reggae assumés, Chinese Man ne se cache pas : dans les musiques du monde, il se délecte d’insuffler la vibe et un raggamuffin léché. Des influences dub UK, on en retrouve par exemple sur le track éponyme de l’album, Racing With The Sun, gardant ainsi sa force de frappe, mais aussi sur l’énorme Skank in the Air en mode dub style. Après l’interprétation, Chinese Man transforme. Avec une fin endiablée drum’n’bass, impossible de vraiment prévoir ce qu’il va se passer… surtout lorsque les MC’s envahissent la scène. Leurs potes Taiwan, Plex Rock et Lush One prennent alors les commandes : alternant tantôt les vagues ragga puis surtout celles hip hop, Chinese Man poursuit dans cette expérience hybride. De quoi ressortir un intéressant Ganja des tiroirs et quitter le continent.
L’Asie, Chinese Man l’apprécie. Effusion de machines et beats perforant sur If You Please ou Calling Bombay pour une cascade d’instruments à vents, dhôls et percussions en tous genres. N’hésitant pas à laisser saturer le son, Chinese Man déroule, explore. A peine le temps de se préparer à recevoir Miss Chang que la bande à Taiwan accueille les hôtes. Des basses vrombissantes, un beat hip hop assourdissant, un flow percutant, le rythme fracasse. Et même sur un autre continent, le succès est identique : le premier pied posé en Amérique est déjà communicateur, Jumpin’in Havana fait régner les épices et sa chaleur latine.
D’ailleurs, il n’a pas oublié ses classiques : que ce soit le retentissant brûlot hip hop Washington Square ou les ballots hilarants aux airs de banjo avec le monstre Get Up, ça pulse. Et forcément, lorsque l’indémodable Pudding à l’Arsenic des célèbres gaulois ou un Artichaut typiquement jazzy pointent son nez, Chinese Man s’amuse… Avec le public, ou tout simplement entre-eux.
Jamais en dedans, Chinese Man a parfaitement géré l’intensité avec une soirée qui est montée crescendo. Les MC’s, jamais trop présents, n’ont pas cassé le rythme en permettant aux dj’s de s’exprimer. Une patate d’enfer, une joie d’être là qui se lit sur les visages, des provocations en duel à travers un set à la fois personnel et très extensible, Chinese Man se bonifie avec le temps : avec davantage de liberté sur les morceaux, une saisissante sensation de cohésion anime le groupe. L’exemple de l’apparition de Raphaël au trombone sur les tracks cuivrés du groupe apporte des éléments nouveaux au spectacle. Les remix en fin de compos s’affirment, la scène s’est retrouvée par moment à huit membres (quatre dj’s, trois MC’s, le trombone) avant d’être même rejoint par leurs potes de Deluxe.
I’ve Got That Thune s’est joué dans un fracas sonore, martelé par les trois MC’s puis attaqué aussi par Clément, saxophoniste de Deluxe. Comme si cette soirée devait rester ouverte jusqu’au bout, Chinese Man a fait profiter les amis : dernier assaut, l’assaut final, avec une déflagration dubstep en vue. C’est Miss Chang, remixée par Tha Trickaz, qui va clôturer cette fête. Dans la débauche. Dans la sueur.
Et un dernier message : « Restez zen, mangez des nems ! ».