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Du rap dans un écrin jazz, c’est un peu moins urbain que la « Gangrène » de Casey de ce début de semaine mais c’est tout aussi aguichant. Un son made in Montpellier qui est né dans la cité universitaire de Paul Valéry, Vert Bois. Ou Bois Vert, pour la scène.
La musique comme point de ralliement. Le son comme lieu d’échange. Les potes comme ciment. Bois Vert a tout compris : c’est sans se prendre la tête que la mayonnaise a fini par prendre. En terres montpelliéraines, forcément, mais bien au-delà. Croisé à de multiples reprises dans des festivals d’Occitanie ou en première partie de concert, jamais Bois Vert n’a déçu. Ici, il n’y a pas de prise de tête, pas de côté surfait pour se coller des étiquettes qui ont ensuite du mal à être enlevées.
Entre les débuts et aujourd’hui, leur univers a muté, l’expérience aidant, et Bois Vert ne s’est pas trompé en choisissant comme nom de deuxième album « Résilience ». A l’heure où l’État vacille en pleine crise du Covid, les intermittents (et bien d’autres) trinquent et s’endorment avec la peur de ne pas rallier les deux bouts… La résilience du système va être mise à rude épreuve.
Dans tous les cas, Bois Vert a pris le temps de construire le moule dans lequel il voulait façonner sa nouvelle galette : il ne renie en rien son amour pour le rap français des années 90, celui mis sur un piédestal par IAM, Assassin ou NTM, et il a voulu l’agrémenter d’un son beaucoup plus mélo et moins urbain. Nouveau projet, nouveau challenge, nouvel univers.
Pour lui donner vie, 10 titres le composent. Presque 8 si on ne compte pas la Préface et un Interligne qui viennent jouer les intros et les transitions. La première véritable entrée en matière est Poetry man et elle surprend. Forcément. Le changement de ton avec l’opus précédent saute aux yeux. Presque trip hop, la compo joue les entre-metteuses : bercé par un piano effleuré, Bois Vert propose une virée en ville dans du velours. Okay, les nouveaux contours de Bois Vert se dessinent.
Doucement, J’rappe dévoile, sur un sample de jazz, vers quoi les montpelliérains ont décidé d’aller : en toute décontraction, Bois Vert lance son flow sur des notes groovy et dépeint un quotidien morose… Premier tour de force. Et il ne sera pas le seul. Le bal des grands enfants révèle des marques profondes, laissées par le temps et la société, au cours duquel les rêves côtoient les blessures. Pris de vertiges, l’esprit s’embrouille et Le masque du feu cherche à apaiser des sens embrumés.
Outre ces compos qui sont résolument les plus calmes du disque, Bois Vert souffle aussi sur les braises incandescentes laissées par cette vague jazzy qui anime « Résilience » : d’abord, les MCs tirent à boulet rouges sur Bretzel, bien aidés par les scratches et les cuivres, avant de dégainer un Tremblez bourgeoises retentissant. Bois Vert délocalise le son dans le temps et l’espace pour mieux leur renvoyer en pleine face. Ici pas d’ascenseur social, pas de compassion. C’est trop facile, reflet d’un monde qui ne tourne plus rond, signe un triptyque percutant pour garder les pieds sur terre.
Jamais moralisateur tout en restant saignant, ce « Résilience » s’écoute d’une traite. La face sombre se complait dans l’agitation tandis que celle des jours meilleurs y est née. Subtil !
Bois Vert, « Résilience », disponible depuis le 25 janvier 2020 (10 titres, 31 min.)