La Canaille : « La nausée », la réalité (2014)

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La Canaille La nausée

En pleine rentrée politico-tragique, La Canaille revient avec son troisième manifeste, « La nausée », en gardant la ferme intention de prendre le micro afin de réveiller les consciences et bouger nos âmes en peine. Le poing levé, les idées bien au clair et une plume toujours aussi affûtée, Marc Nammour semble plus engagé que jamais, lui qui garde cette éternelle envie de voir les choses évoluer malgré les tristes tableaux de la réalité qu’il continue de conter. 

La Canaille, c’est cette faculté à raconter les failles de nos sociétés, ses maux, ses angoisses, ses déboires, ses magouilles. C’est aussi ce ressenti noir, ce goût amer qui reste en bouche après avoir immédiatement recraché ce que l’on essaie de nous faire avaler, de force, au quotidien, de tous les côtés. Alors oui, « La nausée », elle est bien là, difficile de se forcer à prouver le contraire. Entre dégoût, lassitude et soumission, l’homme est un loup pour l’homme, soit, mais la société, elle, continue sa route. Qu’on le veuille ou non, que l’on s’y oppose ou non. Mais le fonctionnement à la racine, l’équilibre même commencent à pourrir ; la base n’est plus si solide. Dans les profondeurs du monde, Quelque chose se prépare, un serment a été pris, les pauvres fous sont amenés à reprendre espoir. Appelé par un piano envoûtant, une instru cyclique et cruellement sombre, l’échos venant des bas fonds résonne : rien n’est figé, tout se met à muter. Le constat, lui, est imparable : « rien n’a changé Mr le président et c’était prévisible. C’était même clair, limpide, lisible ».

Oui, quelque chose se prépare et le manifeste finit par enivrer. Qu’il aille voir nos petits vieux pour se faire une idée avant d’être désolé, tiens. A l’aide d’une instru bouleversante et brumeuse, l’épais voile noire au-dessus de Encore un peu ne se dissipe pas. Flow posé et entêté, les mots sont durs et tranchants, entre fin de vie et retraite dynamitée. De cette triste réalité jaillit des rejets, du vécu, impossible à évacuer. Un genou à terre, les raisons de la colère réapparaissent. Vieux ou moins vieux (Omar, le fracassé), La Canaille finit par se demander où a-t-il pu être jeté…

Catapulté au 21ème siècle, tout s’accélère, tout va trop vite, quand la déchéance des uns galvanise celle des autres. « Les belles familles, les belles carrières » fleurissent, remplies « de sourires hypocrites et de bonnes manières, tu les reconnais au ton condescendant ». Monsieur madame, presque jazzy hautin, inonde les écoutilles et se déverse dans nos têtes, sournoises, et se prélasse, « la vraie vulgarité elle est bourgeoise ». De ce dégoût mêlé à la fièvre, La Canaille tousse et finit par évacuer ce doux monde lubrifié et torturé, là où Pornoland devient saturé, « l’addiction virtuelle onanisme de bas d’échelle, la misère est partout elle est aussi sexuelle ». Pourtant, les craintes ne sont jamais chassées : de cette société aseptisée qui provoque ces éternels besoins, Marc Nammour se dévoile et murmure ses peurs, Desséchée, son pire cauchemar, celui de « regarder mourir l’amour et s’endormir dessus » ou, porté par la guitare, celui d’arriver à passer entre les balles (« c’est la marée des affamés qui n’ont que l’exil en partage »). La sueur des ombres, elle, rase les murs sans jamais laisser de trace.

De ce refoulement insoutenable, la nausée se transforme progressivement en bataille. A bout de bras, Redéfinition sonne la charge, appuyés par les scratches de DJ Fab, et somme aux affamés de se lever (« c’est la lave d’un volcan qui se réveille (…)  c’est l’ennemi de l’ordre des gouvernements (…) c’est l’alternative à la débâcle (…) internationale est la pression (…) c’est plus haut que les frontières et les barbelés »). La Canaille ne laisse plus la part au doute. Tirant la sonnette d’alarme sans se retourner, Marc Nammour hausse le ton, la peste brune gagne trop de bastions. Jamais nationale remobilise, appuie là où ça fait mal et ravive les vieux fantômes du passé. Car il doit être incessant, ce rappel à l’ordre. Vif et lacéré, le message se propage. Bruit sourd, fracas métalliques. Les torches s’allument, les machines de DJ Pone (Birdy Nam Nam) s’unissent derrière l’oxymore du Silence, « le silence c’est le cri du repos ».

Malgré ce silence, le message se propage par la musique, la prose, les tripes (Décalé) où une contagion sonore noire et apocalyptique déferle. Frappant à coups de poings contre les faux semblants de l’industrie du disque, là où le rap et le rock contestataires n’en finissent plus de s’enterrer dix pieds sous terre (« 3’30. Refrain petit couplet refrain (…) construction implacable magistralement calibrée. Ca fait du fric (…) l’industrie se le refile, se l’approprie (…) et au suivant, on ouvre la trappe et on la referme »). La riposte s’organise en bande, les consciences reprennent vie : de cette sombreur naît le phénix de ces cendres immaculées. « Hors de question de raser les murs j’veux les briser ! ». Briller dans le noir voit le ralliement se gonfler et Sir Jean (Le Peuple de l’Herbe) arrive en renfort. Dub, jungle et rap fusionnent sous un même étendard, le chiffon est imbibé de substances inflammables, la bouteille se remplie et est prête à toucher sa cible.

Avant l’impact, La Canaille aura eu le temps de régler ses comptes : délaissant les guitares au détriment d’apparitions plus succinctes, les machines aux scratches acérés et aux instrus plutôt old school ont littéralement transcendé le manifeste. Ses textes, d’une profondeur abyssale, lui permettent d’être aujourd’hui le porte parole du chant contestataire français. Un rap qui s’adresse aux jeunes, aux travailleurs et aussi à nos ptits vieux, si c’est ça La Canaille et bien j’en suis !

Poing levé, bouteille brisée.

Boum.

Résistance.

Clip « Jamais nationale »

FICHE TECHNIQUE

Tracklist
1. Quelque chose se prépare (feat. DJ Pone)
2. Redéfinition (feat. DJ Fab)
3. Jamais nationale (feat. DJ Pone)
4. Monsieur madame
5. Encore un peu
6. Pornoland
7. Omar (feat. Serge Teyssot-Gay)
8. Le silence (feat. DJ Pone)
9. Décalé
10. Desséchée
11. La sueur des ombres
12. Briller dans le noir (feat. Sir Jean)

Album : 3ème
Durée : 53 min
Genres : Rap / Rock
Distributeur : L’autre distribution

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