Et le vent se leva sur la cour du château…. 2 août, cinquième soirée de Barjac m’en chante. Cette soirée, nous l’avions noté d’une croix dans notre agenda. Elles ne sont pas nombreuses, les dates où Cyril Mokaiesh vient présenter « ses » naufragés de la chanson, qui sont aussi les notre. C’est au public connaisseur de Barjac qu’il vient présenter ses chansons, ses interprétations. Pour un voyage tout en contrôle et en poésie, rempli de coeur et d’émotion !
Missonne, 40 minutes, des surprises et de la voix
C’est une véritable surprise que la présence de cette jeune artiste de 22 ans dans la cour du château, un beau cadeau à l’artiste et à une bonne partie du public qui allait la découvrir ici. Missonne arrive sur scène, et entame sa première chanson, seule au piano, en scotchant le public avec son style très particulier, après avoir lu pour l’instant des souffleurs de vers, Les écoliers, de Raymond Queneau.
Entre humour et chanson, la jeune artiste n’a pas su choisir. Et elle aime jouer avec le public, le décontenancer, le perdre, puis le retrouver. Gretel est une chanson où l’on est sans cesse surpris, et c’est quelque chose de rare. Le public rit de bon coeur, comme sur la très courte et raffinée L’infirme Amant.
Lorsque Missonne annonce avoir « décidé de voir la vie en rond », une très jolie chanson en découle, cette fois elle n’incarne qu’un seul personnage, et n’envahit pas la scène de ses frasques, mais de sa voix, qui mériterait d’être plus mise en avant.
Missonne c’est également une vie sans voir, une vie dans l’obscurité. Mais même de ça elle en joue. Lorsqu’elle avoue d’un homme qu’elle « L’aime aveuglément », cela représente à merveille l’état d’esprit de la jeune femme, elle croque la vie et on ne la sent pas abattue par quoi que ce soit. Elle peut entendre et toucher, et ça lui suffit bien (c’est elle qui le dit !) ! Alors bien sûr elle laisse le public abasourdit, au moment de parler de son amant, interprétant deux personnages magistralement, ou lorsqu’elle raconte une discussion de fin de vie entre une grand mère et ses petits enfants.
Le spectacle est touchant, le public est sous le charme de la toute jeune artiste qui aura franchi un palier aujourd’hui au travers de ce concert, où s’alternent grâce et humour. Le début du concert nous a interpellé, ne sachant ce qui nous attendait. Nous ressortons avec des certitudes, et parmi elles celle d’avoir passé un bon moment; c’est bien le plus important !
Des naufragés retrouvant le rivage, avec Cyril Mokaiesh
Nous avons chroniqué l’album des deux artistes sur Le Musicodrome, il y a presque deux ans (ICI), jamais alors nous n’avions imaginé le voir à Barjac dans la cours du château, pour chanter les oubliés de la chanson. Mais si ces oubliés là le furent par les grands médias, ils jouissent d’une aura toute particulière dans la cour gardoise. C’est d’ailleurs ce qu’a ressenti Cyril Mokaiesh, après une première chanson de Jacques Debronckart, se réjouissant de ne pas avoir à présenter les poètes ici, tant ils font partie de la maison.
Ecoutez, vous ne m’écoutez pas ouvre le concert, comme elle a ouvert le disque, a cappella. Un Mokaiesh caché derrière l’estrade commence à interpeller le public, se dévoilant au public, avançant sur scène en suivant l’avancée de la chanson. Déjà on sent une émotion palpable chez le jeune artiste, sans doute impressionné de jouer en ce lieu mythique, bercé par le vent frais du soir.
Sans un mot d’interlude, la deuxième chanson démarre : « J’aimerais tant savoir, comment tu te réveilles… », un doux murmure monte des travées du public, qui reconnait Bernard Dimey aux premiers vers, qui reconnaît ce véritable naufragé de la chanson, échoué beaucoup trop tôt et beaucoup trop seul. Il est nécessaire de reconnaître qu’entendre des vers de Bernard Dimey à un concert, qui plus est d’un jeune artiste de rock puis de chanson, est quelque chose de jouissif qui découpe une lueur d’espoir dans le tissu de l’avenir. Non, Dimey et ses acolytes de comptoir célestes ne sont pas la seule propriété des têtes grisonnantes, ils devraient être appris dans les écoles, et le travail fait par Mokaiesh et son fantasque Giovanni Mirabassi est beau, et nécessaire !
Philippe Léotard est également de la partie, celui qui a guidé Mokaiesh au moment de choisir entre rock et chanson est dit tout en émotion, avec une voix lancinante, qui parfois semblait hésitante, mais qui, de manière évident, débordait d’émotion et de sincérité.
Les interprétations sont personnelles, et c’est bien normal. Alors une partie du public, de ce public ingrat et idiot, n’applaudira pas du concert, préférant la pâle copie à l’interprétation avec le coeur, et ne pouvant pas apprécier une ré-interprétation qui est forcément différente, mais qui fait ressortir toute l’émotion. Alors messieurs dames, peut être espériez vous emmener Dimey, Leprest et Ferré dans votre tombe, pas si lointaine. Grâce à des gens comme Mokaiesh, dans 10, 20, 30 ans, quand nous, nous seront encore là, eux aussi, et nous chanterons ensemble !
Au moment d’interpréter Stephan Reggiani, Mokaiesh cite avec malice Cioran, puis Woody Allen, en parlant du suicide : « Ne nous suicidons pas, il reste certainement encore quelqu’un à décevoir ». L’instant est beau d’une grande tristesse. Il reflète ce que furent ses naufragés lorsque leurs corps sortaient de leurs chansons. Bonne figure est interprétée magistralement, avec une sorte de démence, Mokaiesh dansant, guidé par le seul piano de son collègue et ami, devant un public béat, ne sachant pas précisément à quoi il assistait.
Vint alors le moment de retrouver, pour le capitaine de ce voilier d’un soir, les fondements de son engagements, les frasques de ses espoirs et de ses poésies. Nino Ferrer n’était pas sur le disque, il sera présent à Barjac, avec un chant révolutionnaire : La Rua Madureira. Le public chante, fredonne, Mokaiesh laisse partir sa voix loin, très loin, aux confins de l’émotion, et la chanson ne se termine pas, la chanson flotte et révolutionne… Elle s’échouera pourtant, comme nous, comme vous…
C’est peut être, C’est nous… Leprest et Debronckart sont deux des guides de la soirée, ils auront droit à de nouveaux honneurs, à une nouvelle chanson, tout comme Mano Solo, interprété magnifiquement à travers Les enfants rouges, sublime d’écriture et d’émotion.
Ces naufragés manquaient de femmes, les féministes du château n’ont pas manqué de s’en rendre compte et de pousser un rugissement de soulagement lorsque Cyril Mokaiesh, de retour sur scène, l’a constaté à son tour. Alors l’occasion était trop belle de refaire monter Missonne, et de chanter avec elle Les gens qui doutent, véritable hymne pour une majorité du public. Quatre main et deux voix, ce fut un très beau moment, et l’émotion faisant sauter une phrase à l’artiste n’enleva rien à l’intensité du moment.
Il était l’heure de finir, les chansons du disque écoulées, le duo allait pourtant faire quelques heures supplémentaires. « Je chante pour passer le temps, petit qu’il nous reste de vivre, comme on dessine sur le givre, comme on se fait le coeur content… ». Putain que c’est bon d’entendre Aragon, Ferré et Mokaiesh dans la même phrase, dans cette première phrase inattendue et surprenante ! Bien sûr ici nous ne parlons plus de vrais naufragés, mais nous restons dans la même famille et il n’est pas choquant de retrouver quelques poètes ayant un peu plus grandi que les autres.
Comme il n’est pas choquant non plus de retrouver, pour terminer, un Cyril Mokaiesh présentant deux de ses chansons au public. Il était bien légitime pour lui de se faire « ce petit plaisir », et pour nous ce fut un grand moment d’entendre Communiste repris par une belle partie de la cours du château.
Poésie et engagement, deux maîtres mots d’une soirée que l’on n’oubliera pas. Merci au duo de faire vivre ces textes, et d’essayer de les arracher des récifs où ils sont échoués, d’essayer de les faire découvrir à d’autres, car tout le monde le mérite. Même si hier soir, ces naufragés avaient une gueule bien connue pour la majorité du public 🙂
Merci pour cette belle article !
Attention à la syntaxe « souffleur de vers » ! Sinon ça n’a pas de sens…
Une étourderie mal digérée.
Merci de l’avoir fait remarquer, et pour le commentaire !